LES CONFLITS OUBLIÉS : LA GUERRE DU YÉMEN

Le 13 janvier 2022, l’Organisation des Nations Unies a publié un article « Retour sur l’année 2021 : l’action de l’ONU dans les pays en conflit » dans lequel elle fait un retour sur ses engagements au cours de l’année 2021. Dans cet article, l’ONU décrit la situation au Yémen comme la pire crise humanitaire au monde.

Conflit négligé, pour ne pas dire oublié, par les médias, il est pourtant dévastateur. Malgré ce manque de visibilité, il est du devoir de chacun de ne pas laisser cette violence tomber dans l’oubli, ou pire, l’indifférence. Il faut au contraire continuer de s’informer et de donner de la visibilité à la souffrance de ces dizaines de milliers de personnes afin de continuer à se battre pour la protection de leurs droits fondamentaux, comme l’exige le droit international humanitaire.

ZOOM SUR UN CONFLIT VIOLENT, DONT LES CONSÉQUENCES RENDENT LES CONDITIONS DE VIE INSUPPORTABLES POUR LA POPULATION.

LE YÉMEN

Pays de 27 millions d’habitants, la République du Yémen est jeune : elle est le fruit de la fusion en 1990 de la République arabe du Yémen et de la République démocratique populaire du Yémen.

Vers 630, Badhan (gouverneur du Yémen à l’époque) se convertit à l’Islam. Le Yémen devenant ainsi l’une des premières nations musulmanes. Il est d’ailleurs aujourd’hui le centre de la théologie chaféite (une des quatre grande écoles de l’Islam).

Situé à la pointe sud-ouest de la péninsule arabique, ce pays couvrant une surface de 527 970 km2 avec près de 2000 km de côtes, est entouré du golfe d’Aden et de la mer rouge. Sa capitale est Sanaa.

Il possède deux frontières terrestres : la première avec l’Arabie Saoudite et la seconde au nord-est avec Oman. Il est séparé par la mer, à l’ouest, de l’Érythrée, de Djibouti et au sud de la Somalie du sud.

CONTEXTE HISTORIQUE : POURQUOI CE CONFLIT ?

Depuis la fusion du 22 mai 1990 entre Yémen du Sud et Yémen du Nord, le nouvel État central peine à imposer un contrôle sur l’ensemble de ce nouveau territoire. Une fracture persiste et est entretenue par les revendications sécessionnistes du sud et la rébellion houthiste du nord.

En effet, le gouvernement fait face depuis 1994 aux séparatistes du Yémen du Sud dans la guerre civile yéménite. Cette tentative de sécession échoue au bout de quelques mois, mais le conflit ne prend fin officiellement qu’en 2010 par la signature de la réunification du pays. La guerre civile yéménite fit entre 7000 et 10000 victimes.

Mais le conflit qui déchire encore aujourd’hui le Yémen a pour origine, non pas les revendications sécessionnistes du Sud, mais la rébellion houthiste du Nord. Le mouvement houthi, créé en 1994, est une organisation armée, politique et religieusement zaïdite, qui tire son nom de leur dirigeant et créateur Hussein Badreddine al-Houthi.

Rappel religion : Le zaydisme est un des trois grands courants chiites (avec le chiisme duodécimain et l’ismaélisme). Le chiisme étant l’un des deux principaux courants de l’Islam avec le sunnisme : leur différence réside dans le fait que les sunnites ne reconnaissent comme légitimes que les trois premiers califes (terme qui signifie “successeur”) tandis que les chiites ne reconnaissent que le quatrième. 

Les Houthis sont donc un groupe de rebelles qui s’opposent à l’État par les armes depuis 2004. Actifs dans le nord-ouest du pays, ils dénoncent leur marginalisation sur les plans économique, politique et religieux depuis la réunification du Yémen de 1990, le sous-développement de leur région. Ils réclament le rétablissement du statut d’autonomie dont ils bénéficiaient avant les années 60. Leur devise : Dieu est le plus grand, Mort à l’Amérique, Mort à Israël, Maudits soient les juifs, Victoire à l’Islam. 

Ainsi, de 2004 à 2014 les Houthis vont mener plusieurs insurrections contre le gouvernement qui vont affaiblir l’État. En 2004, le gouvernement estime que des manifestations remettent en cause son autorité et éclate alors la Guerre du Saada dans laquelle le meneur des Houthis perd la vie le 10 septembre 2004 avant de se faire remplacer par son frère Abdul-Malik al-Houthi. En 2011, dans le sillage du Printemps Arabe, survient la révolution yéménite : une série d’affrontements armés déclenchés par des manifestations originellement pacifiques réclamant démocratie et lutte contre la corruption. Le président Ali Abdallah Saleh quitte son poste après 33 ans de règne et laissa place en février 2012 à Abd Rabbo Mansour Hadi.  

Le nouveau président a pour objectif de pacifier la transition et rédiger une nouvelle constitution. Dans ce cadre, est prise la décision de faire du Yémen un État fédéral. Mais le découpage des États fédérés fait naître des mécontentements poussant à terme les Houthis à lancer en 2014 une offensive de taille sans précédent afin d’élargir leur territoire et leur zone d’influence et ainsi obtenir un partage du pouvoir en leur faveur dans ce nouvel État fédéral. C’est le début de la guerre du Yémen telle qu’on la connaît aujourd’hui. 

LA GUERRE DU YÉMEN DE NOS JOURS 

C’est donc en 2014 que commence la guerre du Yémen, guerre dans laquelle s’affrontent les forces gouvernementales fidèles au président  Hadi et de l’autre la rébellion houthiste. 

Début 2014, les Houthis font une première percée vers la mer afin d’avoir accès à la côte. Ils poursuivent leur avancée vers le Sud. Ils s’emparent finalement en septembre 2014 de Sanaa et prennent le pouvoir en janvier 2015. Cette prise de la capitale oblige le président à fuir la capitale fin février pour se réfugier dans le sud du pays dans la ville d’Aden. Mais les rebelles houthis poursuivent une nouvelle fois leur offensive et avancent dans le sud du pays en prenant la ville de Taêz : ils contrôlent alors l’entièreté de l’ouest du pays (la partie la plus peuplée). 

Le 25 mars 2015 ils lancent une offensive sur Aden qui force le président à trouver refuge en Arabie Saoudite dans la ville de Riyad. L’obligation pour le président yéménite de trouver refuge dans un autre pays donne ainsi au conflit une nouvelle dimension internationale. En effet, l’Arabie Saoudite mène alors l’opération Tempête décisive en collaboration avec neuf pays arabes (Arabie saoudite, Égypte, Jordanie, Soudan, Qatar, Bahreïn, Koweït, Émirats Arabes Unis et Maroc). Cette opération est lancée dans la nuit du 26 mars 2015. L’objectif principal de l’Arabie Saoudite est à la fois de protéger sa frontière sud, mais aussi de stopper l’influence de l’Iran qui est accusé de soutenir les rebelles et de les armer, eux-mêmes de tradition chiite.

En effet, le Yémen est en réalité le point de conflit d’une guerre froide régionale entre deux blocs du Moyen-Orient : l’Iran, centre du chiisme, et l’Arabie saoudite, centre du sunnisme.

Néanmoins, l’opération ne suffit pas et les Houthis gardent le contrôle du territoire. Un échec qui s’est fait au prix de 1600 morts et 300 000 personnes forcées de quitter leur maison

En 2015, la guerre prend un tournant important. Les loyalistes (loyaux au gouvernement) parviennent enfin à faire des avancées. En effet, à partir de juillet, le camp du gouvernement parvient à reprendre des territoires aux rebelles (provinces de Chabwa, île de Grande-Hanich, villes d’Al Hazm, d’Harad et de Midi etc).

Pendant cette période, l’ONU tente de mettre en place des négociations à Genève afin d’avancer vers la fin du conflit. Pour ce faire, un cessez-le-feu est mis en place. Il sera sans succès puisqu’il sera immédiatement violé par les deux camps: déclaré le 15 décembre 2015, il est violé le jour même (aussi bien par les rebelles que par les loyalistes) puis à répétition les 21 et 26 décembre malgré un appel du Conseil de sécurité de l’ONU à le faire durer. Il prend fin le 2 janvier 2016. Les négociations n’ont finalement jamais pu se tenir en raison de cette impossibilité de cesser les combats.

Le 10 avril 2016 une nouvelle tentative de négociation est mise en place. Elles se déroulent au Koweït et des commissions sont mises en place par les deux coalitions afin de discuter. Un accord est trouvé pour la libération des prisonniers, mais les parties refusent chacune fermement toute proposition de formation de gouvernement de l’autre.

Les combats reprennent donc : attentats suicides, bombardements, arrestations et exécutions arbitraires ; la guerre fait rage. La coalition menée par l’Arabie saoudite est le camp soutenu par les pays occidentaux, notamment les États-Unis, dont ils reçoivent argent et armes. Néanmoins, cela reste une alliance fragile qui a notamment été réexaminée à la suite de raids aériens particulièrement meurtriers. Cette fragilité est également présente dans le camp adverse, qui se révèle par l’alliance incongrue des Houthis avec l’ancien président Ali Abdallah Saleh qui sera finalement exécuté par ces derniers le 4 décembre 2017 pour avoir rompu l’alliance.

Ainsi les combats se poursuivent, sans protection aucune des zones civiles et faisant des milliers de morts, de blessés et de déplacés. Il faudra attendre l’année 2020 pour voir les combats diminuer. En effet, après des attaques particulièrement sanglantes, la coalition saoudienne baisse l’intensité de ses frappes en début d’année. Le 9 avril, une trêve est déclarée et des échanges de prisonniers ont lieu. En 2022, le président Hadi quitte le pouvoir et nomme avant son départ un conseil de direction présidentiel : le président Hadi était en réalité pour de nombreux spécialistes un président fictif, symbolique qui vivait isolé dans un palais sans aucune légitimité.

Le 30 mars 2022, un cessez-le-feu est décrété par l’Arabie saoudite pour le ramadan, il est ensuite renouvelé à deux reprises pour des périodes de deux mois. Néanmoins, le 3 octobre 2022, le gouvernement yéménite et les rebelles houthis ne parviennent pas à le renouveler : c’est pour beaucoup synonyme de reprise des combats.

Cette trêve de plusieurs mois avait apporté selon l’ONU un calme relatif et notamment une forte réduction des pertes civiles. Néanmoins, depuis octobre, la fin de cette trêve semble marquée par une reprise inquiétante d’incidents ciblant les civils (snipers, bombardements, attaque d’une zone portuaire civile). 
De plus, ce conflit a renforcé la présence djihadiste : Al-Qaïda a renforcé son sanctuaire dans le sud du Yémen et l’État islamique a fait son entrée dans le territoire nord du pays.

UN BILAN HUMANITAIRE TERRIBLE

Alors que ce conflit entre dans sa neuvième année, il ne montre aucun signe d’apaisement sur le long terme. Pourtant, la population yéménite est au bout de ses ressources et de sa force et n’apparaît plus pouvoir endurer la violence des échanges. La population civile de tout le pays demeure en effet la principale victime des hostilités militaires.

Selon un rapport de l’UNICEF, le conflit aurait fait depuis 2014 plus de 380 000 morts et plusieurs millions de déplacés. La population fait face à plusieurs problématiques toutes plus dangereuses les unes que les autres : maladies, famine, frappes militaires, difficulté d’accès aux ressources.
Les chiffres sont inquiétants : 80% de la population dépendant de l’aide humanitaire, une personne sur six vivant au bord de la famine, un des taux de malnutrition les plus élevés au monde, 21,2 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté sur 27 millions en 2016, le niveau de développement du Yémen ayant reculé de deux décennies depuis le début du conflit. Dès lors, quelles sont les principales problématiques que doivent affronter la population yéménite ?

  • ACCÈS AUX RESSOURCES ÉLÉMENTAIRES

Les échanges armés incessants empêchent la population de disposer de ressources stables et parfois même de récupérer l’aide humanitaire qui leur a été envoyée (celle-ci étant parfois détournée pour d’autres objectifs).

Ainsi les Yéménites manquent tout d’abord de la ressource la plus essentielle : l’eau.

6 personnes sur 10 n’ont pas accès à l’eau potable ou à des services d’assainissement adéquats et plus de 70 % de la population n’est pas desservie par un réseau d’eau. Femmes et enfants doivent souvent parcourir des kilomètres à pied pour trouver de l’eau. De surcroît, en plus d’être rare, l’eau est également de très mauvaise qualité causant ainsi des épidémies majeures comme le choléra qui a touché en 2016 environ 2 500 000 personnes et fait plus de 4 000 victimes.


S’ajoute au problème de l’eau l’insécurité alimentaire qui est dorénavant devenue la norme au Yémen. En effet, selon des estimations de l’ONU, plus de 80% de la population dépend de l’aide alimentaire. Le Yémen est aujourd’hui un des pays au taux de malnutrition le plus élevé au monde avec 1 personne sur 6 vivant au bord de la famine (ce qui représente environ 4 800 000 de personnes).

  • FRAPPES MILITAIRES

Les affrontements à répétition mentionnés plus haut ne font aucune distinction entre zone civile et zone militaire.

En effet, une grande partie des combats ayant pour objectif de reprendre des territoires et donc des villes, se déroulent dans les lieux civils où des familles vivent toujours. Hôpitaux, habitations, écoles, aucune exception n’est faite et des milliers de civils sont chaque jour victimes des frappes militaires des deux camps.

Le 15 août 2016, un hôpital géré par l’ONG Médecins sans frontières situé près de la capitale, est touché par une attaque aérienne blessant 24 personnes et en tuant 19 autres dont un membre de l’ONG, forçant l’organisation à suspendre ses activités dans plusieurs de ses établissements dans le pays. Ce bombardement est malheureusement loin d’être un cas isolé, d’autres centres de soins se sont vus ciblés par des tirs (26 octobre 2015, 2 décembre 2015, 10 janvier 2016, 11 juin 2018, 2 août 2018).

Le 24 janvier 2022, le CICR (Comité international de la Croix-Rouge) appelle les parties au conflit à épargner les vies civiles et à ne plus frapper les infrastructures de caractère civil ou nécessaire à la survie de la population. Car, rappelons-le, le bilan de cette guerre est lourd : 380 000 morts depuis 2014.

  • VIOLATION DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE

Toutes ces souffrances endurées par la population (famine, maladies, épidémies) sont des violations constantes du droit international humanitaire de la part des deux parties au conflit. Ces violations sont multiples et si fréquentes que nous ne pouvons ici faire état que d’une partie d’entre elles. 

Les populations civiles sont protégées par les règles du DIH, prévues par les quatre Conventions de Genève de 1949 complétées par les Protocoles additionnels de 1977. Ces conventions imposent notamment que les bombardements respectent le principe de distinction, ce dernier imposant aux belligérants de toujours maintenir une distinction entre la population civile et les combattants.

En premier lieu, c’est un principe d’humanité qui doit guider les parties au combat, qu’il s’agisse d’un conflit armé international (CAI) ou d’un conflit armé non international (CANI). Dans le cas du Yémen, comme les forces rebelles affrontent le gouvernement ainsi qu’une coalition internationale, on peut parler de CAI.

Le principe de distinction est clairement énoncé à l’article 48 du Protocole additionnel I :

« En vue d’assurer le respect et la protection de la population civile et des biens de caractère civil, les Parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction entre la population civile et les combattants ainsi qu’entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires et, par conséquent, ne diriger leurs opérations que contre des objectifs militaires ».

De plus, d’après l’ONG Human Rights Watch, les Houthis utilisent des enfants soldats depuis 2009. Des milliers d’enfants de 9 à 17 ans ont été recrutés, parfois enrôlés de force. Ils reçoivent d’abord un enseignement religieux zaydite puis sont entrainés militairement. Ces enfants soldats, dans le but de les faire combattre jusqu’à la mort, sont drogués par la prise forcée d’une plante (le khat) utilisée comme stimulant. Ils subissent alors une intense propagande pour s’assurer qu’ils prennent part à la bataille quels que soient leurs idéaux. Il leur a par exemple été fait croire lors de la bataille d’Aden qu’ils combattaient des djihadistes lorsqu’il s’agissait en réalité de loyalistes. Le Conseil de sécurité de l’ONU a par ailleurs annoncé qu’entre janvier 2020 et mai 2021, près de 2 000 enfants soldats, recrutés par les rebelles houthistes, avaient été tués. Le recrutement d’enfants-soldats est, bien évidemment, complètement prohibé par différentes règles de droit international : les deux Protocoles additionnels, la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989 le prohibent explicitement. Par ailleurs, le Statut de Rome portant création de la Cour pénale internationale en fait un élément constitutif du crime de guerre. Malheureusement, aucune partie au conflit ne l’a ratifié, on ne pourra donc que difficilement  compter sur cette règle pour protéger ces enfants.

En 2009, suite à de nombreux témoignages, il a été confirmé que le gouvernement du président Saleh utilise des munitions au phosphore blanc. Ces munitions ont pour effet de brûler chimiquement la peau de ses victimes. Le Protocole additionnel III à la Convention sur certaines armes classiques de l’ONU de 1980 prohibe pourtant son utilisation sur les civils. Or, il est probable que les civils n’aient pas été correctement éloignés des zones où ces munitions sont utilisées. 

Ce conflit ayant des sources idéologiques, de nombreuses populations ont souffert de persécutions plus ou moins violentes. En mars 2015, le New York Times dénonçait des cas de persécutions de Juifs du Yémen par les Houthis. Ces persécutions étant multiples : violences physiques, arrestations arbitraires, meurtres. En août 2016, Amnesty International appelle les Houthis à cesser la persécution de la minorité religieuse bahaïe dont 65 membres au moins se sont vus arrêtés lors de différentes rafles. Aujourd’hui, 24 d’entre eux, dont un mineur, risquent la peine de mort par les rebelles. Le DIH prohibe également ce type de persécutions, à travers le respect du principe d’humanité imposant de traiter humainement les personnes civiles confrontées au conflit, comme nous l’avons précédemment mentionné. Ainsi, l’article 75 du Protocole I prévoit les garanties fondamentales réservées au traitement des populations civiles en CAI. Celles-ci doivent être protégées contre l’arbitraire, et si elles doivent être jugées et condamnées, c’est uniquement dans le cadre d’un procès équitable.

De plus, des journalistes sur place se sont vus arrêtés arbitrairement à plusieurs reprises et dans de nombreux cas condamnés à mort. En novembre 2020, Human Rights Watch a révélé  que 4 journalistes sont en ce moment détenus arbitrairement par les Houthis depuis 2015 dans des conditions indignes sans recevoir de soins médicaux adaptés à leur état. Arrêtés pour trahison et espionnage au profit d’États étrangers, ils ont été condamnés à mort le 11 avril 2020, sans procès équitable. C’est évidemment une nouvelle violation du DIH, qui offre un statut de  protection aux journalistes civils, comme prévu à l’article 79 du Protocole additionnel I, intitulé “Mesure de protection des journalistes”

“1. Les journalistes qui accomplissent des missions professionnelles périlleuses dans des zones de conflit armé seront considérés comme des personnes civiles au sens de l’article 50, paragraphe 1. 

2. Ils seront protégés en tant que tels conformément aux Conventions et au présent Protocole, à la condition de n’entreprendre aucune action qui porte atteinte à leur statut de personnes civiles et sans préjudice du droit des correspondants de guerre accrédités auprès des forces armées de bénéficier du statut prévu par l’article 4 A.4, de la IIIe Convention. 

Des arrestations de ce type sont réitérées  en septembre 2016 avec l’arrestation du journaliste Yahya al-Joubaïhi pour espionnage, également condamné à mort. Ces arrestations sont condamnées par l’Union des journalistes yéménites, Reporters sans frontières et Amnesty international. On peut par ailleurs imaginer que ces cas sont loin d’être isolés et que de nombreux journalistes souffrent, en ce moment même, d’incarcérations illégales.

Par ailleurs, les journalistes ne sont pas les uniques victimes d’arrestations arbitraires : le 30 janvier 2018, une jeune mère de famille est arrêtée et condamnée à mort pour être montée dans la voiture de deux hommes. Ceci représentant pour les rebelles un comportement indécent. Amnesty International les accuse par ailleurs d’utiliser la justice comme arme politique.

Enfin, les rebelles sont accusés de tortures, de disparitions forcées, de prises d’otages (par Human Rights Watch) mais également de militariser des hôpitaux (par Amnesty International) ou encore de détourner l’aide humanitaire à destination du peuple en la revendant pour obtenir des armes.

Ces pratiques sont évidemment prohibées par les règles du DIH, mais le détournement de l’usage d’un bien pose un certain nombre de problèmes, car si l’hôpital est finalement employé à des fins militaires, il deviendra une cible militaire légitime, bien que cela ne soustrait pas les belligérants à leur obligation de s’assurer qu’aucune victime civile n’est présente. En revanche, ce détournement constitue un acte de perfidie, visant à tromper l’adversaire, prohibé par l’article 37§1 du Protocole I

“Il est interdit de tuer, blesser ou capturer un adversaire en recourant à la perfidie. Constituent une perfidie les actes faisant appel, avec l’intention de la tromper, à la bonne foi d’un adversaire pour lui faire croire qu’il a le droit de recevoir ou l’obligation d’accorder la protection prévue par les règles du droit international applicable dans les conflits armés. Les actes suivants sont des exemples de perfidie :

a) feindre l’intention de négocier sous le couvert du pavillon parlementaire, ou feindre la reddition ;

b) feindre une incapacité due à des blessures ou à la maladie ;

c) feindre d’avoir le statut de civil ou de non-combattant ;

d) feindre d’avoir un statut protégé en utilisant des signes, emblèmes ou uniformes des Nations Unies, d’États neutres ou d’autres États non Parties au conflit.”

Par ailleurs, le détournement de l’aide humanitaire est également parfaitement prohibé : les belligérants ont au contraire l’obligation d’en faciliter l’acheminement, c’est une obligation coutumière régulièrement rappelée par les Nations Unies.

POURQUOI EST-IL IMPORTANT D’EN PARLER ?

Le Yémen est la pire situation humanitaire au monde pourtant ce dernier décide de l’ignorer. Conflit oublié, voir occulté. Il est pourtant fondamental de maintenir une médiatisation du conflit afin de ne pas laisser la violence tomber dans l’oubli. En effet, fermer les yeux sur l’horreur vécue par une population l’isole et lui donne le sentiment d’être abandonnée par la scène internationale, tandis que si chacun s’efforce de discuter et d’agir pour aider cette population, cette dernière se retrouve soutenue par d’autres peuples ce qui lui permettrait enfin de résister.

On a vu avec la guerre en Ukraine ce que pouvait engendrer une importante médiatisation :  un élan international de solidarité pour les civils ukrainiens qui se sont vus accueillis et aidés par de nombreux pays.

Ainsi, puisque agir directement n’est pas, pour une majeure partie de la population, une possibilité, il faut tout de même poursuivre cet effort commun de discussion et de sensibilisation aux atrocités subies par les Yéménites depuis maintenant des décennies.

Informer, c’est aider.

Léona-Lou Yves
Membre de l’ADHS


Photo de couverture : Un enfant de la ville de Ta’izz est assis sur les ruines de sa maison détruite par les bombardements, 22 août 2016.

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