La question qui rappelle les temps sombres du XXème siècle et perdure au XXIème siècle : que signifie réellement génocide ?

Un génocide commence par le meurtre d’un homme, non pas pour ce qu’il a fait, mais à cause de qui il est« , a déclaré l’ancien Secrétaire Général des Nations unies, Kofi Annan, premier homme noir à diriger l’organisation de 1997 à 2006. Ces mots étaient en fait le moyen le plus simple d’expliquer au monde ce qu’était vraiment le génocide et comment il s’est produit tout au long de l’histoire.

À en juger par le terme “génocide” lui-même, il n’y a pas d’éléments complexes ou intriqués dans sa définition, au contraire, elle est assez simple, mais comprendre et accepter cet acte inhumain a parfois été difficile pour les États du monde, conduisant à des approches différentes voire à une confusion.

Aujourd’hui, quelle est la réelle définition de la notion de génocide ?

L’article II de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, entrée en vigueur le 12 janvier 1951, donnait deux éléments constitutifs permettant de qualifier/caractériser ce crime odieux en situation de conflit armé, tant international que non international, et en situation de paix. En outre, en regardant le même article, une obligation a été imposée aux parties contractantes de prévenir ou de punir si une telle situation se produit.

La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 est un instrument de droit international, ratifié par 150 Etats, permettant pour la première fois la codification officielle du crime de génocide et établissant ainsi sa définition juridique internationale. De ce fait, au regard de cette convention, le génocide est d’abord “commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux“, et peut être caractérisé par “cinq actes : le meurtre de membres du groupe, des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe, la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, des mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ou le transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe“.

Ainsi, pour pouvoir qualifier un acte de génocide afin qu’il puisse être condamné et puni, il ne suffirait pas d’avoir commis seulement l’un des cinq actes cités ci-dessus. En d’autres termes, seul l’élément matériel du crime ne peut satisfaire aux conditions nécessaires pour définir un tel acte. Il faut un élément moral, psychologique qui peut aussi être appelé « Mens Rea » pour se combiner avec ces « Actus Reus », actes criminels.

Mens Rea signifie une intention ou ici notamment une intention spéciale de détruire physiquement, en tout ou en partie, un groupe uniquement au motif qu’il appartient à un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Ce que l’on appelle cette intention spéciale, ici un «Dolus Specialis», une notion juridique qui fait référence à la situation dans laquelle le délinquant a une intention de vouloir commettre l’acte criminel en question (ou a l’intention d’obtenir un résultat spécifique). Ce terme a donc une place très importante dans la qualification d’un crime de génocide car pour qu’il soit qualifié comme tel , les auteurs doivent avoir planifié/conçu/intentionné de détruire leurs victimes.

Par conséquent, le point critique ici est d’établir l’intention. Ceci est crucial car cette intention spéciale permet de distinguer les crimes contre l’humanité du crime de génocide qui sont commis “dans le cadre d’une attaque de grande ampleur visant des civils, quelle que soit leur nationalité. Ils comprennent le meurtre, la torture, les violences sexuelles, l’esclavage, la persécution, les disparitions forcées, etc”. Cela veut dire qu’une simple intention de disperser un groupe ne peut être qualifiée de crime de génocide.

Lors d’une situation génocidaire, il y a une haine énorme d’un groupe, pas de ses membres en tant qu’individus. Par exemple, en 1994 les Hutus ont lancé une attaque contre les Tutsis au Rwanda avec l’intention de les détruire physiquement pour la simple raison qu’ils étaient Tutsis, entraînant entre 500 000 et 800 000 morts et des migrations.

Il convient de noter que, contrairement à d’autres crimes, selon l’article III de la Convention de 1948, ce ne sont pas seulement les actes de génocide eux-mêmes qui sont punis mais également l’entente en vue de le commettre, l’incitation directe et publique à la tentative de le commettre ou encore la complicité dans le génocide. La Convention visait à couvrir toutes les actions pouvant être liées à cet acte inhumain et a donc choisi une vision plus globale. En d’autres termes, elle ne s’est pas concentrée uniquement sur l’acte de génocide lui-même.

Mais quel genre d’évolution a été réalisé avec cette Convention ? D’où vient son importance?

Il y a différents domaines pour lesquels  l’impact de cette Convention s’est faite sentir : à la fois dans le développement humaniste et dans les questions juridiques.

Le terme de génocide en tant que tel était utilisé avant même que la définition juridique internationale du génocide ne soit introduite par la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide. Le terme a été utilisé pour la première fois en 1944 par un avocat polonais, Raphaël Lemkin, dans son livre Axis Rule in Occupied Europe. Cependant, jusqu’à cette date, le terme ne pouvait être accepté ni reconnu sur la scène internationale. 

Le vent du changement a commencé en 1948, après les crimes commis par les nazis contre des millions de juifs, notamment en Europe.  Ceci a été l’élément déclencheur pour que ces atrocités ne se reproduisent plus. 

De plus, cette Convention, qui promeut une meilleure protection des droits de l’homme, a également ouvert la voie pour que le génocide soit considéré comme un crime et puni au niveau national et international à partir de 1948 conformément aux principes Nulla poena sine lege (1) et Nullum crimen sine lege (2), qui sont les principes fondamentaux du droit pénal national et international. définition en français?

Selon ces deux principes, il ne peut y avoir de crime (1) et de châtiment (2) sans loi. En d’autres termes, si un acte n’est pas reconnu comme un crime par la loi avant que la personne ne commette cet acte, cet acte ne peut être considéré comme un crime. Dès lors, aucune sanction ne peut être prononcée pour cet acte qui n’est pas défini comme un crime. C’est une façon de protéger les personnes contre les jugements arbitraires et on l’appelle aussi le principe de légalité, qui est également protégé par l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Cependant, il convient de noter que, le principe de légalité est associé au principe de non- rétroactivité de la loi pénale plus sévère et que même le crime de génocide n’a pas de statut particulier au regard de ce principe, il ne peut donc échapper à son application. Cette position a été confirmée le 20 octobre 2015 devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), Grande Chambre, Vasiliauskas c. Lituanie. En conséquence, la Convention de 1948 n’est pas rétroactive, c’est-à-dire qu’elle ne peut s’appliquer aux actes commis avant son entrée en vigueur.

Une autre évolution apportée par cette Convention a été la détermination de la juridiction compétente pour juger ce crime de génocide. Aux termes de l’article 6, “les actes énumérés à l’article 3 seront traduits devant les juridictions compétentes de l’Etat où le crime a été commis ou devant la cour criminelle internationale qui sera compétente à l’égard de celles des Parties contractantes qui en auront reconnu la juridiction”. C’est-à-dire, à partir de la compétence territoriale pénale de l’Etat en question, la Cour Pénale Internationale (CPI), le tribunal pénal international, le tribunal spécial ou hybride peut être également compétent. Cela a été fait en 1994, par exemple, pour poursuivre les responsables devant le tribunal pénal international pour le Rwanda, établi à Arusha.

De plus, en 1998, 50 ans après l’adoption de la Convention pour la prévention et la répression de 1948, le Statut de Rome de la CPI a été adopté et a inclus le crime de génocide dans ce Statut (article 6). Il l’a également ajouté parmi les 4 crimes internationaux relevant de sa compétence (article 5). Il s’agissait d’une innovation importante car l’acte de génocide a été une fois de plus mis au jour sur la scène internationale, mettant à l’ordre du jour que l’acte de génocide n’est pas seulement un crime en soi, mais aussi un crime international qui peut être poursuivi par la CPI.

Enfin, au regard de cette Convention, elle énonce les principes qui font partie du droit international coutumier général, tels que l’interdiction du génocide et l’obligation de prévenir et de punir le crime de génocide. Cela signifie que, relevant du droit international coutumier, ces obligations contraignantes s’imposent non seulement aux Parties contractantes mais également à tous les États qui les ont ratifiées ou non.

A la suite de l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans l’affaire Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro, dans un rapport de la Cour internationale de justice (CIJ) en 1996 et en 2007, la violation de l’obligation de prévenir le génocide et de ne pas commettre de génocide, respectivement, a été confirmée par la Cour. De plus, d’après la CIJ, la première était considérée comme ayant une portée extraterritoriale. 

Cependant, il y a eu également des développements importants suite à l’adoption de cette Convention en 1948 au niveau national dans différents Etats.

En France, en 1994, le nouveau code pénal français crée un chapitre intitulé « crimes contre l’humanité » qui y consacre une place entière au génocide. L’article 211-1 du Code pénal français a repris à peu près les mêmes définitions et éléments constitutifs que la Convention : un élément matériel en se combinant avec un élément moral d’intention spéciale. Selon cet article, l’acte doit être commis “en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d’un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire“.

De l’autre coté, en droit canadien, le génocide est un acte “commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe identifiable de personnes et constituant, au moment et au lieu de sa commission, un génocide au regard du droit international“. Une façon d’ouvrir la définition conformément aux développements du droit international est donc une dépendance claire à la position actuelle du droit international.

Une nouvelle atrocité contre l’humanité en Chine : Génocide contre les Ouïghours au 21e siècle

Des avocats, des humanistes, des juges, des philosophes et bien d’autres personnes ont tenté et voulu éviter un nouveau crime de génocide à notre époque. Malgré tous ces progrès tant au niveau national qu’international, malheureusement les pays et les organisations n’ont pas encore été en mesure d’atteindre l’objectif ultime de protéger les groupes de cet horrible acte de génocide.

Que se passe-t-il en Chine contre les Ouïgours ?

Un petit rappel de l’histoire

Les Ouïghours sont un peuple turcophone majoritairement musulmans sunnites qui vivent au Xinjiang, en Chine, région officiellement connue sous le nom de Région autonome ouïghoure du Xinjiang, nord-ouest de la région de Xinjiang (XUAR). Ce peuple fait  l’objet d’actes systématiques de répression et de violence de la part du gouvernement de la République populaire de Chine depuis le début des années 2010. Mais en 2017, un million de Ouïgours ont été placés dans des camps de rééducation sans leur consentement. Le gouvernement a tenté de dissimuler sa brutalité sous l’illusion d’un processus de rééducation des Ouïghours auquel aucun pays ou organisation internationale ne croyait.

Selon divers groupes, organisations et États, il existe des preuves que les Ouïghours sont utilisés pour réaliser du travail forcé et que les femmes sont stérilisées de force. Certains anciens détenus du camp se sont exprimés publiquement et ont déclaré avoir été torturés et abusés sexuellement. Le gouvernement chinois a délibérément ciblé les minorités ouïghoures  uniquement à raison de ce qu’elles sont et visait à les placer dans des camps dans lesquels  les conditions mettent leur existence en danger, voire mènent à leur destruction physique totale ou partielle. et même Le gouvernement a également pu commettre des actes entravant la naissance au sein du groupe en forçant les femmes à se stériliser et à utiliser la contraception forcée. En d’autres termes, il y a une intention claire et précise du gouvernement chinois de réduire la population appartenant à ce groupe ou même de l’éliminer complètement.

À l’été 2020, une association de près de deux cents ONG représentant trente-six pays a publié un rapport décrivant le travail forcé des Ouïghours dans le cadre de l’exploitation des ressources agricoles au Xinjiang, notamment le coton. Le rapport souligne l’implication indirecte des entreprises occidentales de confection dans la mobilisation forcée des travailleurs ouïghours, kazakhs ou d’autres minorités musulmanes.

Évolutions récentes de la reconnaissance du Génocide contre les Ouïghours dans le monde

Face à la brutalité et aux actes inhumains commis contre les Ouïghours, de nombreux pays reconnaissent officiellement ces actes comme un génocide. Ces pays comprennent les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, les Pays-Bas, la Lituanie et le Canada. Cependant, le monde attend toujours que l’Allemagne et l’Italie rejoignent ces pays.

La dernière nouvelle est venue de France, le 20 janvier 2022, adoptant une résolution non contraignante avec 169 voix pour et une seule contre, suite à la proposition des socialistes de l’opposition qui a ensuite été soutenue par le parti du président Emmanuel Macron. Selon cette résolution, l’Assemblée nationale française a officiellement reconnu les violences commises par la République populaire de Chine contre les Ouïghours comme constituant un crime contre l’humanité et un génocide. C’est une grande victoire pour les Ouïghours et pour la lutte pour défendre les droits de l’homme partout et pour tous.

En outre, lors du Jeux de l’ Olympic  de l’hiver qui s’est tenu cette année à Pékin, le 4 février 2021, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie ont mené un boycott diplomatique pour montrer leur positions contre les actes commis par le gouvernement chinois à l’égard de la question ouïghoure.

Cependant, la réponse à la reconnaissance de ce génocide par le Parlement français est venue de la Chine un jour après, le 21 janvier 2021, en la condamnant. « La résolution de l’Assemblée nationale française sur le Xinjiang ignore les faits et les connaissances juridiques et s’ingère grossièrement dans les affaires intérieures de la Chine », a déclaré le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Zhao Lijian lors d’un point de presse régulier. « La Chine s’y oppose fermement.”

Il est à noter que la Chine a ratifié la Convention de 1948 le 18 avril 1983. Juridiquement, elle a l’obligation de ne pas commettre de génocide et de l’empêcher. Cependant, une réserve a été faite lors de la ratification disant que “ne se considère pas lié par l’article IX de ladite Convention“, qui stipule que “les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation, à l’application ou à l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un État pour génocide ou pour l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III, sera soumis à la Cour internationale de Justice à la demande de l’une quelconque des parties au différend. »

Idil Igdir, membre de l’ADHS

Références :

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