Le 24 avril 1915, à Constantinople, ancienne capitale de l’Empire ottoman, le chef du Comité Union et Progrès (“CUP”), parti au gouvernement, ordonne la répression des aristocrates arméniens. Ce parti arrive au pouvoir en 1908 mais ne fait pas l’unanimité auprès de la population et très vite des groupes contre-révolutionnaires se forment. Le CUP au pouvoir a cependant réprimé les actions menées par ces groupes partisans.
Le Comité Union et Progrès est composé d’un parti unique et est caractérisé par une dictature “extrêmement violente” que l’historien Vincent Duclert qualifie de gouvernement “fasciste”.
En 1915, le parti au pouvoir et son chef de gouvernement, Talaat Pacha, décident de l’élimination de la population arménienne. Dans le contexte de la Première Guerre mondiale, l’Empire Ottoman est allié à l’Autriche-Hongrie et à l’Allemagne. Face à eux se trouve l’alliance entre la Russie, la France et le Royaume Uni. C’est alors que le gouvernement de Talaat Pacha accuse les Arméniens de trahison lorsque certains d’entre eux fuient en Russie. Selon Vincent Duclert, le gouvernement de Talaat Pacha aurait donc proclamé qu’il fallait éloigner les Arméniens le plus loin de l’Empire ottoman, les accusant de trahison.
Il met en place un programme de destruction de la population arménienne en commençant par les aristocrates, étant les plus influents. Le 24 avril 1915, plus de 600 notables arméniens sont exécutés à Constantinople.
Ce génocide se poursuit avec l’arrestation de l’ensemble des hommes de la population, quelle que que soit leur classe sociale, et enfin au mois de mai ce sont des familles entières qui sont arrêtées et déportées dans l’Anatolie (actuelle Turquie) où elles seront finalement exécutées. Le schéma était programmé et répétitif : arrestations, déportations et exécutions.
L’objectif était d’éliminer cette partie de la population de l’Empire ottoman. Ce génocide dure jusqu’à la fin de l’année 1916 et au total plus d’1,5 million d’Arméniens ont été assassinés.
En octobre 1918, l’Empire ottoman s’écroule et les responsables du parti unioniste fuient le pays laissant place à un gouvernement plus modéré et favorable à la paix. Ce nouveau parti décide de faire justice pour les Arméniens et lance les premiers jugements des responsables de ce génocide.
Cependant, la population de Constantinople s’oppose fortement à ces jugements puisque grand nombre de Turcs sont accusés, ce qui attire les contestations des nationalistes. Ces derniers dénoncent une atteinte à “l’honneur des citoyens turcs”.
A l’échelle internationale, le Traité de Sèvres du 10 août 1920 prévoyait un volet de justice internationale pour juger les auteurs de ces massacres, mais celui-ci a été rejeté. Il n’y a donc pas eu de reconnaissance internationale de ce génocide.
C’est finalement le procès de Soghomon Tehlirian qui témoigne d’une certaine reconnaissance. En effet, ce jeune arménien a été accusé d’avoir assassiné Talaat Pacha, dirigeant du CUP, en réponse aux massacres ayant eu lieu en 1915. Lors de son procès les 2 et 3 juin 1921, il est finalement acquitté. Cet acquittement a été la première étape de la reconnaissance de ce génocide.
Reconnaissance particulière des USA : “ Le peuple américain honore tous ces Arméniens qui ont péri dans le génocide qui a commencé il y a 106 ans aujourd’hui ” Joe Biden, 24 avril 2021
Certains prédécesseurs du Président Joe Biden avaient évoqué les massacres sur les Arméniens sans jamais le qualifier officiellement de génocide mais avaient abordé l’idée de le faire. A ce titre, il est possible de citer un discours de Ronald Reagan en 1981 dans lequel il abordait le génocide arménien sans officialiser ce terme, ou encore Barack Obama mais qui ne l’a pas fait lorsqu’il était investi. Plus récemment, au cours de son mandat, le Président Trump a utilisé les termes “atrocités de masse” afin d’éviter d’employer le mot génocide tout comme l’ensemble des Présidents qui l’ont précédé.
En 2019, le Sénat américain a fait un premier pas vers la reconnaissance du génocide. Le 12 décembre 2019 il a adopté à l’unanimité une résolution définissant les massacres de 1915 de “génocide”.
La Chambre des représentants avait quant à elle, à plusieurs reprises, voté de telles résolutions. Cependant, ces résolutions n’ont eu aucune valeur juridique contraignante pour l’exécutif américain, mais ont tout de même représenté symboliquement la volonté du Congrès de reconnaître cet évènement.
En revanche, quelques jours après la publication de ces résolutions, le porte-parole de l’exécutif a tenu à préciser qu’en aucun cas sa position avait changé à ce sujet.
Pourquoi ce refus d’utiliser le terme “génocide” ?
Depuis la chute l’Empire ottoman, la Turquie n’a jamais reconnu ce génocide tel que définit par l’article 6 du Statut de Rome qui dispose qu’il s’agit ” des actes […] commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) Meurtre de membres du groupe ; b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.” Elle a mis en place des politiques négationnistes. En effet, elle a souvent admis l’existence de massacres ayant eu lieu durant la Première Guerre mondiale, mais n’a pas reconnu être impliquée.
On peut retrouver de telles explications notamment sur le site du Ministère des affaires étrangères. De plus, la Turquie fait partie de l’OTAN depuis 1952 et exerce une pression sur les autres Etats dans la reconnaissance du génocide. Elle a menacé à plusieurs reprises de quitter cette alliance atlantique si une telle reconnaissance était effectuée.
De plus, une telle hésitation des Etats-Unis à franchir ce cap de reconnaissance peut également se justifier dans l’histoire de son propre pays. En effet, comme l’a dit Julien Zarifian, maître de conférences à l’Université Cergy-Pontoise “si les Etats-Unis tergiversent depuis si longtemps à reconnaître un génocide sérieusement établi […] c’est aussi parce que, au-delà de la géopolitique, la reconnaissance des pages sombres de l’histoire peut poser question dans un pays qui s’est bâti, pour partie, sur l’élimination des populations amérindiennes et sur la mise en esclavage puis la ségrégation des populations africaines-américaines.”
C’est alors Joe Biden qui, pour la première fois, qualifie de “génocide” l’extermination des Arméniens en 1915.
Joe Biden fait cette reconnaissance à la date de commémoration du génocide arménien le 24 avril 2021. C’est un message très fort qu’envoie alors le Président des Etats-Unis, 2ème pays après la Russie abritant la diaspora arménienne (voir carte). De plus, la symbolique dans le choix du jour est très importante pour les Arméniens qui se rassemblent et manifestent tous les 24 avril pour demander la reconnaissance du génocide, cette date étant celle du début du génocide.
Sources :
- Qu’est-ce que l’OTAN ? site de l’OTAN https://www.nato.int/nato-welcome/index_fr.html
- Tribune “ 2019: L’année où (enfin) les Etats-Unis ont (presque) reconnu le génocide des Arméniens ”, Le Figaro, Julien Zarifian
- » La diaspora arménienne en un coup d’œil « , Courrier international, 12 décembre 2020
- » Génocide arménien : une si lente reconnaissance « , Le Monde, Leila Marchand, 24 avril 2015
- » Joe Biden reconnaît le génocide arménien, une première pour un président américain « , Le Monde, Arnaud Leparmentier, 24 avril 2021
- » Arménie : la diaspora aux États-Unis « fait pression constamment » pour la reconnaissance du génocide « , TV5 Monde, 24 avril 2021
- “Arménie 1915-2015 : Quelles leçons tirer du génocide ? ”, Courrier international, Evguéni Sanatovski, 15 avril 2015
- » Où en est-on de la reconnaissance du génocide arménien dans le monde ? « , GEO avecc AFP, le 27 avril 2021
Margaux Sourisseau, Milena Bisztyga et Emma Kiladjian membres de l’ADHS