Qui sont les Ouïghours ?
Les Ouïghours sont une communauté turcophone de confession musulmane sunnite, majoritairement regroupés dans la région du Xinjiang, au nord-ouest de la Chine, mais ils sont aussi présents au Kazakhstan, en Ouzbékistan, au Kirghizstan et en Turquie. Ils sont les descendants d’anciens nomades installés dans la région depuis le VIIIe siècle aux côtés d’autres populations dont des Mongols, des Kazakhs et des membres de l’ethnie chinoise Hans, majoritaire en Chine.
La « Région autonome ouïghoure du Xinjiang » est une des cinq régions autonomes de la République populaire de Chine. Elle couvre près d’un sixième du pays et est frontalière avec huit pays. Son sous-sol est riche en nombreuses ressources telles que l’or, le pétrole, l’uranium et le gaz. La Chine a envahi la région au milieu du XVIIIe siècle et y a installé des colonies. Le terme « Xinjiang » attribué à la province, signifie d’ailleurs « Nouvelle frontière ». Entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, une série de révoltes indépendantistes aboutissent à la proclamation d’une « République islamique du Turkestan oriental ».
Avec l’arrivée des communistes au pouvoir en 1949, les Ouïghours sont victimes de discriminations économiques, culturelles et démographiques. Entre 1949 et aujourd’hui, ils passent de 80 % à moins de 50 % de la population du Xinjiang. Ils sont alors victimes d’une colonisation chinoise qui les rend minoritaires sur leur propre territoire. Le même processus de répression et de civilisation forcée est mené au Tibet, province voisine du Xinjiang et dans la partie mongole de la Chine.
Quelle est la situation des Ouïghours aujourd’hui ?
L’accélération du processus de répression et l’exacerbation des tensions entre le pouvoir et la population a conduit à de vives condamnations par les ONG de défense des droits humains. La lutte contre le terrorisme est utilisée par le parti communiste chinois. Depuis les années 1990, le Xinjiang est, comme le reste de l’Asie centrale, confronté à la montée de l’influence des groupes islamistes radicaux. Aujourd’hui, la mouvance islamiste ouïghoure est jugée comme très minoritaire et peu influente sur place. Toutefois, la Chine utilise ce prétexte pour justifier sa politique de répression et pour arrêter et condamner des universitaires, militants politiques et étudiants ouïghours à de lourdes peines.
Le pouvoir central a imposé des restrictions aux pratiques religieuses qui n’ont cessé de s’accentuer, comme les campagnes contre le port du voile intégral ou celui de la barbe. La province est devenue progressivement une zone militarisée inaccessible sans autorisation spéciale, celle-ci étant très rarement accordée.
D’après Amnesty International, plus d’un million d’Ouïghours seraient aujourd’hui détenus de façon arbitraire dans des centres de rééducation politique.
Dans ces camps, des femmes, des enfants, des hommes travaillent parfois pour des sous-traitants chinois de grandes marques occidentales. D’autres disparaîtraient purement et simplement. Niant ces accusations, Pékin parle de centres de formation, s’inscrivant dans le cadre de sa lutte contre le terrorisme.
Torture, viols collectifs, stérilisation forcée, des rescapées de ces camps témoignent de violences qui pourraient faire vaciller le silence des dirigeants européens à propos des persécutions contre les Ouïghours. En effet, début février, la BBC a publié le fruit d’une longue enquête dans laquelle sont inscrits des témoignages de viols systématiques, d’abus sexuels et de torture. Le secrétaire d’Etat britannique chargé des Affaires étrangères, Nigel Adams, a déclaré que le reportage de la BBC révélait « des actes clairement abominables ». Même indignation aux Etats-Unis, le porte-parole du Département d’Etat américain a réitéré le point de vue de l’ancienne et de la nouvelle administration américaine considérant que la Chine est en train de perpétrer un « génocide » contre les Ouïghours. Cette enquête a suscité de nouveaux appels à la Chine pour qu’elle autorise des inspecteurs de l’ONU à se rendre au Xinjiang.[1]
Pourquoi la communauté internationale ne réagit-elle pas ?
Chaque jour les réseaux sociaux s’enflamment au sujet des Ouïghours et appellent à une réaction internationale. Toutefois, les États semblent avoir les mains liées et ne réagissent pas face à ce drame humanitaire. Au contraire, d’après Raphaël Glucksmann, député européen, les 46 pays auraient même donné leur soutien à la politique chinoise menée contre cette minorité lors de la 44ème session du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, le 1er juillet 2020 à Genève.
Les institutions internationales, compétentes pour agir ?
Les crimes commis contre les Ouïghours sont assimilés à des crimes de génocide et des crimes contre l’humanité tels que décrits dans le Statut de Rome, à ses articles 6 et 7.
Ces crimes relèvent donc de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI). Toutefois, en vertu de l’article 12 paragraphe 3 du Statut de Rome, la CPI ne peut juger que les États ayant accepté sa compétence, ce qui n’est pas le cas de la puissance chinoise. Néanmoins, la Cour pénale internationale a déjà jugé des affaires concernant des pays non parties au Statut de Rome tels que les crimes du colonel Kadhafi en Libye et l’affaire Darfour au Soudan. Pour ce faire, le Conseil de Sécurité des Nations-Unies avait, par le biais des résolutions 1593 et 1970, déférer les situations à la Cour.En l’espèce, une telle procédure n’est pas envisageable du fait de la présence de la Chine au Conseil de Sécurité comme membre permanent. En effet, toute action contre l’État pourrait s’avérer inutile car automatiquement bloquée par son droit de veto. De plus, pour la même raison, une résolution du Conseil de Sécurité sur la base du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies concernant les mesures coercitives pouvant être adoptées contre un État menaçant la paix ou la sécurité internationale, n’est pas non plus envisageable. En effet, même si au sens de l’article 40 de la Commission du Droit International, une violation grave des normes internationales impératives serait reconnue, la Chine en tant que membre permanent du Conseil de Sécurité, bloquera toute idée de résolution contraignante à son égard.
La Chine a-t-elle violé des traités par ses agissements ?
La Chine n’a signé que très peu de traités sur les droits humains et leur protection. Le professeur Thibault Fleury Graff, spécialiste de droit international à l’université de Rennes, affirme que « Certes, tous les pays – signataires ou non de chartes – ont interdiction de perpétrer des génocides, mais une fois encore, seule la Cour internationale de justice – que la Chine n’a pas rejointe – et l’ONU – où la Chine peut s’opposer unilatéralement à toute décision – ont un pouvoir d’action. Pour être clair, aussi fortes que soient les dénonciations des Etats-Unis, la Chine ne va pas fermer ses camps. »
Aucun espoir de fermeture des camps ?
Normalement très active en matière des droits humains, notamment grâce à la Cour Européenne des droits de l’Homme protégeant la Convention Européenne des droits de l’Homme, l’Europe reste silencieuse à propos des Ouighours. Certes, le Président français Emmanuel Macron ainsi que d’autres chefs d’État européens auraient montré un semblant de mécontentement face aux pratiques « inacceptables » de la Chine, mais sans prendre de mesures réelles.
« Un footballer comme Griezmann ou des milliers de jeunes sur les réseaux sociaux ont plus fait en un an pour les Ouighours que tous nos dirigeants réunis » dénonçaient en décembre 2020 Glucksmann lors du vote de la résolution sur l’esclavage des Ouïghours.
Cette résolution a été votée le 17 décembre 2020 par les députés européens qui ont exigé et attendent des sanctions ciblées contre les responsables chinois, notamment la répression et le bannissement sur le marché européen des produits issus du travail forcé des Ouighours.
La Chine a fermement condamné ces actions et est depuis assez hostile envers l’Union Européenne.
Par ailleurs, la situation s’était envenimée au début de l’année 2020 entre les États-Unis et la Chine lorsque le gouvernement américain voulait refuser les visas d’entrée de plusieurs responsables chinois et leurs familles. La Chine avait alors annoncé des représailles après les sanctions américaines, qui portaient « gravement atteinte aux relations sino-américaines » selon Pékin.
De plus, la récente prise de position des États-Unis qualifiant de « génocide » la répression menée contre les Ouighours, est porteuse d’espoir. Les propos de la première puissance mondiale ont un poids non négligeable et une influence particulièrement importante. Ainsi, il est possible qu’un effet « boule de neige » naisse par la suite et que plusieurs autres États se prononcent sur ce drame humanitaire.
D’un point de vue économique, il se peut que ces déclarations aient des impacts importants sur la Chine, qui risque beaucoup si les investisseurs décident de fuir pour ne pas être affiliés à un pays accusé de génocide. En effet, les États-Unis, avaient déjà fin 2020 décidé de bloquer l’importation de plusieurs produits fabriqués par le travail forcé des Ouïghours en Chine. Ce sont 28 organisations gouvernementales et commerciales chinoises qui avaient été placées sur une « liste noire des États-Unis » dès 2019.[1]
A l’heure actuelle, après plusieurs déclarations du nouveau gouvernement américain confirmant les mesures prises par l’administration Trump l’ambassade chinoise aux États-Unis a appelé l’État à « corriger les erreurs » commises au cours des dernières années.
Certains espèrent que les conséquences par rebond qui pourraient impacter l’État le contraindrait à ouvrir les camps de Ouighours, faute de pouvoir continuer à évoluer sur la scène internationale avec la pression des autres États sur Pékin…[1]
« Se vêtir dans l’indignité et la maltraitance »
Ainsi résonnent les mots de Coralie Dubost, députée LREM.
« Quel est notre monde si on peut y perpétrer en toute impunité des crimes contre l’humanité ? Est-ce qu’on veut d’un monde où les multinationales utilisent les travailleurs forcés Ouïghours via les fournisseurs chinois ? » a dénoncé Raphaël Glucksmann.
En effet, les camps où sont entassés les Ouighours sont de réels camps de travaux forcés, rattachés à des unités de productions qui font « écran » à leur ressemblance aux centres carcéraux. Ces usines, installées partout en Chine, bénéficient aux plus grandes multinationales du monde occidental.
Non seulement complices de ce drame humanitaire, les produits manufacturés par ces usines profitent de tous les bénéfices que la mondialisation et libéralisation des échanges ont à offrir : allégements de taxes, aides publiques de certains États ainsi que marques et industries profitant de la commande publique, comme Alstom, Bombardien, BMW, Mercedes-Benz et tant d’autres. [1]
« La liste de la honte » est composée de 83 entreprises profitant de cette main d’œuvre. Pas moins de 80 000 Ouïghours auraient été exploités au sein de leurs usines entre 2017 et 2019.
Depuis des mois, les réseaux sociaux s’enflamment au sujet de la maltraitance des Ouighours : stories Instagram, tweets par milliers, carrés bleus pour montrer son soutien, listes circulant sur les marques à boycotter… Néanmoins, rares sont les marques qui ont osé répondre à cette colère mondiale.
Quelques marques telles que Lacoste, Adidas et H&M ont annoncé leur volonté de cesser toute relation avec ces usines et productions. Toutefois, après les mots, les actes ?
D’autres marques telles que Ralph Lauren, Victoria’s Secret, Calvin Klein n’ont toujours pas réagi. Encore plus choquant, Huawei, le géant téléphonique, est accusé d’aider le gouvernement chinois à traquer la population ouïghoure, grâce à un logiciel de reconnaissance faciale ayant développé une « alerte Ouighours ». En effet, Human Rights Watch, ONG de défense des droits humains, a affirmé dans un rapport récent que des musulmans chinois auraient été arrêtés dans la région du Xinjiang après avoir été signalés par ce logiciel. Antoine Griezmann, footballer français a immédiatement mis un terme à son partenariat avec la marque suite à ces forts soupçons.
Notre devoir de vigilance
Les défenseurs des droits humains partout dans le monde appellent à un boycott mondial des marques ayant recours à la main d’œuvre ouïgoure. Cette technique a déjà souvent été utilisée contre de grandes marques, notamment en 2000 contre les sweatshops, usines où les conditions de travail inhumaines et le travail des enfants étaient pratique courante. Cette action avait mis la marque Nike en difficulté.
Depuis maintenant plus d’un an, les appels à boycotter se multiplient et ont pour but de chercher à sensibiliser les consommateurs au réel coût de leur achat, au-delà du simple prix.
Le but est de transformer le consommateur en consom’acteur, qui, grâce à « leur absence d’achat ou l’interpellation de la marque sur les réseaux sociaux, conduisent leurs marques favorites à user de leur influence pour que leurs sous-traitants mettent fin aux violations des droits humains dont ils sont responsables ». [1]
« Celui qui accepte le mal sans lutter contre lui coopère avec lui. »
(« He who passively accepts evil is as much involved in it as he who helps to perpetrate it.”)
– Martin Luther King.
Et vous, allez-vous aussi devenir consom’acteur ?
Morgane Fanchette et Clara Rolin, membres de l’ADHS