Les évolutions du contexte en Méditerranée depuis 2018 :
Le dysfonctionnement de la coordination entre les différents acteurs présents sur place :
Dans une interview publiée sur le site internet de SOS MÉDITERRANÉE, Mme Sophie Beau, directrice de l’Association revient sur le contexte en Méditerranée centrale en 2018 quant à la prise en charge de la situation migratoire. Elle met ainsi en avant un système « totalement dysfonctionnel » depuis que l’Europe, dans le cadre de sa politique de gestion des flux migratoires aux frontières, a transféré la responsabilité de la coordination des sauvetages des gardes-côtes italiens aux gardes-côtes libyens pour une large partie de la mer Méditerranée centrale (zone SAR libyenne). Dans cette zone, ce sont donc les autorités libyennes qui doivent initier et coordonner la recherche et le sauvetage des personnes tentant de traverser la mer Méditerranée sur des embarcations extrêmement sommaires. Ces autorités sont donc censées agir pour assurer la sécurité des individus sur cette grande zone de détresse. Or, les autorités libyennes ne signalent pas les embarcations en détresse aux navires humanitaires qui sillonnent la zone. De plus, ils n’organisent pas véritablement de coordination des sauvetages. Enfin, il n’est pas possible pour les autorités libyennes de désigner un port sûr, c’est-à-dire un port qui soit reconnu pour les autorités maritimes internationales comme garantissant une sécurité suffisante pour permettre de débarquer les rescapés dans une zone où les droits humains seront respectés. En Libye, aucun port sûr n’a été désigné comme tel en raison des traitements inhumains et des tortures pratiquées dans les centres de détentions qui enferment les personnes migrantes lorsqu’elles arrivent en Libye.
Ainsi, il en résulte pour les associations humanitaires présentes dans cette zone qu’elles ne peuvent bénéficier de l’aide de la collaboration des autorités maritimes compétentes pour mener leur mission de sauvetage. Le repérage des embarcations s’effectue directement par les
ONG présentes sur place et qui collaborent entre elles.
L’évolution alarmante des flux migratoires :
Il y a certes eu une baisse de l’afflux migratoire au cours de l’année 2018 vis-à-vis des années précédentes, cependant, depuis lors, les chiffres repartent à la hausse. On décompte ainsi 62 000 tentatives de traversées recensées sur l’année 2020 par l’Organisation internationale pour les migrations et plus de 80 000 tentatives répertoriées pour l’année 2021 lorsque cette interview a été enregistrée soit fin octobre.
Cette hausse du nombre de migrations en Méditerranée s’explique notamment par une augmentation importante des réseaux de traite d’êtres humains en Libye. En effet, la Libye est un pays de transit dans le parcours migratoire. Les passeurs se sont alors servis de cette position stratégique pour mettre en place un marché économique de traite humaine prolifique. Ainsi, ils enferment ceux qui fuient leurs pays dans des camps de détention et leur libération est négociée en échange du versement d’une certaine somme. Bien souvent, la seule façon pour eux de fuir “l’enfer libyen” est de monter à bord d’embarcations précaires pour tenter la traversée de la Méditerranée, cependant, pour monter dans ces embarcations, ils doivent également payer une certaine somme aux passeurs qui “encadrent” les départs. S’ajoute à cela la méconnaissance, pour les personnes qui embarquent, de la distance réelle à parcourir pour atteindre les côtes italiennes, soit 300 à 400 km depuis la Libye, et donc de l’impossibilité systématique d’aboutissement fructueux de leur traversée.
De plus, il y a également une hausse du nombre d’interceptions par les gardes-côtes libyens qui ramènent les individus dans “l’enfer libyen” qu’ils viennent de fuir. Sur l’année 2021, on comptait alors 40 000 personnes interceptées par les gardes-côtes.
S’agissant de la capacité des navires d’ONG présents sur place, celle-ci est insuffisante comparée au nombre de personnes qui tentent la traversée. Ces navires ont par ailleurs été immobilisés par les autorités italiennes au cours de l’année 2020. De plus, en raison de la crise sanitaire, des quarantaines sont imposées aux navires entre chaque rapatriement, ce qui ralentit donc considérablement leur rythme d’opération et augmente le taux de mortalité.
Depuis janvier 2021, on recense ainsi plus de 1 300 vies perdues en mer Méditerranée.
SOS MÉDITERRANÉE demande donc aux États européens la mise en place d’une flotte de sauvetage ainsi qu’un réel mécanisme de solidarité européenne, aucun navire d’un État européen n’étant actuellement présent en mer Méditerranée avec des missions de recherche et de sauvetage.
La situation des mineurs en migration :
Dans un dossier intitulé Jeunesse Naufragée paru en mars 2021, l’association SOS MÉDITERRANÉE recense le témoignage de dix mineurs secourus par l’Aquarius, l’ancien navire de l’Association, et l’Ocean Viking, le navire qui est actuellement utilisé.
Il est important d’avoir à l’esprit que les mineurs constituent une partie importante des personnes qui tentent la traversée en mer Méditerranée. Ainsi, près du quart des rescapés secourus par les navires de SOS Méditerranée sont des mineurs, dont la grande majorité
voyagent seuls. Plus précisément, depuis ses débuts et jusqu’aux données actualisées le 28 avril 2022, l’Association a secouru 35 333 personnes et 22 % d’entre elles environ étaient mineures. De plus, parmi les rescapés de moins de 18 ans, 80 % voyageaient seuls, c’est-à-dire qu’ils n’étaient accompagnés ni par un parent, ni par un représentant légal. Ils ont donc quitté leur foyer souvent seuls, alors qu’ils n’étaient encore que des enfants ou des adolescents et ont parcouru de très importantes distances sur la route migratoire maritime la plus mortelle au monde. Leur parcours a pu parfois durer plusieurs années. Le nombre de mineurs qui se sont noyés ou ont disparu en mer demeure cependant difficile à mesurer, particulièrement en Méditerranée centrale où dans plus de 85 % des incidents rapportés, l’âge des rescapés n’est pas connu.
Il existe une grande diversité de raisons qui les ont conduit à quitter leur pays d’origine, celles-ci peuvent relever du contexte politique, socioéconomique et sécuritaire de leur pays d’origine, mais également de leur contexte familial. Certains mineurs ont ainsi quitté leur famille car ils souhaitaient pouvoir aller à l’école mais leurs coutumes familiales ne le leur permettaient pas.
En effet, il est attesté que les risques rencontrés sur la route migratoire par les mineurs sont plus élevés encore que ceux des adultes. Sur la route, ils sont souvent victimes de vols, de travail forcé ou non rémunéré, d’enlèvements, de détention, de violences physiques incluant la torture et les violences sexuelles, de privations de nourriture ou encore d’absence de soins.
De plus, les mineurs entre 14 et 17 ans voyageant seuls ont plus de chances d’être exploités et faire l’objet de traite humaine que ceux en voyageant en groupe ou en famille. Selon une étude de l’OIM et de l’Unicef publiée en 2017, sur les enfants voyageant seuls, 81% ont rapporté avoir été victimes d’exploitation et de traite humaine, contre 70% pour ceux voyageant en groupe.
La plupart de ces violences ont été subies en Libye où certains y sont arrivés de façon volontaire, dans l’espoir de trouver du travail, tandis que d’autres y ont été amenés de force via un réseau de traite humaine. D’après les témoignages recueillis, les mineurs, seuls ou accompagnés, sont soumis aux mêmes types d’exactions que les adultes en Libye. Les personnes migrantes sont alors enfermés dans les camps de détention et bien souvent, si elles sont incapables de payer la rançon demandée pour leur libération, ils sont utilisés dans les réseaux de traite humaine et mis au travail forcé dans des conditions semblables à celles de l’esclavage. Dans ce cadre-là, les mineurs et d’autant plus ceux qui ont dû partir en raison de leur contexte familial, ont encore plus de risques d’être victimes de la traite des personnes car ils ne disposent pas de ressources financières suffisantes, ni du soutien de leur famille.
Enfin, les jeunes filles en migration fuient dans de nombreux cas des formes de violences domestiques et sexuelles, notamment les mariages forcés. Cependant, cette fuite ne leur garantit aucune sécurité pour la suite, puisque beaucoup de jeunes femmes sont victimes d’abus sexuels pendant leur parcours migratoire. Ces mineures qui voyagent seules sont d’autant plus vulnérables qu’en plus d’être des femmes plus exposées aux abus sexuels, elles sont jeunes et elles ne bénéficient pas de la protection d’un parent ou d’un tuteur. Elles sont également particulièrement exposées aux réseaux de traite humaine liés à la prostitution, qu’elles peuvent rencontrer tout au long de leur parcours migratoire, mais plus particulièrement en Libye. Si elles n’ont pas le montant d’argent nécessaire à la traversée de la Méditerranée, elles peuvent être forcées à des relations sexuelles avec les passeurs en échange d’une « place » sur un bateau. Dans son livre intitulé Les naufragés de l’enfer. Témoignages recueillis sur l’Aquarius publié en 2019 aux éditions Diagobar, Marie Rajablat rapporte que : « Nous savons que dans cette Afrique devenue un réservoir important de la traite des humains, les femmes représentent 70 % de ce trafic. »
Ces enfants constituent donc des victimes d’autant plus faciles pour les trafiquants, les passeurs, qui se servent de leur vulnérabilité pour les exploiter et les torturer. Les mineurs qui migrent tous comme les majeurs, font donc l’objet d’une véritable traite d’être humains et de très nombreuses violations des droits humains et des droits de l’enfant sont commises.
Ainsi, la traversée de la Méditerranée constitue, pour la majorité des rescapés de ces tortures, l’unique possibilité d’échapper à l’enfer libyen. Ils n’ont d’autre choix que de risquer leur vie en mer pour s’en sortir, ils témoignent unanimement : « Mieux vaut mourir en mer que de rester en Libye ».
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À l’occasion de la rédaction de cet article, j’ai eu l’opportunité d’interviewer Luciano Gallo, délégué territorial pour le secteur Bretagne – Normandie – Île-de-France – Hauts-de-France – Grand Est, salarié chez SOS MÉDITERRANÉE depuis 1 an, ainsi qu’Olympe Micheletto, étudiante en service civique au sein de l’Association. Avec leur accord, j’ai pu retranscrire leurs réponses dans la suite de l’article.
I. La genèse de l’Association : le contexte en mer Méditerranée :
– Dans quel contexte est née l’association SOS Méditerranée? Les États étaient-ils présents en mer Méditerranée au moment de sa création? (Y avait-il des navires qui appartenaient au États, étant donné qu’il n’y en a plus aujourd’hui).
La création de l’Association fait suite aux naufrages à répétition en Méditerranée centrale suite à la fin de l’opération Mare nostrum et aux retraits des moyens humanitaires déployés par les États européens.
Le naufrage du 3 octobre 2013, aux larges des côtes de Lampedusa, qui a fait plus de 366 personnes décédées, soit la deuxième plus grande tragédie en Méditerranée depuis le début du XXIe siècle, a eu un écho médiatique en Italie assez important, choquant violemment l’opinion publique. L’État italien avait alors mis en place l’opération Mare Nostrum. Différents navires, ainsi qu’avions, sont alors déployés. Cette opération est une opération militaire et humanitaire mise en place pendant une année. Grâce à cela, l’État Italien avait pu sauver plus de 150 000 personnes.
En 2014, l’Italie avait demandé aux autres États européens de contribuer à cette mission mais ceux-ci n’ont pas répondu favorablement et au contraire, l’Italie a fait l’objet de pressions pour mettre un terme à ses actions. Le 1er novembre 2014, l’opération Mare Nostrum est remplacée par une autre opération, portée par l’Union Européenne, sous l’égide de Frontex (Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes). Cette mission avait pour but d’arrêter le trafic d’être humain et de détruire toutes les embarcations destinées aux passeurs.
C’est à ce moment-là qu’il y a eu un vide en mer Méditerranée, ceux qui fuient leurs pays ont continué de tenter la traversée et d’autres naufrages importants ont eu lieu. C’est à ce moment-là aussi que plusieurs organisations ont décidé d’intervenir en Méditerranée pour pallier aux manques de moyens et de sauvetages.
SOS MÉDITERRANÉE s’est constituée en 2015, résultant de la coopération entre Sophie Beau, humanitaire française, et Klaus Vogel, capitaine de la marine marchande. Ils ont ainsi associé leurs compétences pour créer l’Association. Ils avaient, dès le départ, pour ambition de créer une association européenne. Celle-ci a d’abord été créée en Allemagne, en mai 2015, avant d’être créée en France, en juin suivant.
Au moment de la constitution, il n’y avait pas encore de bateau. Cela était alors l’objectif premier de l’Association : collecter les fonds pour affréter un bateau (le bateau n’appartient donc pas à l’Association). Constituée d’un poignée de bénévoles, SOS MÉDITERRANÉE fait le pari de lancer une opération de financement participatif auprès des citoyens européens pour affréter un navire de sauvetage. En six semaines, 275 000 euros sont récoltés. Cette collecte a ainsi permis d’affréter le premier bateau utilisé par l’Association, l’Aquarius. La base de l’Association est née de cette mobilisation, chacun.e.s ont mis en commun leurs compétences, ce qui a aujourd’hui pris la forme d’antennes de bénévoles (les deux premières antennes françaises étant Marseille et Paris).
– Qu’est ce qui vous a mené à vous engager au sein de SOS MÉDITERRANÉE ? Que saviez-vous de la situation en Méditerranée avant de vous engager?
Luciano est de nationalité italienne. Il travaille dans le milieu de la solidarité depuis longtemps. Ayant grandi au bord de la mer, il se définit comme méditerranéen. Il a toujours été très attentif à la situation en mer Méditerranée centrale. En Italie, il avait déjà pu travailler sur des enjeux de solidarité locale, en lien avec des publics fragilisés.
Les premiers naufrages ont suscité grandement son attention. Le sauvetage en mer est un devoir et une obligation légale et il a été indigné par les naufrages à répétition.
Particulièrement intéressé par son action citoyenne, il a rejoint SOS MÉDITERRANÉE il y a un an environ.
Olympe effectue actuellement un service civique au sein de l’Association dans le cadre de son master en science politique parcours action humanitaire internationale. Provenant d’un parcours en soins infirmiers dans le secteur associatif auprès d’un public en grande précarité et souvent issu du contexte migratoire, elle souhaite dorénavant élargir son spectre d’analyse, combiné, là encore, à la constatation de l’urgence de la situation qui l’a motivée à postuler.
II. L’organisation des missions de sauvetage
– Comment s’organise le sauvetage en mer entre les différents acteurs actuellement : Quelle est la place des navires humanitaires ? L’implication des États ?
La mer Méditerranée est très structurée, découpée par le droit maritime international en différentes zones S.A.R. Une zone SAR (ou région de recherche et de sauvetage) est une région de dimensions déterminées par le droit international, dans les limites de laquelle sont fournis des services de recherche et de sauvetage, comprenant les eaux territoriales et internationales.
Les États sont censés être compétents et responsables. La responsabilité d’un État sur sa zone revient à coordonner les recherches, répondre aux appels de détresse des embarcations et coordonner les sauvetages. Au moment où un appel est reçu, l’État a pour mission de prévenir toutes les embarcations dans la zone pour effectuer un sauvetage et coordonner ce sauvetage, et ce jusqu’à ce qu’au débarquement des rescapé.e.s dans un lieu sûr (cf. carte, les ports sûrs étant indiqués par des points : Valence, Marseille, Naples, Palerme). Un lieu sûr (ou Place of safety) est l’endroit où les opérations de sauvetage sont considérées comme terminées. C’est un lieu où la sécurité des survivants n’est plus menacée et où les droits fondamentaux peuvent être respectés.
En 2018, la Libye se fit attribuer une zone S.A.R. Cependant, la Libye n’est pas un État stable, et ne dispose pas des moyens techniques et humains suffisants pour effectuer le travail de coordination et de recherche en mer, le pays ne dispose pas non plus de lieux sûr de débarquement.
S’agissant de l’organisation des missions de sauvage à bord de l’Ocean Viking, plusieurs moyens sont mis en place pour repérer des embarcations. Cela se fait soit par des appels émis de la part des avions qui survolent la zone, tel que l’avion de Pilotes volontaires ou encore le
Sea Bird de l’association Sea Watch, ou de la part d’autres ONG comme Alarm phone, soit par le repérage des membres de l’équipage qui sont munis de jumelles et disposent de radars.
Toutefois, ce travail de repérage reste très difficile au regard de l’étendue de la mer Méditerranée, requérant ainsi une importante formation.
Puis, une fois qu’un appel de détresse est reçu, l’Ocean Viking tente de se rendre sur place. Cependant, cela peut être contraint par les conditions météorologiques.
À titre d’exemple, le 23 avril 2021, l’Ocean Viking a reçu un signalement d’une embarcation en détresse qui se situait à plus d’une dizaine d’heures de navigation. Les conditions météorologiques étaient alors très difficiles et aucune autre embarcation ne pouvait aider.
Lorsque l’équipage est arrivé sur zone, ils ont alors découvert l’épave et les corps sans vie qui flottaient à la surface de l’eau.
Avant d’effectuer le sauvetage, l’ONG informe les autorités compétentes. Pour le sauvetage en lui-même, les membres de l’Association se rapprochent des embarcations en détresse avec des bateaux semi-rigides, plus rapides et faciles à manœuvrer. Les personnes sont alors ramenées à bord et l’équipe médicale reçoit en consultation les malades, les blessés et les femmes enceintes. Une écoute psychologique est également disponible. Un appel aux autorités compétentes est effectué afin d’obtenir le plus rapidement possible l’attribution d’un lieu de débarquement. Ce lieu ne peut donc être la Libye, cette dernière ne disposant d’aucun port sûr.
Souvent, ces appels sont renouvelés par les équipes plusieurs fois, relançant les autorités qui mettent du temps, dans la plupart des cas, avant de désigner un port.
Cette attente est ainsi souvent difficilement supportables d’un point de vue tant matériel que psychologique, pour les rescapés et les équipes de l’Association à bord.
Ce que demande donc l’Association c’est de mettre en place un système de débarquement efficace, cohérent et transparent des survivants vers un lieu sûr, en application du droit international.
– Sur quels fondements légaux agissent les navires humanitaires en mer Méditerranée ?
- Conventions internationales pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, SOLAS, 1974 : « Obligation de prêter assistance : les capitaines et les États ont l’obligation de prêter assistance sans délai à quiconque est en détresse en mer”
- Convention sur la recherche et le sauvetage maritime – SAR, 1979
- Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, 1982
- Directives sur le traitement des personnes secourues en mer – Résolution IMO MSC.167 (78), 2004
Les ONG ont été néanmoins la cible de harcèlement administratif, politique et judiciaire les empêchant de sauver des vies. Depuis 2017, plusieurs enquêtes ont été lancées contre les navires et leurs équipages, sans que les accusateurs puissent prouver la moindre action
illégale des ONG. La plupart des plaintes ont abouti à un acquittement ou ont été abandonnées faute de preuves. Dans d’autres cas, des navires tels que l’Aquarius de SOS MÉDITERRANÉE ont été privés de pavillon suite à des pressions politiques.
Différents mécanismes ont été utilisés par les États et notamment l’Italie pour immobiliser ces actions.
– Combien de temps dure en moyenne une mission?
En période d’épidémie de Covid-19, les missions de l’Association ont été perturbées, les mesures sanitaires imposant un isolement des personnes à bord et des quarantaines avant de pouvoir débarquer.
Avant d’aller sur zone, les membres de l’équipe débutent par des entraînements à terre et en mer. Ces entraînements sont essentiels car ils permettent d’établir une coordination des marins entre eux.
L’équipe à bord de l’Océan Vinking est composé de 23 personnes : 13 marins sauveteurs professionnels, dont un coordinateur des opérations de recherche et de sauvetage, 8 personnes en charge des activités post-sauvetage , 2 chargés de communication.
Depuis septembre 2021, des membres de la Fédération internationale des sociétés de la Croix Rouge et du Croissant Rouge (FICR) ont embarqué sur l’Océan Vinking pour fournir un soutien post-sauvetage aux personnes secourues (soins médicaux, soutien psychologique, protection et produits de première nécessité). Ces personnes composent l’équipe chargée des activités post-sauvetage avec des membres de SOS MÉDITERRANÉE.
En outre, 9 membres d’équipage se partagent conduite et entretien du navire.
Les membres de l’équipe de recherche et sauvetage à bord se relaient sur des missions de plusieurs semaines. La plupart d’entre eux ont déjà effectué plusieurs missions et ont développé une expérience précieuse du sauvetage à grande échelle en haute mer.
Il est important de préciser qu’aucun bénévole n’est présent sur le navire.
S’agissant du temps moyen d’une intervention, il n’est pas possible de savoir à l’avance combien de temps une opération peut durer. Cela peut durer plusieurs jours. La dernière opération, au jour de ma rencontre avec Luciano, avait été composée de 5 sauvetages réalisés en 48h, de jour et de nuit, sauvant ainsi plus de 247 personnes.
L’Association ne fixe pas de nombre déterminé de personnes qui peuvent être accueillies à bord de l’Océan Viking. Sa mission consistant dans le sauvetage, elle ne peut refuser de sauver des personnes en mer. C’est pour cela également qu’il est important de débarquer les personnes le plus rapidement possible, en raison notamment des conditions de vie à bord du bateau mais également de leur état de santé, souvent très dégradé.
III. L’impact des relations géopolitiques et l’absence de coordination en mer
– Quelles sont les relations entre l’Association et l’équipage à bord de l’Ocean viking avec les gardes-côtes libyens ?
L’équipe à bord de l’Ocean Viking est de plus en plus témoin d’interceptions d’embarcations par les gardes-côtes libyens depuis que la Libye s’est vue attribuer la responsabilité d’une zone SAR.
Ainsi, si des gardes-côtes libyens sont en train d’effectuer un sauvetage lorsque le navire de l’Association arrive sur place, il n’est alors pas possible d’intervenir. Cela risquerait en effet de mettre en danger l’équipage sur le bateau ainsi que les personnes secourues.
– Vous sentez vous soutenus par l’Europe? Par la communauté internationale ?
L’Association, tout comme les autres présentes en mer Méditerranée n’est pas soutenue par les États européens. C’est précisément la raison d’intervention de l’Association. En effet, SOS MÉDITERRANÉE a été créée et continue d’agir pour pallier un manque d’investissement humain et financier de la part des États européens.
L’Association est financée à 90% par des dons privés.
-De combien de navires supplémentaires aurait-il besoin actuellement en Méditerranée?
Il y a aujourd’hui un manque cruel de moyens de sauvetage en mer. Cela se constate avec le taux de mortalité qui a continué à augmenter depuis 2017-2018. À cela s’ajoute, l’augmentation des interceptions par les gardes-côtes libyens ces dernières années. En 2021, plus de 30 000 personnes ont été ramenées en Libye (depuis 2022, plus de 3000 personnes).
IV. L’importance du rôle de témoignage :
– Les personnes qui sont recueillies à bord du navire ont-elles tendance à se livrer sur ce qu’elles ont vécues ? Mettent-ils des mots sur ce que l’on nomme “l’enfer libyen”?
Tout de suite après avoir été secourues, les personnes disposent d’un moment de repos, dans le cas où elles ne font pas l’objet d’urgences médicales, tout en ayant, dès ce moment-là, la possibilité d’échanger avec le personnel à bord. Le moment où ces rescapés montent à bord constitue souvent pour eux, le premier moment où elles se sentent en sécurité depuis des mois, voire parfois des années.
Sur le bateau, il y a un abri composé de conteneurs réservés aux hommes et d’autres pour les femmes et les enfants.
Les journalistes sont souvent témoins de récits que les rescapés leur livrent, parfois de manière informelle.
À bord, se met en place une véritable entraide, les rescapés peuvent aussi contribuer à l’organisation de la vie à bord avant le débarquement, satisfaisant ainsi un besoin de participer à la vie de la collectivité.
Une illustration par une expérience vécue à bord de l’Ocean Viking : Y’a de quoi te faire confiance : chanson pour l’Ocean Viking – SOS MEDITERRANEE
– Quel est le rôle de l’Association vis-à-vis de ces témoignages? Fonction d’information
L’Association se dote de trois missions principales : sauver, protéger, témoigner. Témoigner est donc au cœur de son action, c’est pour cela qu’il est particulièrement essentiel d’avoir des journalistes, photographes, à bord. Cette mission passe par les témoignages recueillis, mais également par la mobilisation des bénévoles à terre qui agissent pour relayer la parole des rescapés dans différentes manifestations culturelles.
Par ailleurs, la mission de témoignage de l’Association a commencé avant même d’avoir un navire. À l’origine, en effet, les bénévoles ont très tôt commencé leur action de sensibilisation à travers des interventions en milieu scolaire, tel que cela se fait toujours.
– Y a-t-il un suivi des personnes une fois débarquées? Comment se passe l’accompagnement de ces personnes à terre?
D’autres ONG prennent le relais à terre, la mission de l’Association s’arrête une fois que les personnes sont débarquées. SOS MÉDITERRANÉE constitue le « maillon d’une chaîne de solidarité”.
– Comment aider l’Association?
Il est possible d’aider l’Association de différentes façons. Il est possible de devenir bénévole, de faire des dons, d’organiser des événements en lien avec des actions, de reléguer les messages de l’Association.
Cette situation est vraiment désastreuse
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