Le condom stealthing (traduit de l’anglais comme « discrètement » ou encore « furtivement ») désigne le retrait non consenti du préservatif. En effet, il consiste en un retrait par un partenaire sexuel du préservatif pendant l’acte sexuel, à l’insu de l’autre partenaire. Cette pratique appréhendée dans certains pays comme un viol ou une agression sexuelle va à l’encontre du principe de consentement, clé de voute de toute relation sexuelle.
En 2019, une étude américaine portée par Jacob Institute of Women’s Health,[1] met en lumière des chiffres assez préoccupants. Sur un panel de 503 femmes interrogées âgées entre 21 et 30 ans et présentant des caractéristiques de risque sexuel accrues, 12% ont été victimes de retrait non consenti de préservatif, au moins une fois dans leur vie. L’étude réalisée par un juriste a marqué un tournant en ce que pour la première fois, un mot a été mis sur cette forme d’agression sexuelle.
La même année, des chercheurs de l’Université Monash en Australie[2], ont découvert qu’une femme sur trois et qu’un homme sur cinq ayant des relations sexuelles avec un homme ont été sujets à ce genre de pratique.
A. Le cas des États Unis : La reconnaissance d’une faute civile
En réaction à cette étude, aux États-Unis, le gouverneur californien, Gavin Newsom a signé ce jeudi 7 octobre 2021, un projet de loi bipartisan qui interdit le retrait non consenti de préservatif. La nouvelle législation ajoute cet acte à la définition civile des violences sexuelles, faisant de la Californie le premier État américain à rendre le stealthing illégal.
Depuis des années, la députée Cristina Garcia, travaille pour proposer des différentes versions de lois pour qualifier la pratique comme une infraction pénale. Mais, la qualification criminelle a été délaissée au profit de celle de faute civile, qui a été adoptée sans opposition par l’assemblée législative de Californie.
Aujourd’hui, la loi rendant illégal le retrait non consenti du préservatif, offre aux victimes un recours juridique pour cette agression précise. Ainsi, les victimes, peuvent poursuivre les délinquants en dommages et intérêts, mais, aucune accusation pénale ne peut être portée. C’est déjà une première victoire pour la députée même si elle soutient toujours le fait que cette agression devrait figurer dans le Code pénal.
A travers les différentes positions, la question fondamentale qui alimente le débat autour du condom stealthing est : « Si le consentement a été brisé, n’est-ce pas la définition du viol, ou de l’agression sexuelle ? »[3] que la députée Cristina Garcia avait relevé après l’adoption de la loi et le choix de la qualification civile.

B. Le cas en France : Un flou juridique
Récemment, en France, à travers le réseau social Twitter, de nombreuses femmes ont témoigné et fait part de leurs expériences. Cependant, le vide juridique concernant cette pratique précise, conduit les victimes à ne pas pouvoir porter plainte.

En effet, toute la complexité de la reconnaissance juridique réside dans l’incertitude de savoir si le consentement a été donné pour l’entièreté de la relation sexuelle ou simplement pour la relation sexuelle sous condition du port du préservatif.
Autrement dit, le consentement a-t-il été donné au préalable seulement pour une relation sexuelle avec préservatif ? L’avocat pénaliste au Barreau de Paris, Avi Bitton, a suggéré la qualification de « viol par surprise »[4] tout en soulignant toute la complexité d’une telle qualification notamment vis-à-vis des preuves.
1. Viol par surprise ?
En droit, l’article 222-23 du Code pénal, définit le viol comme : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». Ici, le Code pénal français intègre la notion de surprise pour qualifier un viol, ce qui fait écho incontestablement au consentement de la victime.
D’ailleurs, la jurisprudence et notamment la chambre criminelle de la Cour de cassation a apporté son éclaircissement quant au viol par surprise. A cet égard, il est reconnu lorsque la victime était inconsciente, endormie ou en état d’alcoolémie.[5]
Afin de caractériser l’infraction pénale de viol par surprise, il convient tout d’abord de déterminer l’élément matériel puis l’élément moral. Il faut alors, un acte de pénétration sexuelle par surprise, puis, la volonté d’imposer cet acte non consenti à une victime.
L’auteur a alors conscience du défaut de consentement de la victime. Cependant, dans le cas du retrait non consenti du préservatif, en soit, le consentement pour l’acte a déjà été donné par la victime dans la plupart des cas. Ce sont donc des relations consenties mais le défaut de consentement joue a posteriori, c’est-à-dire pendant l’acte et lors du retrait. Cela, sous-entend alors, qu’il y a deux consentements, rendant l’appréciation de l’élément moral d’autant plus complexe.
L’émergence de ce phénomène et la délicate qualification en droit ne fait que mettre en lumière la difficile définition du consentement. De surcroit, dès lors qu’aucune définition n’a été donnée par le Code pénal.
Ainsi, toute la complexité et le malaise pour les victimes et pour les avocats qui les accompagnent, réside dans le fait d’expliquer aux agents ou officiers de police judiciaire qui prennent la plainte ou encore au juge, que tout a été consenti sauf le retrait du préservatif. La victime, devra prouver que le partenaire avait connaissance de son exigence du port du préservatif, mais, qu’il a retiré en connaissance de cause, à son insu. Cela mène évidemment à une démonstration très difficile en pratique… D’autant plus, que l’argument utilisé par les mis en cause est très souvent « la mauvaise compréhension » ou encore le « malentendu ». Le choix de la qualification de viol pose une difficulté à l’égard d’un principe fondamental en droit pénal. En effet, en vertu du principe de l’interprétation stricte de la loi pénale, prévue par l’article 111-4 du Code pénal, il est difficile de reconnaitre cet acte comme viol en ce que l’acte a été matériellement consenti. Cela rejoint notamment, le fait que plusieurs victimes n’ont pas vraiment la sensation d’avoir subi un viol, comme le démontrent les témoignages recueillis par Alexandra Brodsky[6]. La juriste a d’ailleurs conclu qu’il s’agissait d’une pratique « proche du viol » (« Rape adjacent »).
2. Agression sexuelle ?
Par ailleurs, le condom stealthing pourrait aussi être associé à une agression sexuelle, autrement dit, toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise mais sans pénétration. Dans tous les cas, le contact physique a été fait sans le consentement clair et explicite de la victime. Toutefois, un autre problème apparait ici dans la mesure où il y a eu pénétration donc le viol serait peut-être plus approprié ?
A ce sujet, par un jugement du 9 janvier 2017, le Tribunal Correctionnel de Lausanne a condamné pour viol un homme qui avait retiré un préservatif pendant le rapport sexuel à l’insu de son partenaire. La justice a estimé que la victime aurait refusé ce rapport si elle avait su que l’homme ne s’était pas protégé.[7]
Après avoir fait appel de cette décision, le Tribunal cantonal de Vaud a par un arrêt du 8 mai 2017 confirmé la peine tout en requalifiant l’acte du stealthing en « acte d’ordre sexuel sur une personne incapable de discernement ou de résistance » au motif que l’appelant a ôté son préservatif sans en informer la plaignante.
Plus récemment, par un jugement du 14 février 2019, le Tribunal d’arrondissement de Zurich, a acquitté un homme de 21 ans poursuivi pour avoir ôté son préservatif pendant l’acte sexuel sans prévenir le partenaire. Selon la justice suisse, il ne s’agissait pas d’une infraction pénale, rejoignant ainsi la vision américaine. En effet, la qualification de viol n’a pu être retenue en ce que la plaignante a donné son accord et donc son consentement pour avoir un rapport avec le mis en cause. Tout en reprenant le principe de la stricte interprétation de la loi pénale, les juges ont mis en évidence le fait qu’il ne pouvait être condamné qu’en vertu d’un texte pénal précis et clair.
A ce jour, le stealthing a été qualifié en Suisse d’agression sexuelle et non pas de viol.
Pour conclure, en France, aucune décision de justice n’a encore été rendue concernant le condom stealthing. Il convient alors, d’attendre, pour voir la qualification que pourrait donner le juge français à cette pratique qui se situe juridiquement entre le viol par surprise et l’agression sexuelle. Malgré cette proximité avec ces deux notions, il est difficile d’imaginer que le juge français puisse le qualifier ainsi dans la mesure où le droit pénal est régi par la règle « nullum crimen, nulla poena sine lege ». Alors, le législateur pourrait peut-être intervenir pour mettre fin à ce flou juridique et finalement reconnaitre le phénomène de stealthing comme une infraction pénale à part entière.
Waad Mahrouk, membre de l’ADHS
[1]National Library of Medicine
[5] Crim. 1er oct. 2013, n°13-84.944.
[6] Social Science Research Network
[7] P.Verduzier, Le «stealthing, retrait non consenti du préservatif, une pratique courante? 29 avril 2017