“Je voulais juste que ça s’arrête”

L’écrivain Ernest Renan disait « Ce qui est désordre, violence, attentat au droit d’autrui, doit être réprimé sans pitié. » Les violences conjugales sont les trois à la fois et elles ne sont, malheureusement, aujourd’hui pas assez réprimées ni prévenues alors qu’elles pourraient et devraient l’être. En 2020, lors de l’arrivée de la pandémie de Covid-19, une hausse de 20% des victimes de violences conjugales a été enregistrée. Celles-ci ont concerné 159 400 individus dont 87% de femmes, et se sont soldées par 125 morts. En mars 2022, en France, seulement deux mois après le début de la nouvelle année, 21 féminicides sont déjà signalés. A l’échelle mondiale, la revue scientifique The Lancet a publié, au mois de février 2022, les résultats d’une étude se basant sur des données de l’Organisation mondiale de la Santé et menée entre 2000 et 2018, montrant que plus d’une femme sur quatre dans le monde a déjà subi des violences conjugales. Ici, nous nous intéresserons donc aux violences conjugales commises sur les femmes même s’il est important de rappeler que, dans une proportion inférieure, les hommes peuvent aussi en être victimes.

Dans sa Déclaration sur l’élimination des violences à l’égard des femmes adoptée le 20 décembre 1993 par son Assemblée générale dans la résolution 48/104, l’Organisation des Nations-Unies définit les violences conjugales comme « tous les actes de violences dirigés contre le sexe féminin, causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée. » Le sociologue français Daniel Welzer Lang, lui, définit la violence conjugale comme étant « l’utilisation paralysante et destructrice du pouvoir par lequel une personne impose à une autre sa vision de la vie, la contraint à la renonciation de toute idée, tout désir en opposition aux siens et l’empêche de penser et d’être elle-même ». Il convient également de préciser que les violences conjugales se retrouvent dans tous milieux sociaux confondus.

La psychologue américaine Léonore Walker, à l’origine de l’ouvrage The battered woman publié en 1979, définit un cycle de la violence en trois phases. Il est primordial de comprendre que l’agresseur est à l’origine de chacune des étapes de ce cycle. La première phase est celle d’accumulation où ce dernier est en proie à de nombreux sentiments négatifs tels que l’angoisse, la peur, la vulnérabilité. Un élément déclencheur, pouvant être un événement extérieur moindre, ou simplement un « trop plein d’émotions » aboutissent à la deuxième phase : l’explosion de la violence. Celle-ci paraît très souvent disproportionnée et aboutit à une violence aigüe rejetée sur la conjointe, victime de son innocence. Une dissociation avec son corps lui permet, d’une certaine manière, de se protéger de cette tentative de destruction. La honte, l’humiliation, la culpabilité, la remise en question sont des sentiments ressentis par cette dernière et accentués par la troisième phase : celle des remords. Une fois la deuxième phase passée, l’initiateur de cette terreur oscille souvent entre le déni des événements passés et les remords ardents et promesses vaines. En se servant de la profonde bienveillance et de l’amour considérable qui lui est porté, le conjoint plaide son profond mal-être et la nécessité presque vitale de sa conjointe pour être de nouveau heureux. Le choix de l’explication de ce cycle n’est pas anodin. En effet, celui-ci démontre la complexité humaine et l’adversité à laquelle la conjointe doit faire face pour en sortir. N’oublions pas que les violences conjugales  font plusieurs victimes, la femme, directement visée, mais aussi les enfants témoins de ces scènes, pouvant parfois être aussi des victimes directes, et en proie à cette spirale de la violence, et l’entourage de la victime et de l’agresseur. 

N’oublions pas non plus que les violences conjugales sont illégales. En droit international, l’ONU rappelle que ces violences privent les femmes de nombreuses libertés et droits fondamentaux consacrés par la Déclaration Universelle des droits de l’Homme et repris par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté en 1966 dont tout individu peut se prévaloir devant un juge. Parmi ceux-ci, sont retrouvés notamment le droit à la vie (article 6), le droit à la liberté et à la sûreté de la personne (article 9), le droit à l’égalité (article 3), et le droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (article 7). En droit français, l’article 222-14-3 du Code pénal condamne les violences psychologiques et l’article 222-13 du même code  précise que les violences physiques et psychologiques sont punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsqu’elles sont commises au sein du couple. Enfin, concernant les violences sexuelles, l’article 222-28 du Code pénal précise qu’une agression sexuelle au sein du couple est punie de sept ans d’emprisonnement et de 100 000€ d’amende, et son article 222-24 précise que le viol est puni de vingt ans de réclusion criminelle lorsqu’il est commis au sein du couple.

« Je voulais juste que ça s’arrête », tel est le titre que Jacqueline Sauvage a donné à son livre publié en 2017. Dans cet ouvrage, elle raconte les années d’emprise, de terreur et d’humiliation qu’elle a subies du fait de son mari violent, jusqu’à ce qu’elle commette l’irréparable pour s’en libérer. Plus qu’un simple titre, « Je voulais juste que ça s’arrête » incarne la situation de nombreuses femmes victimes de violences conjugales, qui ne cherchent qu’à se délivrer de leur bourreau. 

Le pôle Consultance et plaidoyer de l’ADHS se penche cette année sur le monde carcéral à travers la thématique de la surpopulation carcérale, et notamment des alternatives à l’incarcération. Dans cet article rédigé à l’occasion de la semaine du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, nous vous proposons de revenir sur les cas de ces femmes qui, face aux violences conjugales subies de la part de leur compagnon, n’ont trouvé comme “solution” que de mettre fin aux jours de celui-ci. Il s’agit tout d’abord de se pencher sur l’envoi inadéquat de ces femmes en prison au regard des fonctions attribuées à l’institution carcérale. Il s’agira ensuite d’étudier une possible évolution de la notion de légitime défense pour permettre d’éviter une condamnation aux femmes victimes de violences conjugales tuant leur bourreau. Enfin, il s’agira de souligner l’importance des moyens pouvant et devant être mis en place avec rigueur afin d’éviter des situations si dramatiques.

I. Une “double-peine” posant question au regard des fonctions dévolues à l’institution carcérale

La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 dispose dans son premier article que “Le régime d’exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions.” 

Les quatre fonctions de la prison sont ainsi : 

  • la rétribution, qui consiste à infliger à la personne condamnée une souffrance équivalente à celle subie par la victime en raison de son infraction
  • l’élimination ou la neutralisation, qui consiste en la mise à l’écart de l’individu 
  • l’intimidation ou la dissuasion, à la fois spéciale, c’est-à-dire à l’égard de l’individu pour le dissuader de récidiver, et générale, c’est-à-dire à l’égard du reste de la société pour le dissuader de commettre les mêmes faits pénalement incriminés
  • la réinsertion, qui consiste à, pendant la durée de l’incarcération, préparer la sortie de l’individu condamné pour permettre à celui-ci de se réintégrer dans  la société et ne plus commettre d’infractions 

Si l’efficacité  de ces différentes fonctions a pu être contestée, il s’agit ici d’étudier leur pertinence face à des femmes victimes de violences conjugales, dans une grande majorité des cas sous emprise, pour qui la seule solution envisageable afin de mettre fin à leur calvaire a été de mettre fin aux jours de leur mari violent. 

Sur la fonction de rétribution, impliquant de faire subir à la personne ayant commis l’infraction une souffrance équivalente à celle subie par sa victime, ne peut-on pas estimer que la femme victime de violences conjugales pendant des années a assez souffert ? N’a-t-elle pas déjà été assez punie pendant les nombreuses années, voire décennies, passées à subir des violences de manière quotidienne ? 

De plus, il est important de rappeler que, sur les 188 établissements pénitentiaires français, deux seulement sont réservés aux femmes : le centre pénitentiaire de Rennes et la maison d’arrêt de Versailles. A ces deux établissements s’ajoutent 56 quartiers femmes, dans des prisons d’hommes. Si le nombre de places disponibles pour les femmes détenues est supérieur au nombre de femmes effectivement incarcérées, cela ne signifie pas qu’elles ne subissent pas les effets de la surpopulation carcérale qui gangrène les prisons françaises, comme a pu notamment le constater la Cour européenne des Droits des l’Homme dans sa décision “J.M.B. et autres contre France” du 30 janvier 2020. Les établissements pouvant accueillir des femmes sont, dans de nombreux cas, éloignés de leurs domiciles, rendant difficile le maintien de leur liens avec leur famille, et cette répartition déjà désavantageuse entraîne la suroccupation de certains quartiers. La souffrance subie par la femme condamnée n’en est ainsi qu’aggravée. 

Sur la fonction de neutralisation, visant la mise à l’écart de la personne condamnée dans le but de protéger la société, il est possible de s’interroger sur sa pertinence face à des femmes victimes de violences conjugales, que cette même société a d’ailleurs échoué à aider, que ce soit par ignorance ou indifférence. Est-il vraiment possible d’affirmer que des femmes comme Jacqueline Sauvage ou Valérie Bacot représentent un danger pour la société ? Après avoir été affaiblie par les violences subies pendant de nombreuses années, les femmes jugées pour le meurtre ou l’assassinat de leur conjoint violent doivent faire face à la violence de l’institution judiciaire, qui leur demande, au cours du procès, de se replonger dans leurs années de souffrance. Parfois, elles doivent également faire face à la violence du traitement médiatique de leur affaire . 

Après avoir été graciée en décembre 2016 par le président de la République François Hollande, Jacqueline Sauvage s’est éteinte en juillet 2020, à l’âge de 72 ans, suite à son retour dans sa commune du Loiret, auprès de ses filles et de ses petits-enfants, afin de reprendre le cours de sa vie loin de l’attention médiatique . L’une de ses avocates, à l’annonce de son décès, a déclaré que Jacqueline Sauvage était, à la fin de sa vie, une femme qui se fatiguait et s’essouflait rapidement. Peut-on alors affirmer qu’une femme ayant subi pendant une grande partie de sa vie des violences conjugales, avant de subir la violence d’un procès, pouvant être très médiatisé, ne souhaitant  généralement que retrouver une vie “normale” auprès de sa famille, constitue une menace pour la société, imposant sa mise à l’écart de celle-ci ? 

Sur la fonction de dissuasion, qui se distingue entre une dissuasion spéciale et une dissuasion générale, il est difficile d’affirmer que la femme battue va récidiver, en tuant une autre personne. Il est également difficile d’affirmer, comme cela a pu être clamé par l’avocat général dans l’affaire Jacqueline Sauvage, que dispenser de peine d’emprisonnement une femme ayant été victime de violence pendant des décennies et qui n’a trouvé comme solution que d’ôter la vie de son bourreau serait un “permis de tuer”. Personne n’affirme que tuer une personne est une bonne chose, cependant, cette issue apparaît comme l’unique option pour une victime dont les appels à l’aide ne sont souvent pas entendus ou trop difficiles à formuler. De nombreux moyens peuvent être mis en oeuvre pour éviter que des femmes en soit réduites à cette option, tuer ou se laisser tuer, et il serait plus pertinent de chercher à régler le problème à la source, plutôt que d’imposer ce qui peut s’apparenter à une double peine en les envoyant en prison après des années à avoir été des prisonnières de leurs conjoints violents. Ainsi, il ne s’agit pas de dissuader les femmes de tuer leur mari, mais de faire en sorte que cette issue n’est plus à être une option pour elles.

Enfin, sur la plus récente fonction de réinsertion attribuée à la prison, il est important de rappeler que la prison est un facteur important de désocialisation, notamment pour les femmes qui, par faible nombre d’établissements ou de quartiers leur étant réservés, doivent souvent faire face à un éloignement de leur famille, pouvant  rendre leur détention encore plus difficile à supporter. De plus, de nombreuses femmes victimes de violences conjugales sont d’ores et déjà isolées par leurs conjoints. Pour espérer que ces femmes puissent un jour retrouver une vie “normale” au sein de la société, les envoyer dans un endroit risquant de les éloigner davantage d’une vie normale ne semble pas constituer une solution satisfaisante, et peut même constituer un obstacle supplémentaire à la réinsertion de ces femmes qui tendent, une fois libérées, que ce soit de leur mari ou de l’institution carcérale, à vivre recluses, ayant des difficultés à se réintégrer dans une société qui a échoué à leur venir en aide à temps. 

II. Une possible évolution de la loi française sur la notion de légitime défense

En 2021, les affaires Valérie Bacot et Alexandra Richard, des femmes victimes de violences conjugales ayant tué leur mari violent, ont de nouveau mis en lumière la notion de « légitime défense » dans le débat public français. 

En droit français, l’état de légitime défense tel qu’il est défini par l’article 122-5 du Code pénal doit répondre à trois critères cumulatifs :  se trouver « devant une atteinte injustifiée », commettre un « acte commandé par la nécessité de la légitime défense » et enfin la proportionnalité de cet acte de riposte. Cette définition requiert également la concomitance entre l’acte d’atteinte et l’acte de riposte. Dès lors, plusieurs avocats, organisations féministes militantes et personnalités politiques plaident pour introduire un état de « légitime défense différée » en droit français, c’est-à-dire supprimer le critère de concomitance requis pour l’instant par l’article 122-5 du Code pénal. 

Ces derniers prennent notamment pour précédent la décision Lavalée prononcée par la Cour Suprême du Canada le 3 mai 1990. En l’espèce, il s’agissait d’une femme, Angelique Lavallée, qui avait tué son mari après des années de violences conjugales. Elle fut acquittée en première instance grâce au rapport de l’expert psychiatre qui avait attesté d’un « syndrome de la femme battue ». Le psychiatre avait expliqué que la terreur et la violence permanentes qui furent exercés sur cette femme constituaient une menace l’ayant mené  à utiliser l’arme à feu pour tuer son conjoint. Dès lors, la Cour Suprême du Canada a élargi l’interprétation de la légitime défense telle que définie par le Code Criminel, permettant d’y incorporer le syndrome de la femme battue. Il revient toutefois au jury de décider au cas par cas si l’acquittement est justifié. 

Pour la première fois en France, le syndrome de la femme battue a d’ailleurs été reconnu dans le rapport d’expertise psychiatrique de Valérie Bacot. Concrètement, la possibilité d’invoquer le “syndrome de la femme battue” permettrait à la justice de prendre en considération l’état psychologique de la victime et de la juger en fonction dece dernier. Ainsi, il s’agit de “la prise en considération d’éléments, de mécanismes complexes psychiques et psychiatriques qui permettent d’expliquer ce qui se passe dans la tête d’une femme lorsque pendant des années elle a été fracassée par son compagnon et qu’elle n’a d’autre choix que finalement de passer à l’acte et ça, c’est très, très important et c’est très nouveau”, selon Maître Nathalie Tomasini, l’avocate de Valérie Bacot. 

Par ailleurs, des députés ont déposé une proposition de loi, le 11 septembre 2019, visant à instaurer une présomption de légitime défense pour violences conjugales. Cette dernière vise à ajouter à l’article 122-6 du Code pénal, traitant des cas dans lesquels un individu est supposé avoir agi en état de légitime défense, un 3° : « Pour se défendre contre son conjoint ou ex conjoint d’un acte d’agression, dans un contexte de violences répétées ayant engendré un syndrome de stress post traumatique établi par voie d’expertise. ». Toutefois, cette proposition n’a toujours pas reçu de suites à la commission des lois, et le Ministre de la justice actuel, a déclaré être  opposé à cette proposition car il s’agirait selon lui d’un “permis de tuer”. 

III. La nécessité d’une meilleure prise en charge des femmes victimes de violences conjugales

La difficulté de la parole chez les victimes est sans équivoque, et cela est dû en grande partie à leur piètre prise en charge par les forces de l’ordre. En 2015, l’enquête Virage menée auprès de 27 000 personnes âgées de 20 à 69 ans, a montré que moins d’une femme sur cinq victime de violences conjugales portait plainte et que, dans six cas sur dix la plainte n’avait pas de suites pénales. Sur les 125 840 femmes victimes de violences conjugales en 2019, seules 18% ont porté plainte. 

En 2019, 11 journalistes de la revue Le Monde ont mené l’enquête sur les 120 féminicides commis au cours de l’année 2018. Ils précisent qu’un tiers avait déposé plainte ou une main courante pour « violences » ou « menaces ». Il en ressort des erreurs informatiques dans le traitement des données et une absence de prise au sérieux de la menace due à une relativisation des faits. 

En 2021, le Ministre de l’Intérieur a annoncé que « 90% des femmes ayant porté plainte en 2020 pour des faits de violences conjugales étaient satisfaites de l’accueil en commissariats et gendarmeries ». A la suite de cela, le collectif de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, #NousToutes, a lancé un appel à témoignages. Ce dernier a reçu exactement 3496 témoignages dont 66% attestent d’une mauvaise prise en charge par les services de police et / ou de gendarmerie. Dans la plupart des cas, une banalisation des faits et un refus ou un découragement de prendre la plainte sont retenus. Il convient de rappeler que le refus de plainte est interdit légalement par l’article 15-3 du Code de procédure pénale.

La dangereuse défaillance des forces de l’ordre étant manifeste, des alternatives intéressantes et favorables ont été mises en œuvre, tardivement, afin de tenter d’y remédier. En octobre 2021, le Ministre de l’Intérieur et la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté ont annoncé l’expérimentation du dépôt de plainte chez un tiers pour les victimes de violences conjugales. Les autorités policières se déplaceraient dans un lieu choisi par la victime où la parole serait un peu moins difficile. Dans cette perspective, l’hôpital parisien Saint-Antoine AP-HP, depuis le 13 octobre 2020, procède à un recueil des plaintes pour les victimes de violences conjugales. Il a, au fur et à mesure, été rejoint par 87 autres hôpitaux aux quatre coins de la France en 2021. L’objectif est un dépôt de plainte entièrement dématérialisé d’ici 2023 a précisé le président de la République, Emmanuel Macron, le 15 septembre 2021. Néanmoins, nous ne pouvons qu’espérer une promesse effective et déplorer un report toujours plus important.

Nous déplorons aussi l’instauration imparfaite de mécanismes judiciaires tels que le bracelet anti-rapprochement ou le “téléphone grave danger” encore trop peu utilisés. Le bracelet anti-rapprochement est un outil, mis en place par une loi du 28 décembre 2019, permettant de surveiller les auteurs de violences conjugales, les empêchant ainsi de s’approcher, dans un périmètre défini, de leurs victimes. Celles-ci disposent d’un boîtier les localisant et leur permettant d’être en contact direct avec un téléopérateur. Toutefois, il aura fallu attendre presque deux ans pour que ce dispositif puisse s’appliquer aux condamnations rendues avant son entrée en vigueur. Concernant les “téléphones grave danger”, cet instrument permettant de joindre une téléassistance 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, évaluant la situation et passant ensuite la personne aux forces de l’ordre, seulement 2310 ont été déployés en 2021. 

Quant aux places d’hébergement, leur insuffisance ne fait aucun doute. En 2020, 6700 places d’hébergement étaient disponibles alors que 159 400 personnes étaient victimes de violences conjugales. Malgré leur augmentation à 7800 places en 2021, cela reste très largement en deçà de ce qui devrait être mis en œuvre. 

De plus, une meilleure information et une plus grande médiatisation du mécanisme, néanmoins approximatif, de l’ordonnance de protection, introduit par la loi du 9 juillet 2010, sont nécessaires. En effet, cet outil permet d’obtenir une protection judiciaire pour la victime et ses enfants et des mesures concernant l’exercice de l’autorité parentale et l’attribution du logement, sans passer par un dépôt de plainte, très souvent source d’une seconde violence pour cette dernière. La requête se fait ainsi directement auprès du juge des affaires familiales.. Des auditions séparées devant le juge peuvent être organisées et l’ordonnance peut être accordée même si l’agresseur ne se rend pas à l’audience à laquelle il était convoqué. Une demande de dissimulation d’adresse peut aussi être faite par la victime. Par ailleurs, la loi du 28 décembre 2019 renforce son caractère protecteur en consacrant un délai de six jours laissé au juge aux affaires familiales pour son prononcé. 

Constatant sa faible utilisation, un Comité national sur l’ordonnance de protection a été créé afin d’étudier ses résultats, de formuler des recommandations et de la faire connaître au grand public. Il en dresse un tout premier bilan pour l’année 2020-2021. Au terme de celui-ci, il est remarqué que le nombre de demandes a augmenté de 2018 à 2020 avec une hausse de 78,4%. Le taux d’acceptation connaît lui aussi une légère hausse, de 61,8% à 66,7%. Toutefois, ces chiffres restent très faibles, une faiblesse pouvant s’expliquer par l’obligation qu’a la victime de démontrer un réel danger et l’évaluation du juge de la vraisemblance des violences. Une scandaleuse relativisation des faits encore bien trop présente, que le Comité recommande justement de supprimer. Ce dernier milite également pour l’effectivité du retrait des armes de l’agresseur, la valorisation des avocats et des associations dans l’accompagnement juridique et social des victimes, la poursuite de la formation des professionnels concernés et une plus large communication de l’existence de l’ordonnance de protection auprès des professionnels et des femmes. Une autre recommandation concernant sa durée pourrait être formulée. En effet, une durée maximale de six mois avec seulement trois cas de dérogation, une requête en divorce, de séparation de corps, ou une demande relative à l’exercice de l’autorité parentale, est insuffisante, notamment au regard de la lenteur des procédures pénales.

Enfin, si la prise en charge des victimes de violences conjugales par les forces de l’ordre s’avère défectueuse, il apparaît ainsi que leur prise en charge par l’institution judiciaire peut, elle aussi, laisser à désirer sur certains aspects. L’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM), où sont formés les futurs juges et procureurs de la République, propose dans son programme de formation initiale, d’une durée totale de trente-et-un mois, comme dans son catalogue de formation continue, des sessions consacrées à la thématique des violences au sein du couple et à la prise en charges des victimes. Il est également possible aux élèves-magistrats, à travers leurs stages en juridiction, d’une durée totale de dix mois, d’être confrontés à de tels cas et d’être ainsi sensibilisés à ces thématiques. 

Cependant, des témoignages de femmes victimes de violences conjugales ayant pu porter leur cause devant l’institution judiciaire révèlent que les magistrats peuvent se montrer peu sensibles voire accusateurs envers les victimes. Certaines d’entre elles, ayant déjà dû surmonter l’épreuve de raconter pour la énième fois leur calvaire en public, témoignent qu’elles ont pu se sentir rabaissées voire humiliées par des juges ou des procureurs.  De plus, certaines condamnations sont ressenties comme insuffisamment sévères par les victimes, pouvant leur donner l’impression d’avoir entrepris de longues et difficiles procédures pour au final ne pas être prises au sérieux, face à des condamnations avec sursis ou ne permettant pas d’assurer l’éloignement du conjoint ou ex-conjoint violent. Se pose également le problème du cas où l’agresseur fait appel de sa condamnation. En effet, en matière pénale, l’appel a un effet suspensif, ce qui signifie que les effets du jugement sont suspendus jusqu’à ce que la juridiction d’appel ne statue. Dans ce laps de temps séparant les deux décisions de justice, la victime peut ainsi perdre les mesures de protection lui ayant été attribuées par le juge. 

Il apparaît enfin, comme le déplore Ghada Hatem, fondatrice de la Maison des femmes de Saint-Denis, que la justice n’est tout simplement pas pensée pour les victimes, mais qu’elle est là pour “punir l’agresseur”. En effet, la justice pénale, fondée notamment sur une fonction de rétribution, n’a pas pour objet de réparer le préjudice subi par la victime, pour l’aider à se reconstruire et aller de l’avant, mais bien de punir l’agresseur. Celui-ci, en enfreignant la loi, a porté atteinte à la société toute entière, et c’est pour cela qu’il doit être puni. 

Conclusion

Ainsi, l’intransigeance doit devenir le maître mot en matière de violences conjugales et, plus généralement, de violences sexistes. Une prise de conscience sur l’indescriptible gravité de ces comportements semble plus que nécessaire, et une lutte permanente et intraitable contre ces derniers est primordiale afin d’éviter des situations dans lesquelles des femmes se retrouvent face à l’option de mettre fin aux jours de leur bourreau pour échapper à leur calvaire.

Cette lutte doit concerner chacun et chacune d’entre nous. Dans cette optique, voici quelques pistes pour faire face à une situation de violences conjugales. 

> Si vous êtes victime 
  • Les numéros d’urgence : 
    • SAMU : 15
    • Police et gendarmerie : 17
    • Pompiers : 18
    • Pour les personnes sourdes et malentendantes : 114 
    • Numéro d’urgence européen : 112
  • Numéro vert gratuit et anonyme pour les femmes victimes de violence accessible 24h/24 et et 7 j/7 : 39 19

Le site Arrêtons les violences permet de trouver une association près de chez soi, afin de pouvoir s’adresser à des personnes familières avec les démarches à entreprendre afin de se mettre en sécurité et d’éloigner un conjoint violent. 

Il est également possible de s’adresser à un commissariat ou à une gendarmerie : 

  • Pour déposer une main courante : la main courante est une manière de déclarer des faits aux autorités sans pour autant engager des poursuites pénales à l’encontre de leur auteur. La main courante a ainsi une simple portée déclarative, qui permet à la victime de potentiellement se prévaloir de cette trace officielle si la situation venait à s’aggraver et qu’elle décidait de porter plainte. 
  • Pour porter plainte : si la situation s’aggrave et que la victime décide qu’elle souhaite poursuivre pénalement son agresseur, il lui est possible de porter plainte. L’article 15-3 du Code de procédure pénale dispose dans son premier alinéa que “Les officiers et agents de police judiciaire sont tenus de recevoir les plaintes déposées par les victimes d’infractions à la loi pénale, y compris lorsque ces plaintes sont déposées dans un service ou une unité de police judiciaire territorialement incompétents. Dans ce cas, la plainte est, s’il y a lieu, transmise au service ou à l’unité territorialement compétents.” Les fonctionnaires de police et de gendarmerie sont dans l’obligation de prendre votre plainte. Cependant, en cas de refus, il vous est également possible de porter plainte auprès du procureur de la République. 

> Si vous êtes témoin

Si vous suspectez qu’une personne de votre entourage est victime de violences conjugales, il vous faut procéder avec précaution. Tout d’abord, n’essayez pas de confronter l’agresseur présumé, ce qui pourrait mettre sa victime plus en danger qu’elle ne l’est déjà, en lui faisant courir le risque d’être victime de représailles. Vous pouvez en revanche essayer d’en parler avec la victime directement, et lui montrer que vous êtes là pour la soutenir. Cependant, si vous n’avez pas ou peu de connaissances juridiques, il risque de vous être difficile d’apporter tout le soutien dont cette personne a besoin. La personne victime de violence, si elle se confie à vous, peut vous demander de ne parler à personne de ce qu’elle vous confie. Parler à un tiers sans son accord risque de lui faire perdre la confiance qu’elle vous avait accordée, et de se retrouver à nouveau isolée. Essayez plutôt de l’inciter à contacter une personne tierce, par exemple une association, d’elle-même, en lui montrant qu’elle n’est pas seule et que de nombreuses personnes peuvent l’aider. 

Lou Lachenal, Louise Meirieu et Romy Ntsoenzok, membres du pôle Consultance et plaidoyer de l’ADHS

Sources

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