08 février 2021
Les grands traits du juge d’instruction
En France, le juge d’instruction est un être singulier. Depuis tous temps, nombreux sont les auteurs qui se sont évertués à dresser le portrait du magistrat instructeur. Balzac, au milieu du XIXème siècle, dans son roman Splendeurs et Misères des courtisanes, définissait déjà l’omnipotence du juge d’instruction en ces termes : « Aucune puissance humaine ne peut empiéter sur le pouvoir d’un juge d’instruction, rien ne l’arrête, rien ne lui commande. C’est un souverain soumis uniquement à sa conscience et à la loi. »
Au-delà du débat philosophique, le droit français a connu de nombreuses évolutions façonnant pour certaines, révisant pour d’autres, les contours du rôle et l’envergure du juge d’instruction dans la procédure pénale, nourries par des faits divers voire d’affaires plus marquantes. Les critiques émises par l’ensemble des praticiens du droit ont également été entendues par le législateur.
En droit positif, la phase d’instruction préparatoire fonctionne sur le principe du double degré de juridiction afin que les décisions et actes d’instruction adoptés par le juge de premier degré, le juge d’instruction, puissent faire l’objet d’un contrôle par une juridiction supérieure, la chambre de l’instruction.
Toutefois, dans la pratique, le juge du premier degré se retrouve bien seul.
La solitude du juge d’instruction
Le législateur a fait le choix curieux d’abandonner un seul homme face à une étape cruciale de la procédure pénale qu’est l’instruction. En effet, c’est au magistrat instructeur auquel il incombe d’orienter les enquêtes menées par la police ou la gendarmerie, de prendre des ordonnances plaçant les individus sous le statut de témoin assisté ou de décider d’une mise en examen. La chambre d’instruction arrive bien après dans le cadre d’ un contrôle a posteriori. Elle ne vient pas murmurer à l’oreille du juge comment il devrait orienter ses recherches et de quelle manière il devrait prendre ses décisions. Il faut alors se remémorer les mots de Balzac : « aucune puissance humaine ne peut empiéter sur le pouvoir du juge d’instruction. »
Son rôle revêt un caractère ambivalent ; il est à la fois celui qui va décider de l’orientation des enquêtes menées dans le seul but de la manifestation de la vérité, et il est également celui qui va prendre des décisions juridictionnelles importantes, telle qu’une mise en examen, eu égard aux indices graves ou concordants recueillis grâce à l’enquête qu’il aura lui-même dirigée.
S’il ne détient plus depuis 2000 la compétence pour placer une personne sous le régime de la détention provisoire, il garde tout de même une prérogative importante, celle du contrôle judiciaire, qui peut se révéler très attentatoire aux libertés de la personne qui est placée sous ce régime.
Alors, s’il fallait dresser froidement le portrait du juge d’instruction, le lexique de la solitude se trouverait sûrement mis à l’épreuve. Seul face à des faits souvent des plus complexes. Seul face à ses doutes. Seul face à des textes et leur interprétation. Seul face à des hommes, leurs errements, leur humanité aussi. Seul face à la vox populi, et la vindicte populaire « prête à tirer sa manche ».
Le juge d’instruction est un homme décidément seul. Cette solitude a été à maintes reprises illustrée par des affaires à forte résonance médiatique, ébranlant chaque fois un peu plus son image.
D’ailleurs, Fabrice Burgaud, juge d’instruction dans l’emblématique affaire d’Outreau, n’a eu de cesse de le répéter lorsque celui-ci a dû rendre des comptes : il était seul dans son cabinet de juge d’instruction, sans l’aide d’aucun de ses pairs. Quant à Jocelyne Rubantel, la juge des libertés et de la détention qui avait décidé de placer en détention provisoire plusieurs protagonistes de cette affaire, elle expliquait qu’avoir « trente à quarante personnes criant sous les fenêtres du tribunal « À mort les pédophiles » cela complique votre tâche». Pensées à la famille d’un des mis en cause, mort durant sa détention, et dont l’innocence sera reconnue au procès. Mais le juge, bercé par le moralisme ambiant d’une époque calomniatrice, n’a pu résister aux sirènes de la vox populi.
Ces affaires médiatiques ayant révélé les failles de l’instruction, le législateur est donc intervenu pour réformer l’office du juge d’instruction.
Néanmoins, le législateur avait plusieurs possibilités : l’une, assez radicale, tenant en la suppression pure et simple du juge d’instruction, l’autre, plus nuancée, qui est celle d’une réforme ambitieuse
Le législateur a donc opté pour la seconde branche de l’alternative.
En effet, une loi n° 2007-291 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale intervient le 5 mars 2007, laquelle a des objectifs ambitieux ; réforme du juge d’instruction avec la mise en oeuvre de la collégialité et co-saisine des juges d’instruction, limitation de la détention provisoire pour lui redonner le caractère exceptionnel prévu par le Code de procédure pénale, renforcement du contradictoire. Comme toute loi trop ambitieuse, elle n’a pû s’appliquer en pratique. Elle n’est même jamais entrée en vigueur et un amendement adopté en première lecture le 24 mai 2016 par l’Assemblée nationale, supprime la collégialité de l’instruction.
Cependant, il relève de la crédulité de penser que la collégialité aurait mis fin à la défiance des praticiens et des justiciables vis-à-vis du juge d’instruction. Là encore, les mots de Balzac guident la réflexion : « L’on ne trouve pas dans les tribunaux trois juges qui aient le même avis sur un article de la loi. » Ces mots écrits dans Le Père Goriot en 1834, trouvent d’autant plus leur force à la lumière de l’échec qu’a été la co-saisine des juges d’instruction prévue à l’article 83-1 du Code de procédure pénale.
Le juge d’instruction demeure bien seul mais n’a rien perdu de sa superbe inquisitrice. Quid de l’ouverture quasi-systématique d’instructions quelques heures seulement après la parution d’articles de presse relatant de prétendues affaires concernant des politiques ? L’indépendance des magistrats, de l’institution judiciaire en général, est souvent décriée, souvent perçue comme soumise au pouvoir exécutif, mais ne serait-elle pas plutôt soumise à l’autorité populaire ?
La chambre de l’instruction feue chambre de l’accusation
Anciennement «chambre de l’accusation », la chambre de l’instruction est une création de la loi du 15 juin 2000. Elle est composée d’un président et de deux conseillers.
Le premier alinéa de l’article 181 du Code de procédure pénale consacre la perte du monopole de la mise en accusation dont disposait auparavant la chambre de l’accusation.
La chambre de l’instruction est souvent perçue comme la tour de contrôle du déroulement de l’instruction préparatoire. A ce titre, elle juge en premier lieu les appels formés contre les ordonnances du juge d’instruction et du juge des libertés et de la détention, comme le prévoient les articles 185 à 187-3 et 207 du Code de procédure pénale. Les articles 170 et suivants du Code de procédure pénale lui donnent compétence pour être saisie des requêtes en annulation dirigées contre les actes et pièces de la procédure d’information. Elle est sensée représenter la juridiction garante du déroulement régulier de l’avant-procès pénal.
Il y a toujours une dissonance surprenante entre la théorie et la pratique. La chambre de l’instruction n’échappe pas à cette règle, orgueilleuse du nom qu’elle portait jadis.
La promiscuité constante des magistrats du siège entre eux mais aussi et surtout avec les magistrats du parquet dérange forcément et questionne sur la réalité de l’impartialité des décisions rendues par la chambre. Ce constat n’a pas vocation à mettre en doute l’intégrité de l’ensemble des juges et parquetiers, mais de manière assez modeste essayer de comprendre comment les droits fondamentaux, finalement les plus primaires, sont rognés par une chambre qui n’exerce pas pleinement ses prérogatives.
L’information judiciaire, une fenêtre de contradictoire
Justice ne peut avoir été rendue dès lors que l’ensemble des parties n’ont pas été mis à même de formuler leurs observations. C’est en tout cas ce que, très tôt, Sénèque, dans Médée, déclame ainsi : « Le juge qui rend son arrêt sans avoir écouté les deux parties, commet une injustice, l’arrêt fût-il juste. »
Partant, même en nombre restreint, il faut reconnaitre les garanties qu’offre le juge d’instruction afin de nuancer tout de même le propos.
En effet, si l’instruction, certes dans une proportion infiniment limitée, permet aux droits fondamentaux, notamment aux droits de la défense et au principe du contradictoire, de s’exercer et in fine de jouer leur rôle premier, protéger tous justiciables, alors il ne fait aucun doute que le juge d’instruction doit demeurer, peut-être sous une forme révisée comme cela avait déjà été voté en 1985, lorsque Robert Badinter était alors Garde des Sceaux.
Contrairement à l’enquête préliminaire mise en oeuvre par le procureur de la République et définie par l’article 75 du Code de procédure pénale, l’information judiciaire permet tout de même l’introduction d’une fenêtre de contradictoire dans la procédure pénale.
La modification de l’article 184 du Code de procédure pénale par l’article 19 de la loi précitée de 2007 est venue contraindre le juge d’instruction à préciser les éléments à charge et à décharge récoltés tout au long de l’instruction.
Cette injonction faite aux magistrats instructeurs a permis de réduire la prédominance des réquisitions du parquet dans l’ordonnance de renvoi et d’insérer une fenêtre plus large pour les éléments à décharge.
Le magistrat instructeur français a également la qualité de se distinguer de son homologue anglo-saxon qui, lui, rythme une procédure accusatoire et non plus inquisitoire. La procédure accusatoire fait rejaillir les inégalités sociales au sein de la justice ce qui n’est véritablement pas satisfaisant du point de vue du caractère équitable d’une procédure.
Une réforme complexe mais nécessaire
Il appert de tout ce qui précède qu’une réforme, dont la complexité est indéniable, est nécessaire afin que le juge d’instruction soit un véritable garant des droits fondamentaux.
En premier lieu, la réforme devrait repenser la formation des magistrats.
Le changement le plus complexe à initier est celui de ce qu’on appelle vulgairement les mentalités. En effet, aujourd’hui l’Ecole Nationale de la magistrature (ci-après ENM) est le lieu de l’entre-soi et d’une farouche envie de répression.
Il devrait plutôt être le lieu où les futurs magistrats, du siège comme parquetier d’ailleurs, envisagent la procédure pénale, celle qui peut restreindre le plus les libertés d’une personne, comme un véritable moment de contradictoire durant lequel les droits de la défense pourraient s’exercer pleinement. Si les magistrats instructeurs, dans leur plus grande majorité, avaient une autre conception moins inquisitrice et plus équitable, au sens de l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, de l’instruction, alors l’idée même d’une réforme plus profonde pourrait être oubliée.
La question de la responsabilité des magistrats est également centrale. L’Italie, à la fin du XXème siècle, a souhaité limité le pouvoir de ceux que certains appelaient « les incontrôlables » en instaurant une responsabilité civile des magistrats.
Ainsi, une loi n° 117 du 13 avril 1988, approuvée par le Parlement italien suite à un référendum, affirme le principe de l’indemnisation de tout préjudice injuste causé par tout comportement, acte ou décision de justice par « dol » ou « faute lourde » d’un magistrat dans l’exercice de ses fonctions. L’article 2 de cette loi est particulièrement intéressant en ce qu’il précise qu’avoir rendu une mesure concernant la liberté des personnes en dehors des cas prévus par la loi ou bien sans la motiver est une faute lourde. Et à l’article 13 de préciser que, la partie ayant subi le préjudice à cause d’un délit commis par un magistrat dans l’exercice de ses fonctions, peut demander la réparation de ce préjudice non seulement contre l’Etat, mais aussi directement contre le magistrat.
En examinant la législation italienne, d’aucuns diront que le principe même d’une responsabilité civile des magistrats pourrait d’une certaine manière paralyser leur action, craintifs de poursuites trop systématiques.
En revanche, sur le plan disciplinaire, le droit interne pourrait songer à un assouplissement des conditions de mise en oeuvre de la responsabilité des magistrats qui demeure bien trop délicate. A titre de comparaison, les avocats voient bien plus fréquemment et facilement leur responsabilité engagée.
Enfin, d’un point de vue procédural, il pourrait être envisagé de morceler la phase d’instruction préparatoire afin de voir apparaître plusieurs juges mais dont le rôle serait différent : l’un s’occuperait de donner l’orientation des investigations, il devrait également entendre les demandes de la défense s’agissant des indications à donner aux enquêteurs, l’autre, conserverait la prérogative de prendre des décisions juridictionnelles.
In fine, l’ENM ayant formé des magistrats emprunts de libertés et de contradictoire, la chambre de l’instruction examinera avec force les irrégularités soulevées par la défense et appréciera la nécessité de la tenue d’un procès pénal, commandée par la seule volonté d’appliquer strictement le droit.
Pauline Gamba-Martini, membre de l’ADHS