«Les droits fondamentaux des détenus à l’épreuve de l’état d’urgence sanitaire»

Les droits fondamentaux des détenus à l’épreuve de l’état d’urgence sanitaire

·       Mise en état de la situation des centres pénitentiaires :

La France, pays des droits de l’Homme est connue – malheureusement – pour les conditions dans lesquelles les détenus vivent dans les centres carcéraux. Voici quelques chiffres pour illustrer ce propos :

 La France connait une surpopulation carcérale, qui ne cesse d’augmenter. Alors qu’en 2009, nous comptions 61 786 détenus, dix ans plus tard, 10 000 personnes supplémentaires sont incarcérées, faisant augmenter le taux de surpopulation à 116% au 1er octobre 2019. 

L’état actuel des prisons françaises est le résultat d’un désintérêt de la plupart des acteurs politiques. Désintéressement, qui a conduit à ce que les subventions versées par l’État et les collectivités territoriales à la section française de l’Observatoire International des Prisons (OIP) soient réduites de 66% depuis le dernier trimestre de 2019. 

Ironiquement, il semblerait que le titre de « pays des droits de l’Homme » attribué à la France soit souvent remis en cause par la Cour Européenne des droits de l’Homme qui condamne régulièrement le pays pour violation de sa Convention (CEDH). Par exemple, entre 2002 et 2004, la France a été condamnée 196 fois par les juges européens pour violation des droits fondamentaux. La condamnation la plus récente a été prononcée le 30 janvier 2020 avec une décision de la CEDH accablante sur l’insalubrité des prisons françaises.  

Concernant les conditions de vie dans les centres pénitentiaires, il faut souligner que le non-respect des mètres carré minimums dans lesquels vivent les détenus, a notamment conduit la Cour Européenne à condamner la France. 

La France, mauvais élève du Conseil de l’Europe quant à la condition de vie des détenus

Les condamnations de la Cour Européenne des droits de l’Homme sont notamment nombreuses au sujet de la salubrité des prisons et la façon dont sont traités les détenus.

Tout récemment, dans un arrêt du 30 janvier 2020, la Cour a condamné la France pour les conditions inhumaines et dégradantes de ses établissements pénitentiaires ainsi que le non-respect du droit à un recours effectif, violant les articles 3 et 13 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. 

En effet, l’article 3 interdit aux États membres du Conseil de l’Europe de pratiquer la torture ou « de soumettre une personne relevant de leur juridiction à des peines ou des traitement inhumains ou dégradants. »   Interdiction qui a donc été bafouée à de nombreuses reprises par la France, au même titre que le droit à un recours effectif, avec une absence pour les détenus d’accès aux instruments efficaces pouvant leur permettre de faire cesser les atteintes à la dignité humaine qu’ils subissent en prison. 

 En plus des diverses violations de la Convention des Droits de l’Homme, le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL) alarme sur l’état d’hygiène des centres pénitentiaires et notamment sur celui de Fresnes où “l’état d’hygiène déplorable de l’établissement constitue une anomalie grave”. Le contrôleur évoque que les conditions de vie y sont indignes et portent directement atteinte à la santé des personnes présentes sur ce lieu tels que les personnels de la prison et les détenus… Des invasions de rats, un manque de toilettes ou des toilettes ne fonctionnant pas, des matelas à même le sol, et des cellules non adaptées à recevoir des personnes font partie du quotidien des centres pénitentiaires.

Il semblerait que les conditions dans lesquelles vivent les détenus ne soient pas une priorité pour le Conseil d’État. En effet, plusieurs mesures prises pour assurer la santé des prisonniers frôlent malheureusement le ridicule : dans une  décision « SF de l’OIP et ordre des avocats du barreau de Nîmes du 30 juillet 2015 » en pleine canicule, seuls le changement de draps et le nettoyage des cellules dans un établissement pénitentiaire – avec un taux d’occupation s’élevant à 200% – ont été accordés par le Conseil d’État.

Ceci peut sembler d’autant plus étonnant que le droit à la santé est reconnu d’une part, par l’article 11 du Préambule de la Constitution de 1946, élément du bloc de constitutionnalité et, d’autre part, par l’Organisation Mondial de la santé comme étant un droit humain fondamental. Comment peut-on alors justifier que les détenus ainsi que le personnel des centres pénitentiaires vivent dans de telles conditions ? 

La crise sanitaire du Covid 19 faisant rage, une indignation s’est faite connaître parmi les défenseurs des droits de l’Homme, avocats de la défense, et personnes du corps médical. Alors que les mesures de distanciation sociales sont obligatoires pour les citoyens français, celles-ci ne sont pas respectées dans les prisons. En effet, le Conseil de l’Europe a réalisé un rapport publié en avril 2019 qui affirmait que la France faisait partie des États qui respectaient le moins la Convention quand il s’agissait des conditions dans lesquelles vivaient les détenus : 116 détenus pour 100 places, et moins de trois m2 par cellule.

Alors que diverses informations émergent de la part de professionnels médicaux dans les médias affirmant que le Covid 19 peut se transmettre par voie aérienne et qu’une distance de huit mètres est nécessaire pour garantir la non-transmission du virus entre les personnes, comment peut-on justifier que les conditions de non distanciation sociale dans les centres carcéraux ne conduisent pas le Gouvernement à prendre des mesures fortes telle qu’une libération plus massive des détenus ?

Mesures prises pour lutter contre le Covid 19 virus en prison

Ajouté aux conditions de détention ”inhumaines” des prisonniers, leur droit à la santé a semblé être remis en cause dès 2005, avec un arrêt Brunel.  

En effet, le Conseil d’État statuant au contentieux, a considéré que la protection de la santé publique et le droit à la santé n’étaient pas « au nombre des libertés fondamentales auxquelles s’appliquent l’article L.521-2 du Code de justice administrative » tout en rappelant dans cette même décision que la protection de la santé publique constitue un principe à valeur constitutionnelle. 

Le paradoxe du Conseil d’Etat tendrait à démontrer que la vox populi, dès lors qu’un homme se voit condamner, lui renie tout caractère humain. Cette pensée commune se traduit par l’inaction des acteurs judiciaires et publics les conduisant à refuser aux détenus les droits les plus primaires, des droits fondamentaux reconnus constitutionnellement, tout simplement les droits de l’Homme. Les portes des prisons se muent alors en un mur ne laissant plus entrevoir à ceux qui se trouveraient du mauvais côté la possibilité de faire valoir leurs droits. Quid de la valeur des principes constitutionnels pour les détenus ? Seraient-ils inéligibles aux principes constitutionnels les plus fondamentaux de notre République ?

Cette situation pénitentiaire est aujourd’hui d’autant plus préoccupante dès lors que l’état d’urgence sanitaire vient d’être décrété. En effet, les interrogations et le stress montent dans les prisons comme un détenu au centre pénitentiaire de Marseille l’a confié à l’express : « La situation est stressante, on ne peut pas contrôler. On est surtout inquiets pour notre famille dehors. Aujourd’hui, on n’a parlé que du coronavirus à la promenade. » Il raconte qu’aucune information n’a été donnée sur les symptômes à surveiller et que pour obtenir un kit d’hygiène – qu’il faut acheter – il faut attendre « deux voire trois semaines ».  


Ainsi, après l’interrogation sur le cas des détenus dans les prisons françaises, est (enfin !) venue l’heure de la prise de décisions. Toutefois, les juristes et les amoureux des droits de l’Homme attendaient mieux, beaucoup mieux. 

Alors qu’en janvier 2020 la France est rappelée à l’ordre pour les conditions de détention qu’elle fait subir à ses détenus ; par voie d’ordonnance, la Garde des Sceaux, Nicole Belloubet, a prolongé automatiquement la totalité des détentions provisoires, sans qu’aucun juge n’ait à se prononcer sur leur nécessité. Faudrait-il rappeler que la procédure relative à la détention provisoire est à l’atteinte à la présomption d’innocence ce que le crime contre l’humanité est aux infractions : son paroxysme. En effet, l’alinéa 3 de l’article 137 du Code de procédure pénale précise que la procédure de détention provisoire ne doit être demandée qu’“à titre exceptionnel”.

–      Les collectivités territoriales d’outre-mer montrant l’exemple à la Métropole

 Au lendemain de la décision du Conseil d’État portant sur le renouvellement des détentions provisoires, le tribunal administratif de la Martinique, a, en examinant une requête en référé, ordonné que des mesures de protection spécifiques à l’état d’urgence sanitaire soient prises pour les détenus, avec notamment le port de masques et de gants, mais également des tests de dépistage. Il faut rappeler que la prison de Ducos se trouvant en Martinique avait été l’un des centres pénitentiaires qui avait conduit la France à être condamnée par les juges européens en janvier dernier. Les juges du tribunal administratif de l’île ont d’ailleurs rappelé dans leur décision quelles sont les conditions carcérales : « la promiscuité induite par la surpopulation carcérale ne permet pas aux détenus, nonobstant les mesures prises par l’administration pénitentiaire pour limiter les contacts entre eux, de respecter les règles de distanciation sociale ». « La vulnérabilité particulière des détenus » est également évoquée dans cette décision, apportant un contraste assez fort avec celle rendue par le Conseil d’État la veille.

Morgane Fanchette- Pauline Gamba-Martini

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