Le 14 mars 2019 un recours contre l’Etat est déposé auprès du Tribunal administratif de Paris concernant son inaction dans la lutte contre le réchauffement climatique. Il est formé par quatre ONG (Notre affaire à tous, Greenpeace, Oxfam et la Fondation Nicolas Hulot) et appuyé par une pétition rassemblant plus de 2,3 millions de signatures. Ce mouvement est plus connu sous le nom de l’Affaire du siècle, qui a eu une certaine résonance médiatique, étant porté par des associations mais aussi par des personnalités françaises.
Le 3 février 2021, le Tribunal administratif se prononce dans un jugement que les associations ont considéré comme une véritable victoire historique, mais qu’en est-il réellement ?
Concernant le préjudice écologique, les associations soutiennent que l’Etat en est responsable sur le fondement des articles 1246 et 1247 du Code civil et demandent aux juges de prononcer une injonction à l’encontre du gouvernement pour prendre des mesures afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Article 1246 du Code civil : « Toute personne responsable d’un préjudice écologique
est tenue de le réparer. »
Article 1247 du Code civil : « Est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement. »
Effectivement, les émissions de gaz à effet de serre sont principalement à l’origine de l’augmentation constante de la température moyenne de la Terre qui présente un risque et des conséquences directes pour l’environnement, les écosystèmes et les populations vulnérables.
Sur ce point, les juges reconnaissent que l’Etat n’a pas respecté ses engagements. En somme, après la signature et la ratification de l’Accord de Paris en 2016, le gouvernement a adopté plusieurs mesures dans le but d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre jusqu’à une réduction de 40% en 2030 par rapport au niveau de 1990. Plusieurs périodes sont délimitées avec des objectifs précis fixés : ce sont les « budgets carbone ». Le premier s’étendait de 2015 à 2018, et manifestement, l’Etat n’a pas rempli le but fixé. Le Tribunal administratif va donc accepter de reconnaître l’Etat responsable d’un préjudice écologique et de caractériser une carence fautive en se basant sur le non-respect des obligations, puisque le surplus d’émission de ces gaz à effet de serre s’ajoute aux autres émissions et produit des conséquences irréversibles sur l’environnement.
En revanche, le juge se prononcera une nouvelle fois dans deux mois, après un supplément d’instruction, pour donner, le cas échéant, des injonctions à l’Etat.
La réparation en nature est privilégiée, il s’agit donc d’inciter l’Etat à rectifier cet écart entre les objectifs fixés et la réalité au lieu de le condamner à verser des dommages-intérêts. Ainsi, la demande en réparation des associations est écartée sur ce point. Cela semble logique, le préjudice étant subi par l’environnement, le but est de se conformer au maximum aux objectifs poursuivis.
Pour les autres motifs invoqués par les associations, tels que l’insuffisance des objectifs pour limiter le réchauffement à 1,5°C, la prétendue faiblesse de ces mesures ne permet pas d’établir le lien de causalité avec le préjudice écologique évoqué. La responsabilité de l’Etat est donc écartée sur ces autres points.
Concernant le préjudice moral des associations, les juges l’ont caractérisé au regard des atteintes portées aux intérêts collectifs qu’elles défendent. L’Etat est donc condamné à verser la somme d’un euro symbolique à chacune d’entre elles.
Ainsi, la responsabilité de l’Etat repose sur la méconnaissance de ses propres engagements. On ne peut dès lors pas véritablement affirmer que « l’inaction climatique de l’Etat est jugée illégale » puisque ce n’est pas son inaction qui est condamnée, ni le manque de mesures adoptées ou d’accords entrepris, mais simplement le mépris de normes qu’il s’est fixé et qu’il n’a pas respecté en ce qui concerne les réductions d’émission de gaz à effet de serre.
Concrètement : quelles conséquences ?
Ce n’est pas la somme symbolique d’un euro qui va mettre à mal les finances de l’Etat, mais le but de cette initiative n’est pas financier. Il s’agit de faire pression sur l’Etat, de manière publique, médiatique et maintenant juridique : le juge, figure d’impartialité, a reconnu le préjudice écologique. Ce mouvement a pris une telle importance au regard du nombre de droits humains auxquelles le réchauffement climatique porte atteinte. En somme, la situation climatique renforce les inégalités en augmentant les risques que subissent les populations vulnérables en terme de catastrophes naturelles, de maladies, de mal nutrition ou d’accès à l’eau potable. Pourtant, les juges n’ont pas reconnu que le préjudice invoqué représentait une violation des droits protégés par la Convention européenne de la sauvegarde des droits de l’Homme et du citoyen (CEDH) tel que le droit à la vie ou à la santé.
Cette décision reste néanmoins historique dans l’idée qu’elle représente : le peuple peut demander à l’Etat de se respecter ses engagements et de ne pas porter atteinte à l’environnement. Cependant, ce sujet reste complexe entre autre concernant la période brève sur laquelle l’Etat a été condamné : le gouvernement actuel est mis en cause pour les années 2015 à 2018, recouvrant donc également le mandat du président précédent et concernant un accord signé par l’ancien gouvernement. Or, la situation actuelle résulte de plusieurs dizaines d’années d’omission de la question écologique alors que de fortes activités économiques et surtout polluantes se développaient en parallèle du modèle capitaliste, notamment depuis la Révolution industrielle. Mais il faut bien trouver un angle d’attaque pour réclamer le respect des engagements étatiques, et ne pas ignorer la forte responsabilité qui pèse aujourd’hui sur l’Etat.
Cette « justice climatique » immédiate peut donc être questionnée en ce sens qu’elle ne semble pas adaptée au sujet qui nécessite des mesures, certes drastiques au vu de la situation écologique, mais prenant en compte l’avenir et tous les enjeux et domaines qu’il implique sur le long terme. Ainsi, les gouvernements pourraient, dès lors, se conformer à des objectifs immédiats, respectant alors leurs engagements et satisfaisant superficiellement les attentes des citoyens pour éviter un recours en responsabilité, sans penser réellement au long terme ; ou au contraire, signer des accords concernant une longue période qui ne les engagent donc pas. Tandis que l’augmentation du recours aux énergies renouvelables n’est pas aisée et nécessite de lourds investissements et transformations sur plusieurs années, notamment lorsque l’on sait que l’énergie fossile représente 75% de l’énergie de la France.
Par ailleurs, ce sont des investissements qui ne sont pas décarbonnés. Prenons l’exemple de la construction d’une éolienne, elle nécessite 200 tonnes d’acier, 50 tonnes de matériaux composites (donc qui ne sont pas renouvelables) et 1 000 tonnes de béton, avec une durée de vie estimée entre 20 et 30 ans.
En outre, le respect de ces engagements nécessite également une transformation considérable de la société, de l’industrie et donc du marché du travail. Il ne faut pas oublier que les consommateurs produisent indirectement, par cette consommation, du CO2. Les modifications nécessaires vont impacter chaque citoyen, notamment leur consommation qui doit être drastiquement adaptée aux objectifs de réduction d’émissions et ne peut se faire trop rapidement. Si c’est évidemment à l’Etat d’adopter des règlementations pour encadrer l’impact des citoyens et des entreprises sur l’environnement, il faut également que ces acteurs prennent conscience des transformations nécessaires, et notamment que les entreprises adaptent leurs activités et productions à la protection de l’environnement.
Par ailleurs, on se souvient de l’impact qu’a eu l’augmentation de la taxe sur le diesel qui visait à inciter les gens à moins consommer et à financer les énergies renouvelables : près d’un an de grèves qui ont secoué le pays et remis en question certaines personnalités politiques qui en étaient à l’origine.
Une personnalité juridique pour la planète ?
Il s’agirait en outre d’envisager un régime juridique plus protecteur pour l’environnement. Les juges reconnaissent l’existence des mesures adoptées par l’Etat dans le domaine environnemental mais cette décision montre, au delà du fait que certaines associations réclament un engagement de l’Etat plus important, qu’il est nécessaire qu’il les respecte. Les citoyens ne se contenteront pas des traités et accords signés par les différents gouvernements tant qu’ils ne seront pas honorés en bonne et due forme.
Mais in fine, deux voies s’ouvrent au gouvernement suite à ce jugement du Tribunal administratif : respecter ses engagements, ou a contrario signer de moins en moins d’accords sur l’écologie pour éviter toute mise en cause de sa responsabilité. Le premier choix étant celui espéré par les défenseurs de l’environnement.
Ainsi, on peut s’interroger sur l’attribution potentielle d’une personnalité juridique à l’environnement, ou la planète, qui permettrait d’engager plus facilement la responsabilité de ceux qui en porte atteinte ou des gouvernements qui ne respectent pas des règles fixées pour lutter contre le réchauffement climatique.
Cependant, il s’agit de manier ce sujet avec précaution, la facilitation de l’engagement de la responsabilité étatique pourrait finalement représenter un obstacle à certaines politiques publiques ou même mener à condamner l’Etat pour des mesures qui ne peuvent être pour l’instant envisagées au regard des besoins énergétiques par exemple. Si certains pourraient, dès lors engager plus facilement un recours contre l’Etat pour le manque d’utilisation d’énergies renouvelables, il reste certain que leur utilisation ne peut qu’être marginale pour le moment compte tenu de la difficulté de leur production et de leur mise en œuvre.
Denis Mazeaud, juriste français, s’interroge dans un édito :
« Dans le monde d’après, le climat deviendra-t-il un élément de l’intérêt général
susceptible d’une protection efficace ? ».
La question reste en suspens, mais si la France n’a pas reconnu d’atteinte à des droits humains dans cette décision, elle se dirige vers une prise en compte plus importante de l’environnement dans le droit, déjà présent dans le bloc de constitutionnalité, au sommet de la hiérarchie des normes, avec la Charte environnementale des droits de l’Homme. Reste à voir si le juge donnera une plus grande importance aux articles qui en font partie, mais on peut supposer qu’il continuera sur sa lancée, après avoir consacré la protection de l’environnement comme Principe général du droit dans une décision du 31 janvier 2020.
Violette JOUET, membre de l’ADHS