Elle laisse orpheline une petite fille de six ans. Son avocate, Marie Dosé, n’avait eu de cesse d’alerter les autorités françaises sur l’état de santé délabré de cette jeune femme, incompatible avec les conditions de vie inhumaines et dégradantes de ces camps. Si tant est que ces conditions soient compatibles avec quoi que ce soit… Elle souffrait de diabète, était insulino-dépendante, et aurait dû bénéficier d’une greffe de rein.
Elle est morte sous les yeux de son enfant qui l’aura vue, durant presque trois années, agoniser.
En 2019, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) avait dressé un constat édifiant des conditions de vie dans ces camps. La Commission considérait ces enfants prisonniers comme des victimes de guerre et appelait à la France à en faire de même.
La CNCDH, dans un avis adopté en Assemblée plénière le 24 septembre 2019, avait réitéré sa demande de rapatrier d’urgence l’ensemble des enfants français retenus dans les camps du Rojava et de les prendre en charge au plus vite au nom du respect des valeurs de la République et des droits fondamentaux.
Le président de la CNCDH avait appelé au respect par le gouvernement français de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE).
Le 29 septembre dernier, Marie Dosé et Laurent Pettiti, avocats de ces femmes françaises détenues dans les camps du nord-est syrien, ont plaidé devant la CEDH, réunie en Grande chambre, formation exclusivement convoquée dans le cadre d’affaires revêtant un caractère particulièrement important et complexe.
L’inertie de la France
Mais leur propre pays tente de les invisibiliser.
Le Président de la République et ses subalternes ont cédé aux sirènes de la vox populi, appliquant une pseudo politique sécuritaire au détriment des droits de l’Homme et du droit international humanitaire, mais surtout, faisant fi des obligations internationales qui leur incombent.
Alors que les membres du gouvernement et les députés de leur bord défilent les uns après les autres sur tous les plateaux de télévision pour dénoncer la politique de certains pays qui laissent leurs ressortissants périr aux frontières, ceux-là mêmes sont restés flaccides face à ce sort tout autant tragique que prévisible. Ils n’ont même pas dénié réagir, par peur d’heurter l’opinion publique, plus sensible aux discours populistes et identitaires.
L’impératif humanitaire et sécuritaire aurait commandé de tout mettre en oeuvre pour que le cas de ces Françaises soit judiciarisé en France et que leurs enfants soient élevés dans leur pays dans lequel leurs grands-parents les attendent. Que connaîtront-ils de la France ? Un pays qui a laissé mourir leurs mères et qui fait le choix de les abandonner alors même qu’au plus haut sommet de l’Etat, nul n’ignorait l’enfer que tous enduraient. Là encore, nos gouvernants se succèdent tous pour dénoncer la proposition – puante – d’un « Guantanamo à la française », tentant de faire oublier qu’ils fabriquent de toutes pièces, et depuis des années, un « Guantanamo pour enfants français » en Syrie.
Aucun n’a le courage de s’élever contre cette barbarie, aucun n’a la hardiesse pour dénoncer l’ignominie que sont l’existence même de ces camps.
Comment expliquer qu’au XXIème siècle des femmes et des enfants périssent dans des camps ? Comment nous faire croire encore que ces femmes seront jugées en Syrie ? Quel avenir pour ces enfants ? Quelle image de la France ?
Le Pays des Lumières n’a plus rien de sa superbe. Il est la risée de l’Europe alors que la Belgique, le Danemark, la Suède ont tous finalisé le rapatriement de leurs ressortissants. Les kurdes eux-mêmes demandent à ce que les françaises et leurs enfants soient rapatriés
par la France.
Des dizaines de courriers par Marie Dosé envoyés pour alerter, pour prévenir, pour tenter d’échapper à ce drame si prévisible. Aucune réaction de l’État. Invibiliser est le maître mot dans cette politique menée par le gouvernement français. Mais les familles n’abandonneront rien, elles ne lâcheront jamais. Les avocats, en contact permanent avec ces françaises détenues et leurs enfants, continueront leur travail acharné pour redonner un sens à l’humanisme qui devrait guider l’action de l’Etat.
Rappelons que deux cents enfants sont toujours enfermés dans ces camps. La France les rapatrie au « cas par cas », privilégiant le retour des orphelins. Quel paradoxe ! Cette orpheline, du fait même de ce statut, aura peut être plus de chances de se voir rapatrier. Il est des invraisemblances risibles, celle-ci est mortifère. L’indignité doit cesser, plus que tout lorsqu’il est question de vies.
Le 24 octobre dernier, dans l’émission C pol, Maître Dosé considérait que cette situation était désormais « un mensonge d’État ». Nous regrettons que l’avenir lui ait donné raison. Oui, elle avait rejoint Daech alors qu’elle avait 21 ans. Mais elle aurait du être jugée en France. Par la Justice de son pays. Pour que cette administration qui porte le nom d’une vertu permette enfin que la France se détache de ce que cette idéologie charrie de pire.
Elle avait 28 ans. Elle aurait pu être notre soeur, notre cousine, notre tante. C’était une maman, une Française. Une petite fille de six ans est désormais orpheline ; « La France a fabriqué une orpheline » déplore Marie Dosé.
Pauline Gamba-Martini, membre de l’ADHS