Lia Simoni, avocate au Barreau de Bastia, a accepté de répondre aux questions de l’Association des Droits Humains de la Sorbonne (ADHS).
Dans cet entretien, Maître Simoni nous explique son parcours universitaire, ce qui l’a conduite à devenir avocate, sa vision de la profession. Puis, elle évoque le statut de détenu particulièrement signalé (ci-après DPS), la possible réponse juridique aux insultes anti-corses grâce à l’influence du droit communautaire ainsi que le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité (ci-après QPC).
Maître Simoni, vous avez prêté serment en février dernier, quel a été votre parcours universitaire ?
J’ai effectué l’ensemble de mon parcours universitaire à l’Université de Corse. Plus précisément, j’ai intégré un Master 1 puis un Master 2 « Procès et contentieux ». A l’issue, j’ai présenté l’examen d’entrée au CRFPA, cependant je n’étais pas prête et j’ai donc échoué. La seconde fois, en sus de mon inscription à l’IEJ de Corse, j’ai suivi une préparation auprès de Capavocat. J’ai ainsi été correctement préparée à cet examen que j’ai finalement obtenu. J’ai eu par ailleurs la possibilité d’effectuer un stage de six mois au sein du cabinet de Jean-Sébastien De Casalta où j’avais déjà réalisé un stage de trois mois lors de mon Master 2.
Après avoir obtenu le concours d’entrée, j’ai suivi ma formation d’élève-avocat au sein de l’école des avocats du Sud-Est, à Marseille.
Quand l’idée de devenir avocate vous est-elle venue ?
Tout d’abord, je me suis dirigée vers le droit, car je ne savais pas précisément ce que je souhaitais faire. Je ne voulais pas me fermer de portes et, étant donné que le droit est une filière dans laquelle nous développons énormément notre culture générale, cela me permettait de d’obtenir une licence, et, quelque part, de proroger mon choix professionnel à une date ultérieure en me laissant un délai de 3 ans.
J’ai finalement décidé de continuer ce cursus en m’orientant vers un master « Procès et contentieux ». Au cours de ce master, j’ai réalisé un premier stage chez Maître Charles-Éric Talamoni intervenant essentiellement en matière civile. C’était mon premier contact avec la profession d’avocat, aux côtés d’un maître de stage bienveillant et formateur m’ayant conduite à poursuivre mon cursus universitaire par un Master 2.
C’est au cours de cette nouvelle année que j’ai rencontré Maître de CASALTA, lequel m’a confié des dossiers pénaux, avec lequel j’ai appris la pratique du contentieux pénal.
J’ai alors compris que je pouvais m’épanouir au sein de cette profession en ce qu’elle oblige à constamment s’intéresser, s’actualiser, aller apprendre chez les confrères expérimentés certes, mais aussi des plus jeunes, de faire preuve d’innovation parfois, et quelque part, de toujours repousser les limites dans le travail de recherche et le raisonnement juridique.
C’est donc, à compter de ce moment, que j’ai décidé que j’allais présenter l’examen d’accès au CRFPA (Centre régional de formation professionnelle d’avocats).
Vous avez prêté serment en février dernier. En tant que jeune avocate, comment appréhende-t-on l’exercice de la profession ? Comment concilier le professionnel avec le personnel ?
Premièrement, j’ai la chance d’avoir été élève-avocate, et donc formée, chez Maître De Casalta qui a souhaité me garder, en tant que collaboratrice. Je pense que cela me permet de conserver « les petites roues sur le vélo » pendant encore un moment. Ce d’autant qu’il est ancien bâtonnier, et qu’il peut ainsi me conseiller en matière de déontologie et sur la pratique de la profession, entre autres. C’est une aide précieuse et un soutien particulier qui permet de rester encadrée professionnellement.
Ensuite, de manière plus générale, je crois qu’il ne faut pas oublier que nous avons des confrères, que nous devons être là pour eux, comme ils le sont pour nous. Il ne faut pas hésiter à s’exprimer lorsque nous sommes confrontés à une difficulté ou dire que l’on ne sait pas. Il est vrai qu’au début de l’activité, nous y allons souvent à tâtons. C’est une vie nouvelle qui commence avec des horaires soutenus, avec aussi et surtout une implication particulière et intense. Je ne regrette absolument pas, même si parfois j’ai l’impression d’être dans un cycle « essorage » ! (rires)
Enfin, cette profession touchant notre vie privée, il me semble indispensable de s’épanouir dans le métier d’avocat compte tenu du temps important mais nécessaire qu’il lui est consacré.
Vous parliez de vos différents stages et de ce qu’ils vous avaient apporté, comment avez-vous vécu la relation avec Maître Jean-Sébastien De Casalta dont vous êtes désormais la collaboratrice ?
Effectivement, depuis le Master 2, j’ai réalisé l’ensemble de mes stages avec Maître De Casalta.
En réalité, si j’ai pu autant m’investir c’est aussi parce qu’il m’a donné cette place, la possibilité de pouvoir me réaliser pleinement et de m’épanouir.
Je m’explique. Lorsque l’on est stagiaire, nous ne savons pas ce que nous valons en termes de compétences. Certes, nous avons suivi des cours, mais il n’en demeure pas moins que la pratique est bien différente.
C’est pour cela qu’il est nécessaire, pour progresser, d’être à l’écoute et savoir se remettre en question en permanence. Écouter et comprendre sont très importants. Comprendre ce que l’avocat attend de nous sur un dossier, écouter sa vision d’une procédure, de la stratégie de défense construite avec le client.
Maître De Casalta m’a permis de m’épanouir et de développer mes compétences juridiques. À un moment, j’ai ressenti qu’il avait véritablement confiance en moi. Cette relation est précieuse et je crois qu’il faut l’entretenir et la préserver. J’ai été de plus en plus autonome sur certains dossiers et c’est ainsi que j’ai évolué.
Aujourd’hui, je vais vers une plus grande indépendance car dès lors que l’on prête serment, on exerce à titre personnel.
Maître De Casalta a été un mentor pour moi et il continue de l’être. Il est toujours disponible et j’ai eu une immense chance d’avoir fait cette rencontre, sur le plan professionnel, mais aussi sur le plan humain et relationnel. Comme je le disais, cette profession prend beaucoup de temps. Elle occupe pleinement nos vies, notre psyché et de pouvoir avoir un référent, une personne qui nous supervise, en toute bienveillance, et nous conseille est essentiel.
Venons-en au statut de détenu particulièrement signalé (ci-après DPS) qui a été énormément critiqué en Corse. En effet, au-delà des clivages politiques, des élus locaux demandent l’application et le respect du droit pénitentiaire commun pour les prisonniers corses placés sous le régime de DPS. En quoi le maintien au registre de DPS voire l’existence même d’un tel registre ne respecterait-il pas le droit et porterait atteinte aux droits les plus fondamentaux ?
En pratique, nous nous sommes aperçus et la doctrine l’a abondamment commenté, qu’il y a une différence de régime, une différence de conditions de détention, du fait de l’inscription ou non, sur ce registre de détenus particulièrement signalés.
En effet, le DPS peut faire l’objet de multiples transfèrements de maisons d’arrêt, de centres de détention voire de maisons centrales. Il peut également faire l’objet de mises à l’isolement qui sont facilitées et sont susceptibles d’entraîner des dérives puisque pouvant être utilisées comme des moyens de surveillance abusifs à l’endroit de ces détenus.
Les fouilles corporelles intégrales, à l’entrée et à la sortie des cellules, peuvent être là encore facilitées. Des réveils nocturnes aléatoires ont été pointés du doigt par la Cour européenne. Les contrôles des cellules sont beaucoup plus fréquents. Il est également plus facile de refuser des permis de visite, à certains proches, et de refuser également des permis de sortie du détenu.
L’inscription au registre de DPS a même conduit à empêcher le détenu de se rendre aux obsèques, d’un des membres de sa famille.
Enfin, dans le cas un peu plus particulier de certains DPS corses, on se rend compte qu’ils sont éloignés du lieu du domicile familial, ce qui a des conséquences évidentes sur le respect au droit à la vie privée et familiale, garantie par la Convention européenne des Droits de l’Homme. On s’aperçoit malheureusement, et on ne peut que le regretter, qu’il y a une quasi impossibilité de voir rapprocher ces détenus de la région d’origine et donc de leur famille.
À mon sens, cela porte manifestement atteinte au droit au respect à la vie privée familiale, au-delà des conditions qui sont susceptibles de porter atteinte à la dignité humaine.
Considérez-vous que le droit européen, notamment la Convention européenne des Droits de l’Homme, permet de protéger les droits fondamentaux de vos clients ? Le cas échéant, auriez-vous des exemples ?
Tout à fait. Selon moi, c’est une source qui permet de vérifier la conventionnalité d’une disposition législative, ou tout du moins l’interprétation qui en serait faite par la juridiction, eu égard aux dispositions de la convention européenne des droits de l’homme.
D’ailleurs, il n’est pas rare qu’en matière pénale nous, par exemple, le droit à un procès équitable, dont le pendant en droit national est l’article préliminaire du Code de procédure pénale. Nous le visons très régulièrement dans nos écritures.
Très récemment, une décision rendue par le tribunal correctionnel de Bastia a fait droit aux nullités de procédure soulevées au motif que la personne n’avait pas été informée de la nature et de la cause de l’accusation qui était dirigée contre elle. Ce jugement a été rendu au visa de l’article 6 de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme. Ainsi, on s’aperçoit que c’est un réel souci, pour les juridictions de fond, de faire appliquer ces dispositions supra-législatives.
Elles sont pour les justiciables que nous défendons une source de garantie des droits de la défense, du respect de l’égalité des armes et du droit à un procès équitable.
Vous vous étiez d’ailleurs fondée sur le droit communautaire afin d’apporter une réponse juridique aux insultes anti-corses sur les réseaux sociaux. Quel était votre raisonnement ?
Les articles 4 et 5 du protocole additionnel de la Convention de Budapest invitent les Etats parties à réprimer les menaces et l’insulte en public, proférées par le truchement d’un système informatique, à l’égard d’une personne en raison de son appartenance à un groupe qui se caractérise notamment par l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique.
Aussi, en s’appuyant sur des recueils d’historiens et d’anthropologues, et leurs analyses du XVIII° siècle notamment, il serait possible de stigmatiser une origine nationale corse pour certains, à tout le moins, pour d’autres, une origine ethnique corse ou une ascendance corse a minima, ce qui permettrait de rentrer dans les conditions des dispositions citées.
Le deuxième alinéa de l’article 32 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse dispose : « La diffamation commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée sera punie d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 45 000 € ou de l’une de ces deux peines seulement. »
La France ayant ratifié la Convention de Budapest et son protocole additionnel doit respecter son engagement vis à vis des traités qui ont une valeur supra-législative et doit adapter son droit en fonction de ceux-ci et notamment des définitions qu’ils intègrent.
La France devra faire sienne cette définition dans son droit interne, et notamment dans l’article 32 de la loi du 29 juillet 1881, laquelle réglemente la liberté de la presse et concerne toutes sortes de médias, y compris les réseaux sociaux.
Par conséquent, le « racisme anti-corse » pourrait être sanctionné s’il venait à se manifester sur internet certes, mais aussi dans les journaux, sur les ondes de radio ou encore à la télévision.
Il conviendrait d’user de toutes les voies de recours internes, et de les épuiser, pour saisir la Cour Européenne des Droits de l’Homme afin qu’elle tranche la question.
Concernant le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité (ci-après QPC), en quoi ce mécanisme est-il une avancée majeure pour le justiciable ?
Pouvoir quereller, contester une disposition législative en pointant les possibles contrariétés avec la Constitution c’est évidemment important en ce que la QPC vient à l’appui de recours qui sont exercés.
Par exemple, nous avions déposé une demande de mise en liberté et nous avions constaté que la personne détenue était éloignée de son domicile familial. Cette détention lointaine, dans le cadre d’une détention provisoire, est susceptible de porter une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Et bien grâce au mécanisme de la QPC nous avons soumis cette difficulté à la juridiction qui avait à connaître du contentieux de la détention du client de mon confrère Jean-Sébastien de CASALTA. Le fait qu’il y ait une QPC qui soit posée à l’appui de cette demande de mise en liberté renforce également le caractère sérieux de la contestation des conditions de détention avancée par la défense, devant selon nous conduire à la remise en liberté du détenu. Cela renforce également le fait que la situation soit anormale et que la juridiction doive se joindre à notre argumentaire. C’est potentiellement une manière de tenter de remporter la conviction de la juridiction. Nous pouvons nous rendre compte qu’un grand nombre de QPC a conduit à la révision de certaines dispositions législatives par les décisions rendues par le Conseil constitutionnel.
C’est donc un mécanisme qui permet de faire évoluer le droit et de mieux garantir les droits des justiciables.
Vous avez présenté des observations pour la remise en liberté d’un des plus âgé prisonnier français. Comment avez-vous appréhendé cette audience ?
Effectivement c’était très intéressant puisque nous avions travaillé énormément en droit. Nous nous sommes fondés sur les écrits de Martine Herzog Evans, en matière d’exécution des peines. C’était une requête aux fins de suspension de peine pour raison médicale. Nous nous sommes aussi inspirés du cas de Maurice Papon. La personne détenue était âgée de 86 ans avec des antécédents judiciaires et des condamnations pour des faits d’une extrême gravité. Pour ma part, l’enjeu était de savoir s’il pouvait recouvrer la liberté car il arrivait en fin de vie.
J’ai donc présenté des observations puis Maître De Casalta a plaidé le dossier.
Sujet particulièrement intéressant car, au-delà du problème juridique, se pose une véritable question de société, faisant écho aux conditions de détention et à la dignité humaine : est-ce qu’une personne, aujourd’hui, en France, au XXIème siècle, doit mourir en détention ?
L’ensemble des membres du pôle droit pénal de l’Association des Droits Humains de la Sorbonne (ADHS) tient à remercier chaleureusement Maître Lia Simoni qui s’est rendue disponible afin de répondre à nos questions. Son parcours et les valeurs qu’elle prône font montre d’une profonde humanité, qualité qui fait d’elle une avocate pleinement investie dans la défense de ses clients. Son témoignage est précieux pour des étudiants qui souhaitent découvrir la pratique de cette si belle profession.
Pauline Gamba-Martini, membre de l’ADHS