« Démontez-moi cette vieille échelle boiteuse des crimes et des peines, et refaites-la. Refaites votre pénalité, refaites vos codes, refaites vos prisons, refaites vos juges. Remettez les lois au pas des moeurs. » écrivait Victor Hugo. Le droit de manière générale est l’image d’une société à un moment donné. Le droit pénal n’échappe pas à cette règle et doit donc s’adapter aux nouveaux enjeux posés par le numérique.
Aujourd’hui, plus que jamais, les réseaux sociaux sont un phénomène en constante évolution dépassant dès lors, toutes les prévisions faites par les spécialistes.
La sociabilité numérique et l’omniprésence des réseaux sociaux appellent effectivement le législateur à la vigilance et à l’action. Les enjeux juridiques nouveaux en matière pénale se posent eu égard aux mutations numériques, menant ainsi certains juristes, à parler du développement d’un droit pénal 2.0. En effet, les réseaux sociaux sont le siège de réalisation de nouvelles infractions. Certaines infractions, connues classiquement, se sont adaptées aux nouvelles technologies. Une sorte de nouvelle délinquance voit alors le jour visant un public de plus en plus jeune.
Force est de constater que les règles traditionnelles ne permettaient plus d’assurer la répression de ces nouveaux types de comportement. Le législateur est intervenu pour combler ce vide juridique, mais, beaucoup d’incertitudes subsistent quant à l’interprétation de ces nouveaux textes, fragilisant alors leur efficacité… Il reviendra donc aux juridictions de les interpréter.
Ainsi, il convient dans cette étude de traiter le cyber harcèlement et le revenge porn qui sont à l’image de l’élargissement de cette nouvelle délinquance 2.0.
I/ Le cyber harcèlement, nouveau dérivé du harcèlement
Une étude réalisée par Diplomeo, sur les habitudes des jeunes âgés entre 18 et 25 ans en matière de réseaux sociaux a montré que 82% de ce public utilise la plateforme Instagram. Des chiffres qui augmentent de manière exponentielle, mettant en lumière une génération privilégiant de nouveaux outils de communication.
Si les réseaux sociaux se révèlent être un vecteur majeur de promotion de marques ou de communication entre amis, il n’en demeure pas moins que certaines pratiques engendrent des dommages majeurs et appellent à la plus grande des vigilances.
Le cyber harcèlement est une forme de harcèlement qui se passe sur internet. Il obéit aux mêmes formes de harcèlement classique c’est-à-dire : moqueries, humiliations, menaces, mais de manière dématérialisée.
Le cyber harcèlement est défini par le Ministère de l’Éducation nationale comme: « un acte agressif, intentionnel perpétré par un individu ou un groupe d’individus au moyen de formes de communication électroniques, de façon répétée à l’encontre d’une victime qui ne peut facilement se défendre seule ».
Le cyber harcèlement a néanmoins des traits spécifiques en ce que beaucoup considèrent internet comme une zone de non droit. Ainsi, alors que les cyber harceleurs n’oseraient pas agresser une personne dans la vraie vie, sur internet sous couvert d’anonymat ou non, ils ne perçoivent pas directement les conséquences de leurs actes. C’est particulièrement le cas du jeune public. La dangerosité de ce type d’harcèlement est que tout va très vite sans que personne ne puisse en contrôler la portée.
Si le harcèlement scolaire s’arrêtait autrefois aux portes de l’établissement scolaire, il franchit aujourd’hui les barrières pour atteindre le temple de la vie privée : le domicile de l’élève. Finalement, ce type d’harcèlement ne laisse aucun répit à la victime menant dans beaucoup de cas au suicide.
Comme le harcèlement dit « classique » il peut être moral ou sexuel.
Le cyber harcèlement moral
En droit pénal, pour qu’une infraction soit constituée, il lui convient de présenter trois éléments : un élément légal, un élément matériel et un élément moral. Le cyber harcèlement moral est régi par l’article 222-33-2-2 4° du Code pénal. Il est une circonstance aggravante du harcèlement moral classique.
L’acte matériel, doit être des propos ou comportements répétitifs, commis par un individu sur la victime. Les propos ou comportements doivent être effectués par le biais d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique. Cet acte doit mener, comme le préconise l’article du Code pénal, à une dégradation des conditions de vie, traduisant ainsi, une atteinte à la santé physique ou mentale de la victime.
Concernant l’élément moral, il faut que l’auteur l’ait causé volontairement en ayant connaissance de ces actes.
La loi du 3 aout 2018, a permis de renforcer la poursuite des auteurs de cyber harcèlement. En effet, elle vise l’hypothèse où les propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes de manière concertée à l’instigation de l’une d’elle, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée. Alors que le harcèlement classique ne permet pas de sanctionner ce type de situation, cette nouvelle disposition permet de poursuivre pénalement l’ensemble des cyber harceleurs.
Cependant, cette éventualité suppose que, l’auteur se soit préalablement concerté avec le groupe de harceleurs, ou, qu’il ait agi sous l’instigation de l’un d’eux.
La deuxième hypothèse quant à elle, vise les propos ou comportements, qui se trouvent imposés à une même victime, successivement par plusieurs personnes, qui même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition. Cette idée, va au-delà de la première hypothèse, en ce qu’elle supprime la nécessité d’une concertation entre les cybers harceleurs. Toutefois, on doit déterminer chez l’auteur la conscience que son geste allait caractériser une répétition.
Le cyber harcèlement moral est passible de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende.
L’auteur des faits peut voir sa peine sur aggravée, encourant trois ans de prison et 45 000 euros d’amende lorsque les faits :
- Causent une incapacité totale de travail supérieure à huit jours ;
- Se commettent sur un mineur de quinze ans ;
- Se portent sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur
Le cyber harcèlement sexuel
Le cyber harcèlement sexuel est prévu par l’article 222-33 du Code pénal. Il s’agit d’une circonstance aggravante du harcèlement sexuel.
Il peut s’agir de :
- Publication de photographies sexuellement explicites ou humiliantes sur des réseaux sociaux. Des comptes snapchats « fisha » consistant à afficher des « nudes » c’est-à-dire des photos dénudées de jeunes femmes, très souvent mineures, avaient d’ailleurs fait polémique et continuent d’inquiéter vivement les parents.
- « Slut-shaming » qui consiste à rabaisser et humilier des femmes sur les réseaux sociaux du fait de leurs attitudes, apparences ou nombre de partenaires par exemple.
Le cyber harcèlement sexuel est puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
II/ Le revenge porn : Le cyber harcèlement sous un nouvel angle
Les nombres de suicides suite au cyber harcèlement font malheureusement très souvent la une de la rubrique des faits divers. Récemment, une adolescente de 14 ans, Alisha, a été retrouvée morte noyée dans la Seine, après avoir subi le cyber harcèlement par deux de ses camarades, ou pour être plus précis du « revenge porn ».
Le revenge porn ou vengeance pornographique est une pratique qui consiste à publier en ligne des photos ou vidéos intimes d’une personne sans qu’elle eût donné son consentement dans le but de se venger. Le revenge porn, peut soit être mis en ligne par un ex partenaire dans le but d’humilier, soit par un pirate en échange d’une somme d’argent.
Il peut arriver que le contenu des photos ou vidéos soit réalisé avec l’accord de l’intéressé, toutefois, leur diffusion n’est jamais consentie.
Historiquement, dans les années 80 déjà, le magazine Hustler comprenait une rubrique d’images de femmes nues importées par des lecteurs et publiées à leur insu. Le chercheur italien Sergio Messina, a d’ailleurs quelques années plus tard identifié une nouvelle forme de pornographie appelé, Realcore pornographie. C’est précisément une pornographie basée sur des images et vidéos d’ex petites amies distribuées pour se venger. Dès 2012, aux Etats Unis, le Cyber Civil Rights Initiative, a commencé une campagne en ligne contre le revenge porn afin qu’il puisse être criminalisé.
En France, le 16 mars 2016, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt très controversé en ce qu’elle a décidé que : « N’est pas pénalement réprimé le fait de diffuser, sans son accord, l’image d’une personne réalisée dans un lieu privé avec son consentement ». Dans cet arrêt, la Cour de cassation, juge du droit et non des faits, vient préciser que la vengeance pornographique n’est pas une infraction pénale dès lors que, la victime a consenti à l’enregistrement initial de la vidéo ou photo à caractère sexuel. Autrement dit, le consentement initial est un point de repère. Le consentement donné pour le cliché initial emporte finalement consentement pour la diffusion également.
Cette décision avait largement fait l’objet de critiques par les victimes, mais la Cour de cassation, tout en respectant le principe de légalité des délits et des peines ne pouvait donner une interprétation autre au texte légal.
Ainsi, dans un souci de protection croissante des victimes de revenge porn, l’article 67 de la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016, a introduit un nouvel article 226-2-1 dans le Code pénal. Cet article se trouve sous les articles 226-1 et 226-2, qui concernent le délit d’atteinte volontaire à l’intimité de la vie privée par transmission de propos tenus en privé ou par captation et diffusion d’image.
L’article 226-2-1 du Code pénal dispose : « Lorsque les délits prévus aux articles 226-1 et 226-2 portent sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel prises dans un lieu public ou privé, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 € d’amende.
Est puni des mêmes peines le fait, en l’absence d’accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d’un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même, à l’aide de l’un des actes prévus à l’article 226-1 ».
La loi punit désormais l’infraction de Revenge Porn, indépendamment du fait, de considérer que la personne ait donné son consentement à l’enregistrement initial de la vidéo ou des images. Le seul fait que la diffusion, notamment sur les réseaux sociaux, ait lieu sans le consentement de la personne suffit.
Waad Mahrouk, membre de l’ADHS
Sources :
L’adaptation du droit pénal aux réseaux sociaux en ligne – Elie Stella
Cyber-harcèlement ou harcèlement en ligne – Cabinet ACI
La pénalisation du revenge porn par la Loi Lemaire – Virginie Bensoussan-Brulé
https://www-dalloz-fr.ezpaarse.univ-paris1.fr/documentation/Document?id=DIPIT/CHRON/2016/0313