J’espérais faire de la musique, un moyen de nous
Kery James
libérer. Que ma lutte soit autre chose qu’une
défaite anticipée.
Rappeur engagé, réalisateur et acteur, Kery James s’inscrit incontestablement dans
la lignée des précurseurs du rap conscient. Le rap est un genre musical très
rapidement vu comme un moyen de contestation et de dénonciation d’injustices
sociales. Il est question, dans les textes de rap conscient, d’éveiller les consciences
en faisant passer des messages précis avec des paroles, parfois violentes,
volontairement.
Dans Lettre à la République, l’un de ses morceaux les plus polémiques, Kery James
se livre comme à son habitude dans un texte honnête et virulent.
Ce texte a bien évidemment choqué et fait couler beaucoup d’encre puisqu’il
évoque le passé colonial de la France. L’auteur s’en prend directement à tout le
corps politique et dénonce le racisme qu’il subit. Le texte datant de 2012, aborde
de nombreux thèmes qui font écho à des débats d’actualités
En effet, il évoque notamment la criminalité en col blanc, notion introduite par
Edwin Sutherland en 1939 dans la langue anglaise, qui est définie comme « un
crime commis par une personne respectable et de haut rang social dans le cadre de sa
fonction. » Autrement dit, une distinction est faite entre les crimes ou délits
effectués par les petits gens et les crimes commis par les gens « d’en haut ».
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’auteur en parle puisque dans Racailles
il pointe clairement du doigt la classe politique en citant tous les élus qui ont été
condamnés par la justice entre autres Balkany, Alain Juppé ou encore Harlem
Désir. Cette critique n’a rien de nouveau en ce que récemment l’ancien président
de la République Nicolas Sarkozy a été condamné à trois ans de prison dont un an
ferme dans l’affaire dites des écoutes. Il a été déclaré par le Tribunal correctionnel
coupable de corruption et de trafic d’influence. A titre anecdotique, c’est la voix de
Nicolas Sarkozy avec sa phrase : « vous en avez assez d’cette bande de racailles. On
va vous en débarrasser au Karcher », qu’on entend au début du titre Racailles.
Sanctionné pénalement, délinquant, pourtant, il a reçu le soutien du Ministre de
l’intérieur en place, Gérard Darmanin. Ce soutien a mal été perçu dans la mesure
où ce même homme a soutenu les violences policières et n’a délivré aucun mot de
soutien aux victimes de ces agissements. L’interrogation de Kery James est donc
justifiée car reflet d’une incompréhension face à ce genre de discrimination ou du
moins distinction.
Comme toute la France d’en bas j’crois plus aux politiciens
Kery James
J’continue le combat, j’crois au réveil citoyen
La différence de traitement entre les criminels en col blanc et les autres est
marquante puisqu’il est presque ironique d’entendre de la bouche de personnes
condamnées pour abus de biens sociaux et détournement de fonds publics des
remarques sur les jeunes de quartier « indisciplinés». En parallèle à cela, Mafia
K’1 Fry, un collectif de hip hop français, fondé par Kery James avait aussi écrit :
Laisse-moi te dire un truc les vrais voyous sont en costard
Sont pleins de bobards, se nomment politicards
Ils ont des comptes à l’étranger dans des paradis fiscaux
Voyagent en jet privés, en hélico
À l’assemblée ils votent des lois qui les protègent, se déplacent en cortège
Finalement, ce combat contre la criminalité en col blanc et la classe politique ne date
pas d’hier et est partagé par plusieurs rappeurs. Il provient notamment du fait que les
injustices sociales qui voient le jour visent toujours les mêmes catégories de
personnes. Les rappeurs narrent alors leur réalité en s’érigeant comme les
représentants de groupes sociaux auxquels ils revendiquent leur appartenance. Ils
font le plus souvent écho à une jeunesse de banlieues, des quartiers défavorisés, qui
est la plupart du temps mal représentée dans les médias qui dépeignent un portrait
rempli de préjugés.
Ainsi, il est intéressant de voir comment par cette prise de parole, une jeunesse
oubliée se libère face à un discours assimilateur et réducteur.
Par ailleurs, Kery James dans son titre Aux pays des droits de l’Homme, écrit :
Surpeuplées sont les prisons
Et vu la répression, peu de solutions à l’horizon
Au pays des droits de l’Homme et du folklore des libertés
La prison est un cimetière où vient crever la dignité…
Les cellules sont asphyxiées par la promiscuité
Il met en lumière dans ce texte, la surpopulation des prisons de France et l’atteinte à
la dignité qui a été élevée au rang de « principe à valeur constitutionnelle », dans une
décision du Conseil constitutionnel de 1994 au sujet de la loi dite de bioéthique de 1994. L’arrêt du Conseil d’État du 27 octobre 1995, dans l’affaire de « lancer de nains »
de Morsang-sur-Orge, a d’ailleurs inclus la notion de « dignité humaine » en tant que
composante de l’ordre public.
Encore une fois, ce couplet fait écho à une situation actuelle en France mettant en
évidence le rap comme moyen au service d’une cause. En effet, la Cour européenne
des droits de l’Homme rend le 30 janvier 2020 un arrêt important condamnant la
France pour les conditions de détention des détenus. La Cour a surtout décrié la
surpopulation des prisons françaises qui compromettent les droits fondamentaux des
détenus. Ce constat est malheureux, d’autant plus que la loi pénitentiaire de 2009
dispose dans son article 22 que : « l’administration pénitentiaire garantit à toute
personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L’exercice de ceux-ci ne peut
faire l’objet d’autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la
détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention
de la récidive et de la protection de l’intérêt des victimes ». Cette loi est loin d’être
respectée, décrédibilisant ainsi le « Pays des droits de l‘Homme » à l’échelle
européenne.
Si le rap conscient est critiqué par certains en ce qu’il est moraliste et donneur de
leçons, il se révèle néanmoins comme le reflet de problèmes sociaux souvent ignorés
à un moment donné. Par rapprochement, on dit également du droit qu’il est l’image
d’une société à un moment donné.
Pour finir, Kery James a également déplacé son combat politique du studio à la scène.
En effet, en 2017, au théâtre du Rond-point, il écrit un texte dans lequel deux avocats
s’affrontent dans une plaidoirie à travers la question suivante : l’État est-il seul
responsable de la situation actuelle des banlieues ? Un discours évidemment engagé
et éloquent qui sera retranscrit dans son film Banlieusards disponible sur Netflix.