La protection juridique des femmes victimes de violences conjugales

En France, selon les données de 2019, tous les trois jours, une femme meurt sous les coups de son conjoint.

En 2019, 146 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire selon les chiffres de référence du gouvernement. Le rapport dénommé « L’étude nationale sur les morts violentes au sein du couple » de 2019, montre que ce fait représente 20% de l’ensemble des homicides et violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner enregistrés en France en 2019.

Malgré les progrès juridiques considérables réalisés ces dernières années, les violences demeurent massives.
Aujourd’hui, en mars 2021, dans le contexte de crise sanitaire que nous connaissons, il convient de s’interroger sur l’effectivité de la protection juridique des femmes victimes de violences conjugales en France.

Nous observons que la matière est plus ou moins réglementée par la législation nationale et internationale.

Sur le plan juridique national

Dans la législation française, en matière d’infractions concernant les violences conjugales plusieurs réglementations ont été prévues au fil du temps dans de nombreux domaines. En matière de violence physique, en 1992 a été créé le délit spécifique de violences conjugales. Ainsi, les violences (même lorsqu’elles n’entraînent pas de jours d’Incapacité Temporaire Totale) commises par le conjoint, le concubin, ou le partenaire lié par un PACS de la victime sont érigées en infractions pénales aux articles 222-7 et suivants du code pénal. La qualité de l’auteur des violences en tant qu’actuel ou ancien conjoint, concubin, partenaire de PACS de la victime est une circonstance aggravante pour plusieurs crimes et délits de violences physiques ou sexuelles. Cette circonstance aggravante est prévue à l’article 132-80 du code pénal. En matière de violence psychologique; depuis 2010, le délit de harcèlement moral au sein du couple est inscrit dans le code pénal à l’article 222-33-2-1. Depuis 2020, cet article prévoit également le harcèlement moral au sein du couple qui a conduit au suicide de la victime ou à sa tentative. En matière de violences sexuelles, le viol entre époux est réprimé à l’article 222-22 alinéa 2 du code pénal depuis 2006, bien que reconnu en
jurisprudence depuis les années 1990.

En outre, plusieurs mesures ont été adoptées pour la protection des femmes victimes de violences conjugales en droit français. Dans le cadre des mesures d’éloignement et d’éviction du conjoint violent du domicile conjugal, grâce à plusieurs lois promulguées entre 2004 et 2006, le juge aux affaires familiales et le juge pénal ont la possibilité d’ordonner des mesures d’éloignement de l’actuel ou de l’ancien conjoint/concubin/partenaire violent lié par le PACS, et notamment l’éviction de celui-ci du domicile conjugal pour attribuer le domicile à la victime des violences

Des mesures sociales ont également été adoptées : depuis 2009, les victimes de violences conjugales sont considérées comme public prioritaire à l’accès au logement social. Par ailleurs, la délivrance ou le renouvellement de titres de séjour sont facilités pour les femmes étrangères victimes de violence. De plus, le dispositif de l’ordonnance de protection a été créé en 2010 et est prévu aux articles 515-9 et suivants du code civil permettant une protection de la victime des violences à plusieurs niveaux: logement, ressources, intégrité physique et elle est délivrée pour une durée de six mois. La délivrance du « Téléphone Grave/Grand Danger » a par ailleurs été généralisée par une loi de 2014. Il est délivré lorsqu’une victime de violences de la part de son conjoint, concubin, partenaire de PACS, ou « ex » (conjoint, concubin, partenaire de PACS) se trouve en situation de grave danger. Enfin, depuis 2020, le secret médical ne s’applique plus aux professionnels de santé lorsqu’ils constatent des violences exercées au sein d’un couple et mettant en danger immédiat la vie de la victime majeure se trouvant sous l’emprise de l’auteur des faits.

Sur le plan juridique international

Une convention est, en l’occurence, très importante : la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Elle a été signée par les États membres du Conseil de l’Europe en 2011. C’est le premier instrument juridique européen contraignant en la matière. Le texte définit les différentes formes de violence à l’égard des femmes et impose aux États signataires de les ériger en infractions pénales. Le terme de violence domestique y est défini comme : “ tous les actes de violence physique, sexuelle, psychologique ou économique qui surviennent au sein de la famille ou du foyer ou entre des anciens ou actuels conjoints ou partenaires, indépendamment du fait que l’auteur de l’infraction partage ou a partagé le même domicile que la victime”.

Selon Christina Olsen, la Convention d’Istanbul constitue le traité le plus avancé en matière de violences faites aux femmes en Europe. Elle ajoute que la convention s’appuie sur les meilleures pratiques développées pour prévenir les violences, protéger les victimes et sanctionner les auteurs de violence.

Les Etats ayant ratifié la Convention doivent appliquer de nombreuses différentes mesures telles que : former des professionnelles qui sont en contact étroit avec les victimes, mener régulièrement des campagnes de sensibilisation, mettre sur pieds des programmes thérapeutiques pour les auteurs de violences domestiques et pour les délinquants sexuels, travailler étroitement avec des ONG, associer les médias et le secteur privé à l’élimination des stéréotypes de genre et à la promotion du respect mutuel. Cette convention, prévoyant des mesures effectives à long terme pour lutter contre les violences faites aux femmes, vise à enraciner de façon stable l’idée d’égalité entre les hommes et les femmes dans l’esprit de la société.

La France, ayant ratifié la Convention d’Istanbul le 4 juillet 2014, s’est engagée à en faire respecter les dispositions. Le rapport d’évaluation de référence de GREVIO (le groupe ’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique) de 2019 sur les mesures d’ordre législatif et autres donnant effet aux dispositions de la Convention d’Istanbul « salue la volonté affichée des autorités de renforcer les moyens de lutter contre les violences au titre des derniers plans interministériels. Toutefois, il pointe l’insuffisance des dispositifs d’hébergement spécialisés destinés aux femmes victimes de violences. » « En outre, le GREVIO identifie dans ce rapport, plusieurs autres domaines dans lesquels des améliorations sont nécessaires pour assurer une pleine conformité avec les obligations de la convention tels que; améliorer la collecte des données, augmenter le nombre de services spécialisés selon une répartition géographique adéquate et assurer la permanence de la ligne téléphonique. »

Il en résulte que même si des progrès considérables ont été réalisés suite à la ratification de la convention, beaucoup reste à faire en la matière, et que la France ne répond toujours pas de manière suffisante à la gravité des violences exercées à l’égard des femmes.

La Turquie, étant le premier pays à ratifier la Convention, a connu 300 féminicides en 2020 selon un rapport de Halte aux féminicides. Selon Gülsüm Kav, fondatrice de Halte aux féminicides, « ces meurtres pourraient être empêchés par l’application effective de la Convention d’Istanbul ». Selon elle, les lois existent mais ne sont pas appliquées : “ La police et la justice ne protègent pas assez les femmes.” Malgré l’insuffisance de la protection juridique des femmes, le gouvernement turc a annoncé l’idée de quitter la Convention d’Istanbul. Ainsi de nombreuses mobilisations sont menées par les citoyens afin d’inciter les autorités à appliquer la convention.

Les violences conjugales en période de Covid-19

Le 17 mars 2020, la France a connu une situation sans précédent : l’ensemble de la population a été contraint de respecter un confinement strict pour les besoins d’une situation sanitaire inquiétante. Nécessaire pour lutter contre l’épidémie de Covid-19, il s’est en revanche traduit par un huis clos insupportable pour les victimes de violences conjugales.

La situation sanitaire a été synonyme de privation de liberté pour les français, mais, pour les femmes sujettes à l’insupportable emprise d’un conjoint violent, cette période a résonné différemment. C’est en effet un facteur d’aggravation du danger pour ces personnes vulnérables qui sont confrontées toute la journée à une figure masculine violente, sans possibilité de fuir le domicile pour aller au travail ou participer à des activités parallèles.

Cette situation spécifique a empiré l’isolement subi et la cohabitation forcée n’a fait qu’accroître la stratégie de contrôle mise en œuvre par l’oppresseur.

Il s’agit donc de faire un bilan de la situation quasiment un an après l’annonce du Président de la République.

Difficultés rencontrées par les victimes de violences

Durant le premier confinement, les victimes de violences se sont heurtées à deux formes de difficultés.

Tout d’abord, l’accès aux soins a été contraint par l’engorgement des hôpitaux dû à la crise. Cependant, le rapport « Les violences conjugales pendant le confinement : évaluation, suivi et propositions » remis en juillet 2020 par la MIPROF (mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains) note qu’une plus faible part de femmes s’est présentée volontairement aux services d’urgence qu’en période normale par peur de se déplacer du domicile alors que le conjoint est présent.

De plus, l’accès à la justice a été compromis, les victimes se heurtant à la difficulté de maintenir le lien avec leur avocat ou d’en saisir un. Maître Carine Durrieu-Diebolt, auditionnée par la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes constituée au sein du Sénat, relève que « Le confinement étant survenu brutalement, le contact avec mes client(e)s a été rompu pour certains d’entre eux ; le lien a été maintenu avec d’autres, mais avec des difficultés et de manière peu satisfaisante, par courriel ou rendez-vous téléphonique ». Pour solutionner ce problème, une permanence téléphonique a été mise en place par le Conseil national des barreaux qui a connu un succès satisfaisant : la MIPROF note qu’en moyenne, une dizaine d’appels par jour ont été traités.

En revanche, la MIPROF met en avant la protection accrue opérée par les forces de l’ordre notamment par le biais des interventions à domicile qui s’est traduite par une moyenne de 5 interventions par jour et par département. Néanmoins, ces interventions n’ont pas forcément donné lieu à des suites pénales, facteur de désillusions pour les victimes. Ce qu’il faut cependant retenir est la rapide mobilisation institutionnelle. Dès le début du confinement, des consignes strictes ont été données aux forces de l’ordre pour pouvoir répondre au mieux au phénomène d’accroissement des violences.

Les réponses pénales

Des réponses pénales doivent cependant être relevées bien qu’elles n’effacent pas entièrement les carences dans la protection des femmes :

  • Une plateforme d’hébergement des conjoints violents gérée par SOS solidarités a été créée. Elle a pour objectif de protéger les victimes en éloignant les auteurs et de renforcer le contrôle judiciaire par les associations s’occupant du suivi. En tout, 69 auteurs de violences ont été déplacés du domicile familial entre le 6 avril et le 12 mai.
  • Une ligne d’écoute pour les auteurs de violence a également été mise en place. Elle permet l’orientation des appelants vers un accompagnement thérapeutique, psychiatrique ou un suivi des addictions. Aucun chiffre n’est cependant disponible pour ce dispositif initié à partir du 6 avril. Bien que cela soit innovant, il semble que beaucoup d’auteurs de violence ne souhaitent ni dévoiler les faits commis ni se faire aider.
  • Les tribunaux ont œuvré à délivrer des ordonnances de protection permettant de garantir la protection des victimes. Celles expirant pendant le confinement ont été prolongées de plein droit jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire.
  • L’attribution de « Téléphones Grave Danger » a connu une hausse. Ce téléphone est muni d’une touche alertant directement une plateforme de téléassistance qui permet de joindre les forces de l’ordre. Entre le 5 mars et le 4 mai 2020, 129 TGD ont été distribués.

Le rôle des associations lors du confinement

Les associations ont été un acteur clé pour l’écoute et l’aide des femmes victimes de violences. Malgré la situation, elles ont su s’adapter rapidement à la situation d’urgence. La Fondation des Femmes a notamment permis ce travail de grande ampleur par l’allocation de fonds aux associations de protection. Dans son rapport « Où est l’argent pour mieux protéger les femmes victimes de violence ? » publié le 24 novembre 2020, la Fondation retrace les tristes chiffres de ce confinement :

Les violences conjugales et leur signalement sont en hausse :

  • Une hausse de 32% des signalements de violences en régions, et de 36% en Ile-de-France ;
  • Les interventions de police pour « différends familiaux » ont augmenté de 48% en France, et de 33% en Ile-de-France ;
  • Le numéro d’écoute 3919 a totalisé 45 000 appels entre mars et mai 2020 ;
  • Les signalements sur la plateforme du ministère de l’Intérieur http://www.arretonslesviolences.fr ont été multiplié par cinq ;
  • Le numéro 114, joignable aussi par SMS pour toutes les personnes le souhaitant depuis le début du confinement, a été utilisé trois fois plus que d’habitude.

Les féminicides sont en baisse :

  • Un féminicide a eu lieu tous les 4,2 ou 4,4 jours contrairement à un tous les 2,5 jours ou 3 jours en 2019 ;
  • Au 18 mai 2019, 53 femmes victimes de féminicides ont été recensées contre 33 victimes au 18 mai 2020 ;
  • Au 20 juin 2019, c’est 66 femmes qui ont connu la mort à cause d’un conjoint violent, contre 43 au 20 juin 2020.

Cette baisse souhaitable peut être expliquée notamment par la restriction des déplacements des ex-conjoints, note la MIPROF dans son rapport.

Le confinement n’a été que le révélateur d’un problème persistant. Les violences faites aux femmes sont quotidiennes et malgré l’intervention judiciaire et associative, il s’avère que les chiffres sont encore trop hauts. Si des mesures ont été mises en place dans l’urgence, celles-ci ne sont qu’une réponse partielle et doivent perdurer tout en étant renforcées. De plus, des moyens financiers davantage importants devraient être alloués aux associations, acteurs de terrain proches des victimes, tandis que le personnel de gendarmerie ou de police devraient être davantage formés pour accueillir et accompagner les victimes.

Ece Su Tokmak, Isaure Magnier, Maylis Porta, membres du pôle consultance et plaidoyer de l’ADHS.

Sources
https://www.solidaritefemmes.org/connaitre-la-loi/que-dit-la-loi

https://www.huffingtonpost.fr/entry/la-convention-distanbul-la-bible-de-laa-protection-des-femmes-mais-quest-ce-que-cest_fr_5d6e3377e4b09bbc9ef437af

https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/03/08/les-femmes-se-mobilisent-contre-la-violence-conjugale-en-turquie_5267815_3214.html

https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/wp-content/uploads/2020/07/Rapport-violences-conjugales.pdfhttp://www.senat.fr/rap/r19-597/r19-5971.html#fn4

https://www.vie-publique.fr/eclairage/19593-la-lutte-contre-les-violences-faites-aux-femmes-etat-des-lieux

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