Le droit à l’IVG en France

20 décembre 2020

Alors que l’Argentine et la Pologne sont agitées par les mobilisations de femmes et d’hommes, face au dépôt d’un texte de légalisation de l’avortement au Parlement pour le premier et au feu vert accordé par la Cour constitutionnelle polonaise pour le durcissement de la loi sur l’avortement pour le second, qu’en est-il du droit à l’avortement en France aujourd’hui ?Une proposition de loi a été adoptée à l’Assemblée Nationale le 8 octobre 2020, portée par Albane Gaillot (groupe Ecologie Démocratie Solidarité), visant à renforcer le droit à l’avortement par de nombreuses avancées : allongement du délai légal pour recourir à une IVG de 12 à 14 semaines, extension de la compétence des sages-femmes à la méthode chirurgicale d’IVG jusqu’à la 10ème semaine de grossesse, suppression de la clause de conscience des praticiens, suppression du délai de réflexion de 2 jours pour confirmer une demande d’IVG en cas d’entretien psychosocial préalable.

Un droit vieux de 45ans :

Consacré par la loi du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse, dite loi Veil (pour la ministre de la Santé, Simone Veil, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing), qui encadre la dépénalisation de l’avortement en France, ce droit a connu plusieurs évolutions sous les gouvernements successifs. 

Avant l’évolution législative de 1975, étaient prévues une peine de prison et une amende pour le fait de subir, pratiquer ou aider un avortement, résultats d’une répression continue de l’interruption de grossesse notamment sous le régime de Vichy où elle est considérée comme un crime d’Etat passible de la peine de mort puis restera un délit réprimé pendant 30 ans. 

La loi Veil prévoit une dépénalisation pour une durée de 5 ans de l’IVG « pratiquée avant la fin de la dixième semaine » dans certaines conditions : situation de détresse, intervention nécessairement réalisée par un médecin dans un établissement d’hospitalisation, démarches obligatoires pour l’information et la réflexion de la femme (consultations médicales avec délai de réflexion, examen psychosocial, volonté de la femme confirmée par écrit), clause de conscience invocable par le praticien et, bien sûr, délai de grossesse inférieur ou égal à 10 semaines. La loi légalise par ailleurs pour 5 ans également l’IVG pour motif thérapeutique sans délai de durée de grossesse dans certaines conditions : péril grave pour la santé de la femme ou forte probabilité que le fœtus soit atteint d’une « affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable », intervention réalisée par un médecin dans un établissement d’hospitalisation et clause de conscience invocable par le praticien.

🡪En 1982, face aux inégalités d’accès des femmes aux centres de planification et aux centres pratiquant l’IVG et après d’importantes contestations, aussi bien de la part des associations militantes anti-avortement que des sénateurs, une loi sur le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale, portée par la ministre des Droits des femmes Yvette Roudy, est adoptée. L’avortement est alors remboursé à 80% par la Sécurité sociale (70% en ce qui concerne l’IVG médicamenteuse), le reste pouvant être pris en charge par les mutuelles, ou entièrement remboursé pour les mineures et les bénéficiaires de la CMU.

🡪En 1993, une loi crée le délit d’entrave à l’IVG qui concerne toute perturbation de l’accès aux établissements pratiquant des IVG ou l’exercice de « menaces ou tout acte d’intimidation à l’encontre des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans ces établissements ou des femmes venues y subir une interruption volontaire de grossesse », punis d’une peine de prison de 2 mois à 2 ans et d’une amende de 2 000 à 30 000F. La loi du 4 août 2004 a ensuite étendu ce délit à la perturbation de l’accès à l’information sur l’IVG, y compris en ligne, par la diffusion/transmission d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une IVG. 

🡪Le 4 juillet 2001, le délai de grossesse de 10 semaines est allongé à 12 semaines en réponse à la situation des plus de 5000 femmes qui, chaque année, sont contraintes d’avoir recours à un avortement à l’étranger face à l’obstacle du délai légal de 10 semaines prévu par la loi française. La loi de 2001 prévoit également la suspension de l’autorisation obligatoire d’un parent ou titulaire de l’autorité parentale pour l’accès à l’avortement des mineures non émancipées, augmente les peines encourues pour une entrave à l’IVG (2 ans de prison et 200 000F d’amende) et interdit le fait de fournir à une femme les moyens matériels de pratiquer une IVG sur elle-même (3 ans de prison et 300 000F).

🡪Une disposition adoptée par l’Assemblée dans la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes du 4 août 2014 porte la suppression de la condition de « détresse » dans le Code de santé publique pour un recours à l’avortement et la remplace par les mots « qui ne veut pas poursuivre une grossesse ».

🡪Une proposition de résolution du 26 novembre 2014 « rappelle que le droit universel des femmes à disposer librement de leur corps est une condition indispensable pour la construction de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, et d’une société de progrès » et souligne l’importance de la prévention, de l’information et de l’éducation des jeunes à la sexualité, dans un esprit de réaffirmation du droit fondamental en France et en Europe. 

🡪Une proposition de loi du délit d’entrave numérique à l’IVG prévoit un encadrement des sites dissuadant psychologiquement les femmes au recours à l’IVG est adoptée en février 2017. Mais son champ d’application se voit restreint notamment suite à une réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel qui considère que le délit d’entrave ne vise que les actes « ayant pour but d’empêcher ou de tenter d’empêcher une ou plusieurs personnes déterminées de s’informer sur une interruption volontaire de grossesse ou d’y recourir » tandis que « la seule diffusion d’informations à destination d’un public indéterminé sur tout support (…) ne saurait être regardée comme constitutive de pressions, menaces ou actes d’intimidation au sens des dispositions contestées, sauf à méconnaître la liberté d’expression et de communication. »

Un droit encore menacé aujourd’hui ? :

Le recours à l’avortement est un sujet politique par nature qui a fait l’objet de multiples controverses et débats et le droit à l’avortement a été successivement remis en question, aussi bien dans l’opinion publique que dans le monde politique. Chaque année, en France, des mobilisations et manifestations anti-avortement sont organisées à l’image des « marches pour la vie », et ce depuis la loi de 1975. Entre positions religieuses et opinions conservatrices, les opposants au droit à l’avortement souhaitent le retour à la pénalisation de l’avortement et appellent à « refonder la société sur le respect de toute vie humaine ». 

Face à l’adoption de la proposition de loi renforçant le droit à l’avortement en octobre dernier, les « anti-avortement » ont contesté la suppression de la clause de conscience qu’ils considèrent être une atteinte à la liberté d’opinion et de conscience des praticiens de santé et dénoncent entre autres l’allongement du délai légal de recours à l’IVG. 

A l’inverse, les défenseurs d’une suppression de la clause de conscience alertent depuis des années sur l’obstacle que représente cette clause pour l’accès à l’avortement : la clause de conscience était reconnue à la condition que le praticien réticent communique « immédiatement le nom de praticiens ou de sages-femmes susceptibles de réaliser cette intervention » mais les disparités territoriales en matière d’offres de soins et d’établissements spécialisés contraignent alors les femmes à parcourir des kilomètres pour recourir à l’IVG… 

Dans le cadre de la proposition de loi examinée en ce moment, a été soulevée également la nécessité d’une formation du personnel visé avant l’application des nouveaux délais de recours à l’avortement. Par exemple, l’élargissement de la compétence des sages-femmes à effectuer une IVG chirurgicale (alors qu’elles ne pouvaient précédemment que réaliser l’IVG médicamenteuse) était critiqué, notamment par le Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France. A l’inverse, la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée Nationale recommande cette ouverture considérant que « « ces dernières disposent des compétences nécessaires à la réalisation des gestes de cette opération et il paraît contre-productif de restreindre la pratique de sages-femmes volontaires. » Cependant, un article inséré au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 prévoyant d’autoriser à titre expérimental les sages-femmes à réaliser des IVG instrumentales a été retiré par les sénateurs.

Et maintenant ? :

L’obstacle de la saisine par l’exécutif du Comité consultatif national d’éthique a été perçu comme un risque que le texte ne se perde dans la navette parlementaire et le CCNE s’est positionné contre la suppression de la clause de conscience, en faveur de l’allongement du délai légal à 14 semaines et relève le manque important d’information scolaire sur l’IVG et l’enjeu d’un meilleur accompagnement des femmes dans le parcours médical pour une meilleure prise en charge et afin de réduire les cas d’avortements dans les semaines approchant le délai légal.Le texte, transmis au Sénat le 9 octobre 2020, sera prochainement examiné en 1ère lecture par la Chambre haute (à l’ordre du jour du 21 janvier 2021) avant d’être renvoyé à l’Assemblée nationale pour une 2ème lecture. Il est possible que la proposition de loi rencontre de fortes oppositions au Sénat qui s’est déjà montré réticent en novembre dernier devant des articles relatifs à l’avortement dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Aurore Barbier, membre de l’ADHS

  1. 86 voix pour, 59 contre et 7 abstentions
  2.  Le Sénat rejette le projet de loi deux fois, avant que le Président Mitterrand ne déclare l’urgence législative derrière cette loi.
  3.  Loi du 31 décembre 1982, dite ‘loi Roudy’.
  4.  Couverture maladie universelle, devenue complémentaire santé solidaire.
  5.  Loi du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social
  6.  Le Conseil constitutionnel a précisé que le délit d’entrave est constitué si est sollicitée une information et non une opinion, qu’elle porte sur les conditions dans lesquelles l’IVG est pratiquée ou ses conséquences et qu’elle soit donnée par quelqu’un détenant ou prétendant détenir une compétence en la matière.
  7.  Décision n° 2017-747 DC du 16 mars 2017
  8.  Mouvement « Laissez-les vivre » en 1975, manifestations de janvier 1988, mobilisations de l’« Union pour la vie » fédérant des associations telles que la Confédération nationale des associations familiale catholique et ’Choisir la vie’, mobilisations de l’association Renaissance catholique depuis 1991. Manifestation annuelle en janvier de la ‘Marche pour la vie’ depuis 2005, devenue ‘En marche pour la vie’ en 2008.
  9.  Article 10 Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, préambule de la Constitution du 27 octobre 1946
  10.  Décision 2001-446 DC du 27 juin 2001 Conseil constitutionnel, établissant la liberté de conscience comme PFRLR. Article R4127-47 du Code de déontologie médicale.
  11.  Article L2212-8 Code de la santé publique (qui a vocation à disparaitre avec la suppression de la clause de conscience).
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