Partons de la définition du mot « roman » : « œuvre d’imagination constituée par un récit en prose d’une certaine longueur, dont l’intérêt est dans la narration d’aventures, l’étude de mœurs ou de caractères, l’analyse de sentiments ou de passions, la représentation du réel ou de diverses données objectives et subjectives ; genre littéraire regroupant les œuvres qui présentent ces caractéristiques. »1 Le roman est donc le fruit d’une imagination ; celle de son auteur.
A l’audience du 22 novembre 2021 et contre toute attente, les bancs réservés au public étaient déserts. La journaliste de l’AFP fut d’emblée prise à partie par la présidente sans que personne ne comprit grand-chose à ce qu’on lui reprochait, pas même et surtout ses assesseurs. Cet étrange aparté fut le seul signe que se jouait là, peut-être, la résolution d’une affaire « médiatique » censée exciter le chaland et résonner au-delà de l’île de la cité… Pourtant, les bancs sont restés déserts. Je suis donc, peu ou prou, le seul témoin privilégié d’une audience disséquée et fantasmée par tous ceux qui n’y ont pas assisté.
Les faits examinés par la cour se sont déroulés dans la nuit du 24 au 25 décembre 2012, à Paris.
Un jeune homme alors inconnu, étudiant-normalien se rêvant écrivain, se rend chez ses deux amis pour le réveillon de Noël. Le premier est son professeur, son mentor, celui grâce à qui il a quitté la Picardie pour rejoindre Paris, celui qui croit en lui et en ses talents d’écrivain. Le second, sociologue confirmé et amant du premier, est tout aussi admiratif du talent de l’écrivain en herbe. La soirée touchant à sa fin, l’étudiant décide de rentrer chez lui. Tous trois se donnent rendez-vous le lendemain au restaurant le Select, dans le 6ème arrondissement. Sur son chemin, l’étudiant croise un homme du même âge que lui, d’origine kabyle, s’exprimant difficilement en français. Ils se regardent, se parlent comme ils peuvent et se plaisent. L’étudiant décide de l’emmener chez lui et tous deux font l’amour toute la nuit. Au cours de leurs ébats, un préservatif craque. A l’aube du 25 décembre 2012, l’écrivain cherche son téléphone portable, trouve sa tablette dans les poches du manteau de l’étranger, et l’accuse de vol. L’étranger lui rend sa tablette, s’excuse et dément fermement lui avoir volé son téléphone. Tous les deux le cherchent dans l’appartement, sans succès. L’étranger part, et l’étudiant reste seul chez lui.
Cette nuit aurait pu s’évanouir dans les songes des deux hommes, simplement pour ce qu’elle était : un coup d’un soir. C’était sans compter que l’écrivain devait retrouver les deux personnes qu’il admirait le plus le lendemain, qu’il ne pouvait plus les joindre, qu’il fallait bien leur expliquer le vol de son téléphone portable, et qu’il devait bénéficier, en urgence et à l’hôpital, d’un traitement préventif VIH.
Au petit matin donc, celui qui n’est encore qu’un étudiant-normalien envoie à ses mentors un premier mail pour tenter de leur expliquer le vol de son téléphone. Le premier des deux, compagnon du professeur, s’empressa de lui répondre : « tu as encore fait monter un rebeu chez toi ? ». Et le professeur en question, fâché, d’appeler l’étudiant à plus de prudence. Dépité et honteux, l’étudiant leur répond : « Ne me blâmez pas. J’ai été violé ».
Quelques heures plus tard, en terrasse, l’écrivain en herbe explique à ses mentors les circonstances de sa prétendue agression : le « rebeu » avec qui il avait fait l’amour toute la nuit a tenté, au petit matin, de l’étrangler avec une écharpe et l’a violé sous la menace d’un « gun ». Il explique s’être rendu aux urgences quelques heures après pour se voir administrer un traitement préventif contre le VIH. A cette occasion précise-t-il, les médecins lui auraient dit que c’est par miracle qu’il avait échappé à la mort. Ces médecins et professionnels de santé ont, en réalité, établi un certificat médical fixant l’ITT de la « victime » à… un jour.
Ses mentors, horrifiés et bouleversés par le récit de leur ami, l’incitent alors à déposer plainte, « pas seulement pour lui, mais aussi et surtout pour les autres victimes ». L’écrivain en herbe refuse, puis devant l’insistance de ses amis, finit par s’y résoudre. Tous trois se rendent au commissariat du VIème arrondissement de Paris et la machine judiciaire s’enclenche. Enquête préliminaire, prises d’empreinte sur le verre bu par l’étranger, ouverture d’information judiciaire… Mais dès le lendemain de sa plainte, le normalien ne se renseigne plus jamais sur la procédure en cours, ne constitue pas avocat, et se moque bien des investigations entreprises. La procédure se poursuit sans lui, malgré sa totale indifférence.
Un an plus tard, il devient l’écrivain célèbre qu’il rêvait d’être, en publiant le récit de son enfance picarde, malheureuse et violente, marquée par l’homophobie.
Trois années après cette nuit de Noël, en décembre 2015, il publie « Histoire de la violence », récit consacré au prétendu viol dont il a assuré avoir été victime. L’argument commercial est le suivant : ce livre n’est pas un roman, il relate les faits dans leur plus pure exactitude et fige la réalité, rien que la réalité. Tout ce qu’il contient dans la moindre virgule est la vérité, et tout ce qui est écrit, dans les moindres détails, correspond au récit exact de ce qu’il s’est passé cette nuit de Noël.
Mais en pleine promotion de son ouvrage et alors que l’écrivain multipliait les interviews sur ce « roman » censé figer la réalité de ce qu’il s’était « vraiment » passé, survint un élément auquel il ne pouvait s’attendre : l’étranger fut arrêté en possession de quelques grammes de shit, placé en garde à vue, et confondu par ses empreintes. Le roman vérité fut alors mis à l’épreuve de la réalité d’une interpellation, d’une mise en examen pour viol, d’une incarcération et d’une détention qui a perduré onze mois et quatorze jours.
Devant la cour d’appel, son avocate a décrit le piège dans lequel l’écrivain s’est enfermé, emportant avec lui l’étranger qu’il a sacrifié. La marque de fabrique et la force de son livre était la vérité et la pure authenticité de ce qu’il décrivait : l’écrivain ne pouvait donc plus faire marche arrière en avouant avoir menti. Jamais il n’avait pensé que l’étranger serait un jour arrêté : il ne s’est pas même renseigné sur la procédure, n’a jamais constitué avocat, et n’a pas non plus cherché à savoir des années plus tard quel traitement judiciaire avait été réservé à sa plainte. Lorsque l’étranger fut mis en examen et incarcéré, l’écrivain s’est accroché à sa prétendue « pensée bourdieusienne » pour assurer à la juge d’instruction et l’experte psychologue qu’il était contre la prison et qu’il réclamait un non-lieu. Et l’avocate de la défense de rappeler que son confrère s’était pourtant rendu devant la chambre de l’instruction pour rappeler que l’étranger détenu ne disposait pas de garantie de représentation, était sans papiers et sans domicile fixe. Il est pourtant de coutume, chez les avocats pénalistes, de ne jamais peser sur la détention provisoire des justiciables présumés innocents.
En décembre 2020, l’étranger a été relaxé des violences sexuelles dénoncées par l’écrivain qui, toujours pétri de pensées bourdieusiennes, s’est empressé d’interjeter appel avant le parquet.
Retour à l’audience du 22 novembre 2021, donc, devant la cour d’appel de Paris.
Un des conseillers se livre à un rappel des faits, assez dense, relativement précis, plus ou moins à charge. A l’intimé désormais de pouvoir s’exprimer. Le choix lui est donné de se taire, de faire des déclarations ou de répondre aux questions de la cour. L’étranger est fatigué de répéter encore et toujours la même chose, et maintient avoir dit la vérité tout au long de la procédure. Constatant une nouvelle fois l’absence de l’écrivain à qui il n’a jamais pu être confronté, il maintient ses dénégations et explique ne plus vouloir répondre aux questions de la cour. Il est usé, tout simplement. La présidente, étonnée, interpelle son avocate qui, étrangement, est obligée de rappeler à la cour qu’il exerce tout simplement son droit.
La Présidente s’empresse alors de préciser que, certes, le droit de ne pas répondre aux questions de la cour est un droit absolu, mais que ce choix pèsera nécessairement sur l’examen des éléments portés à sa connaissance au cours du procès, et risque fort, somme toute, de porter préjudice à l’intimé. Se dégage soudain, entre les murs de cette enceinte judiciaire, un goût rance de troc forcé entre des droits constitutionnellement protégés et une pratique judiciaire qui les met à mal pour mieux affaiblir ceux qui en usent. Et puis, ce reproche à peine voilé à l’attention de l’intimé sonne étrangement face à l’absence assumée et réitérée de son accusateur, qui n’a jamais daigné se présenter devant les juges du fond, que ce soit en première instance ou en cour d’appel.
Ce fut donc le positionnement de cette même Présidente qui eut, après deux heures d’audience à peine, les paupières si lourdes qu’elle ne put s’empêcher de les fermer après le rappel des faits… Et résonne alors, en nous et en rêve, la voix de Maître de Moro-Giafferi scandant aux magistrats « la cour, dans son sommeil, n’entend pas ma voix. ». Le président lui répliquant : « La cour, dans son réveil, vous suspend pour trois mois. », et l’avocat ripostant : « Plus fort que la cour, je me suspends pour toujours ! »
Trop usé et las de répéter encore et encore sa même version des faits, l’intimé, assisté d’un interprète, se mura rapidement dans le silence. Et je songeais à la présence de cet interprète, capable autant que moi de mettre des mots sur son silence, qui fit pourtant défaut tout au long de la garde à vue de cet étranger…
Tandis que l’intimé se rassoit sur son siège, le dos vouté, face à son avocate, le témoin cité par la partie civile s’avance à la barre. L’avocat de l’écrivain prend alors soin de préciser à la cour, on ne plus maladroitement, que lui et le témoin se connaissent, qu’ils sont amis et qu’il souhaiterait donc être autorisé à le tutoyer lorsque viendra son tour de lui poser des questions. La présidente, dubitative et visiblement agacée, lui demande de le vouvoyer. Le témoin explique alors avoir vu son ami au Select le lendemain des faits, après avoir reçu le fameux mail que celui-ci, sans téléphone portable, lui avait écrit quelques heures plus tôt. Le témoin décrit l’écrivain comme « livide » et dans un état traumatique. Sans aller jusqu’à leur mentor commun qui décrivait, en première instance et avec moult précisions, des « plaies béantes » perçues sur le cou de la partie civile, le témoin assurait avoir vu des bleus impressionnants au niveau de son cou. Rappelons le certificat médical des UMJ : un seul jour d’ITT et deux ecchymoses en guise de plaies béantes.
S’ensuit alors la plaidoirie de l’avocat de la partie civile. Un avocat assez hargneux, prêt à vociférer sur sa consoeur alors qu’elle lui fait remarquer que les pièces sur lesquelles il se fonde n’ont pas été versées au débat contradictoire, se permettant de tacler un expert judiciaire d’homophobe, évoquant le témoin qu’il avait fait lui-même citer en première instance en des termes si peu élogieux que nous n’oserions même pas les restituer, faisant énergiquement signe à sa collaboratrice de se taire, et rappelant à plusieurs reprises, avec toute l’élégance qui le caractérise, l’irrégularité du séjour de l’étranger au moment des faits. Pour couronner le tout, il s’est autorisé à interrompre sa consœur au cours de sa plaidoirie – un sacrilège pour tout avocat digne de porter la robe. Préférant rappeler ses liens d’amitié avec son client, l’avocat s’est échiné à expliquer que l’écrivain qu’il représentait ne se rendait pas sur n’importe quel plateau télé avant d’égrainer, durant un laps de temps considérable, ses succès littéraires et artistiques. In fine, l’avocat de l’écrivain devenu célèbre ne semblait rêver que d’une chose : se nover en procureur de la République ou épouser la vie de son client, en dehors de cette encombrante affaire.
Cette plaidoirie a résolument marqué un basculement du procès : on comprenait alors qu’il était moins question de caractériser l’infraction que d’encenser l’oeuvre d’un jeune écrivain, assurément prodige.
Le parquet et son réquisitoire lacunaire.
La représentante du ministère public s’est livrée à un développement tendant à expliquer et justifier l’absence de la partie civile au procès, partant du constat que nombreuses sont « les victimes de viol » ne se présentant pas aux procès de leurs bourreaux par peur de se retrouver dans la même pièce.
Passons sur l’utilisation des termes de victime et de viol, alors qu’il n’aura échappé ni à l’avocate générale ni aux magistrats du siège que l’enceinte dans lequel nous nous trouvions était bien celle d’une cour d’appel correctionnelle, et qu’en l’absence d’une décision de justice définitive prononçant la culpabilité du prévenu relaxé en première instance, il eut été préférable d’évoquer la « partie civile » plutôt que la victime. Ces amalgames gravissimes pour les droits de la défense et l’équité du procès deviennent, paraît-il et malheureusement, monnaie courante dans les enceintes judiciaires. Ils ne sont pour autant pas anodins tant ils reflètent la nécrose de la Justice par la sphère médiatique.
Après un réquisitoire sommaire et, pour tout dire, d’une pauvreté confondante compte tenu du fait que le parquet était à l’origine de l’appel dont la cour était saisie, la procureure a requis la confirmation de la culpabilité de l’étranger (tant sur l’agression sexuelle que sur le vol avec violence du portable de l’écrivain), et sa condamnation à quatre ans de prison dont deux ans assortis d’un sursis.
Pour épicer son réquisitoire qui ne risque pas de rester dans les annales de l’histoire judiciaire, la procureure a par ailleurs demandé à la cour de prononcer à l’encontre de l’étranger une interdiction de se trouver aux abords des « discothèques du marais ». Pour les autres discothèques de Paris, de France et de Navarre, on repassera. On croyait avoir touché le fond, on creuse encore…
Ce fut ensuite à la défense de plaider. Ce délicieux moment où l’on a, enfin, rendez-vous avec le droit. Une avocate pénaliste, cheveux en bataille, se lève. Lorsqu’elle était arrivée dans la salle d’audience, un détenu menotté se trouvait dans le box. Il était accompagné d’un interprète mais n’avait apparemment pas d’avocat. Instantanément, elle lui a demandé s’il avait besoin d’être assisté.
Les gesticulations de l’avocate, ses froncements de sourcils, sa manière de hocher la tête tout au long de l’audience ont laissé transparaître sa lassitude. Sa lassitude à l’égard d’une instruction durant laquelle elle estime « qu’il a été difficile de faire exister les droits de la défense », expliquant qu’elle ne pouvait même pas taper à la porte du cabinet du magistrat instructeur, contrainte alors d’envoyer des fax alors même qu’elle se trouvait dans le couloir.
Une information judiciaire qui ne lui a pas non plus permis de questionner le plaignant qui, successivement, accablait son client, puis se dédisait, suppliant alors son avocat de tout faire pour que l’instruction s’arrête et se conclut par un non-lieu. Sûrement de fâcheux relents bourdieusiens.
Elle considère que cette impossibilité pour l’accusé de questionner celui qui l’accuse viole les dispositions de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, et se fonde pour cela sur plusieurs jurisprudences de la convention éponyme. Enfin, on aborde des points de droit. Il était temps.
L’avocate de la défense démontera absolument tout. Point par point. Contradiction par contradiction. Elle rappelle avec fermeté qu’ « une souffrance ne peut pas et ne doit pas caractériser une infraction pénale ». Elle décrit des témoins qui ne sont in fine que des « porte- paroles » d’une partie civile qui a toujours refusé de se présenter devant les formations de jugement. Sur les putatifs préjudices physiques subis par l’écrivain, relatés à la fois par son avocat et son ami- témoin, elle interroge : « où sont les certificats médicaux attestant cela ? ».
La peur de se confronter à son prétendu bourreau ? L’avocate écarte cette assertion et explique avoir demandé à ce que l’écrivain réponde à ses questions en présence de son avocat, du juge d’instruction, mais en l’absence de son client détenu. Nouveau refus de l’écrivain justifié par un acte qui risquerait de le fragiliser, jamais par la prétendue terreur que lui inspirerait le prévenu.
Elle aborde également les failles d’une enquête qui conduisent à ce que des questions demeurent sans réponse… Et même s’il est difficile d’affirmer encore cela dans nos sociétés modernes, le doute doit profiter à l’accusé.
Elle se veut critique à l’égard des conclusions des experts judiciaires qui « ont écrit tout et n’importe quoi avant de conclure que les éléments versés au dossier sont compatibles tant avec le récit du prévenu que celui de la partie civile ». Surtout, assène-t-elle à l’endroit de l’un d’eux qui avait osé conclure à l’existence d’une une relation sexuelle consentie : « un expert ne peut pas conclure à l’absence ou à l’existence du consentement, c’est contraire aux principes de la matière expertale ! », cette appréciation relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond.
L’avocate varie les tons : assez vindicative pour mettre en lumière les contradictions incessantes du plaignant, une voix plus posée lorsqu’il s’agit d’aborder les éléments à décharge pour son client, parvenant ainsi à instaurer des moments d’intimité avec les magistrats.
Elle rappelle la lettre du jugement de première instance qui avait estimé que les déclarations de l’écrivain étaient inconstantes et incohérentes.
L’avocate a également un mot pour son confrère : « l’avocat pénaliste le sait, il ne peut défendre ni son fils ni sa femme ni son meilleur ami, parce qu’il le défendrait nécessairement mal ».
À la fin de la plaidoirie de la défense, que reste-t-il ? Aucun élément objectif et factuel permettant d’établir le début du commencement de l’élément matériel. Mais surtout et substantiellement, une déconcertante impression d’avoir été pris, au tout début du procès, dans un récit fictionnel qui avait pour dessein d’entrer par effraction au sein de l’institution judiciaire. Comme une sensation étrange et peu agréable de palinodie judiciaire.
Au réveil de cette nuit autour de laquelle se sont cristallisés les débats, l’écrivain fut confronté à un constat qui lui était insupportable. Lui était « monté » à Paris pour réussir, pour s’émanciper d’une condition sociale et familiale qu’il a longtemps reniée, pour devenir un écrivain célèbre et reconnu, pour satisfaire aux exigences de ce « mentor » qui l’avait encouragé et aidé à continuer son cursus universitaire à Paris. Il se retrouvait finalement un matin de Noël avec un bel inconnu rencontré la veille, « un rebeu » de surcroît, dont il ne savait plus s’il était là parce qu’il lui plaisait vraiment ou parce qu’il était intéressé par les biens qu’il pouvait lui dérober. Ses troubles narcissiques – constatés par l’expert judiciaire – se voyaient alors ravivés et bousculés.
La dissonance toute particulière entre cette nuit et l’intelligentsia germanopratine à laquelle il a tant aspiré fut alors à son comble, et nécessairement insupportable.
Le 7 février 2022, la Cour d’appel de Paris a confirmé la relaxe de l’étranger prononcée en première instance. Mais les juges d’appel sont allés encore plus loin en requalifiant les faits de vol avec violence en vol simple. Les magistrats du siège n’ont même pas fondé leur relaxe sur le fait que l’écrivain ait toujours refusé d’être confronté à son prétendu agresseur ou de se présenter devant les juridictions de jugement. Ils ont simplement considéré qu’il n’existait aucun élément permettant d’attester de la réalité des allégations de l’écrivain.
Au prononcé de la relaxe de celui à qui il a fait endosser tous ses maux, le romancier s’est fendu d’un message sur les réseaux sociaux se comparant, toute honte bue, à Primo Levi, écrivain italien emprisonné dans le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz… A essayer de qualifier cette comparaison, nous épuiserions le champ lexical de l’indécence.
Ses deux « porte-paroles » se sont également empressés, chacun leur tour, de lui témoigner publiquement leur soutien tout en fustigeant l’institution judiciaire, mais ils ne font en rien oublier que leurs témoignages ont été considérés par la Justice – et c’est bien cela qui importe – comme ineptes à corroborer une quelconque accusation.
L’avocate du relaxé, quant à elle, a tenu à expliquer avec force mais tout en sobriété que son « client est innocent et le clame depuis dix ans. Sa présomption d’innocence a été bafouée toute une décennie durant. Cet arrêt montre à quel point la justice ne doit être rendue que par les magistrats. J’espère que cette décision mettra un terme à ce qui fut profondément choquant non seulement pour mon client mais pour l’État de droit. »
Là encore, l’avocat de la défense était une femme. Et elle a – encore – brillé.
Ces neuf années de procédure ont donc traduit l’histoire douloureuse, pour l’ensemble des protagonistes, d’une nuit parisienne si banale qui nous ferait presque sourire à son évocation si la folie des hommes et des egos n’en avait pas décidé autrement.
Mais quid de la réparation des préjudices causés au relaxé ? Oui, quid de ses préjudices causés à lui. Car ils sont pluriels. Au-delà d’une demande de réparation par l’Etat de ces interminables mois de détention, il y a dans la vie d’un homme des moments qui marquent, abîment, détruisent de l’intérieur un innocent. Un innocent qui a vu son honneur bafoué par une infernale machine judiciaire précipitée par la sortie d’un roman, adapté par la suite en pièce de théâtre, jouée à Paris, à Berlin. Il n’y aura que l’oeuvre du temps qui apaisera cette flétrissure.
Cet étranger qui essaie tant bien que mal aujourd’hui de se reconstruire loin de Paris et par son travail, a été pendant près d’une décennie la cible d’une accusation ignominieuse et mensongère.
Il fut l’objet et l’instrument d’une narration fictionnelle à laquelle il était totalement étranger, et dont la vérité judiciaire a réussi, finalement, à s’extirper de justesse.
Pauline Gamba-Martini, membre de l’ADHS
1 Définition dictionnaire Larousse