Fiat non panis[1] : l’incrimination des distributions alimentaires dans le nord de la capitale


[1] Du latin, « qu’il n’y ait pas de pain », faisant écho à la devise de la Food and Agriculture Organization (FAO)« fiat panis » qui signifie « que le pain soit » ou « qu’il y ait du pain (pour tous) ».

Mardi 10 octobre 2023, la Préfecture de police de Paris a pris un arrêté[1] concernant l’interdiction des distributions alimentaires.

En effet, elle a décidé de prononcer un arrêté pour interdire, notamment aux associations, de distribuer de la nourriture aux sans-abris dans certaines rues des 10eme et 19eme arrondissements [2]. La raison ? Ces distributions « stimuleraient la formation de campements », selon les termes du préfet Laurent Nuñez.

C’est dans ces quartiers du nord de Paris, « que ces distributions alimentaires engendrent, par leur caractère récurrent, une augmentation de la population bénéficiaire de ces opérations et qu’elles contribuent, en corollaire, à stimuler la formation de campements dans le secteur du boulevard de la Villette, où se retrouvent des migrants, des personnes droguées et des sans-domicile fixe ».

Ainsi, la Préfecture a choisi de leur restreindre le droit à l’alimentation.

Pour rappel, à l’échelle internationale, il est reconnu comme étant fondamental et bénéficie d’une large reconnaissance[3]. Parmi ses nombreuses assises textuelles, sont généralement cités les articles 25§1 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels[4]. Ainsi, « le droit à l’alimentation en droit international fait partie intégrante des droits fondamentaux de la personne »[5].

Bien que le premier créancier de ce droit à l’alimentation soit l’individu lui-même, pour lequel on refuse le statut du « sujet passif de bénéficiaire »[6], la puissance publique n’est pas exempte d’obligations positives qui lui imposent de « faciliter la réalisation du droit à l’alimentation en créant un environnement qui permette aux individus et aux groupes de s’alimenter par leurs propres moyens, et qu’ils doivent deuxièmement réaliser le droit à l’alimentation de ceux qui ne sont pas en mesure de s’alimenter eux-mêmes, pour des raisons indépendantes de leur volonté »[7].

Pour autant, le droit français se montre particulièrement silencieux sur le droit à l’alimentation. La rareté des mentions textuelles et l’absence de dispositions constitutionnelles en sont de terribles aveux.

La restriction dangereuse de ce droit fondamental intervient dans un contexte de précarité inédit en France et se montre d’autant plus scandaleuse qu’elle est justifiée par la volonté de préserver l’ordre public, notion dont la largesse est souvent critiquée.

En filigrane, la raison de cette mesure résiderait davantage dans le souhait de « nettoyer la capitale avant les JO »[8] prévus à Paris en 2024. Invisibiliser les pauvres, telle est la logique « potemkinesque »[9] que s’entête à appliquer la Préfecture .

Bien qu’il s’agisse d’une première à Paris, la mesure s’inscrit dans la droite ligne de ce qui avait été fait à Calais en 2020 pour répondre à la question migratoire. En effet, ce sont trois arrêtés qui avaient été pris à Calais afin d’interdire la distribution alimentaire : « cette interdiction a pour objectif de limiter les situations de rassemblement, notamment lors de distributions spontanées de repas, qui seraient fortement préjudiciables pour la sécurité de tous et pour la tranquillité de la zone ».

Cependant en septembre 2022, le rapporteur public du Tribunal administratif de Lille, Paul Groutsch, a adopté une position inverse à celle de la préfecture puisqu’il a considéré que les troubles à l’ordre public étaient « épars, ponctuels, sans caractère de gravité et non lié à la distribution ».

Par un jugement du 12 octobre 2022, « le tribunal en a déduit que ces interdictions, qui affectaient les conditions de vie de populations particulièrement vulnérables, étaient disproportionnées par rapport aux finalités poursuivies » et a donc annulé les arrêtés.

Comble du cynisme, à Paris cette décision prenait effet à compter du 10 octobre, Journée internationale de la lutte contre le sans-abrisme.

Cette interdiction est pour l’instant fixée à un mois, et pourrait être reconduite.

L’ADHS est directement touchée par cette mesure. A travers notre pôle maraude nous nous efforçons de participer à la lutte contre le sans-abrisme et la défense d’un droit au logement digne et décent. Dès lors, nous souhaitons affirmer notre claire opposition à cette décision.

Zeïneb Daoud et Carla Angius

Membre de l’ADHS


[1] Arrêté n°2023-01196 portant interdiction des distributions alimentaires à Paris dans un secteur délimité des Xème et XIXème arrondissement du mardi 10 octobre 2023 au vendredi 10 novembre 2023.

[2] En application de l’arrêté préfectoral, le secteur délimité comprend les axes suivants : la place du Colonel Fabien en totalité, La rue Louis Blanc, La rue de Château-Landon, Le boulevard de la Villette dans sa totalité, L’avenue de Flandre jusqu’au passage de Flandre, La passerelle de la Moselle, La Rue de la Moselle, le Passage de la Moselle, la Rue de Meaux jusqu’à la place du Colonel Fabien.

[3] Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels précise que « le droit à une nourriture suffisante est réalisé lorsque chaque homme, chaque femme et chaque enfant, seul ou en communauté avec d’autres, a physiquement et économiquement accès à tout moment à une nourriture suffisante ou aux moyens de se la procurer », V. Observation générale 12, Le droit à une nourriture suffisante, art. 11, 12 mai 1999, E/C.12/1999/5.

[4] En réalité de nombreux autres instruments internationaux existent, En ce sens, V. M. RAMEL, Le droit à l’alimentation et la lutte contre la précarité en France, Thèse, Université de Tours, pp. 175-190.

[5] M. RAMEL, op. cit., p. 176.

[6] M. RAMEL, op. cit., p. 193.

[7] C. GOLAY, Droit à l’alimentation et accès à la justice, Bruylant, coll. « Collection de l’Académie de droit international humanitaire et de droits humains à Genève », 2011, p. 109 cité par M. RAMEL, op. cit., p. 194.

[8] A. MAHUET « Paris : « Beaucoup sont rentrés sans manger » après la suspension des distributions alimentaires dans certains quartiers populaires », France Info, publié en ligne le 11 octobre 2023.

[9] Terme faisant référence à l’expression « village Potemkine » qui désigne des méthodes visant à cacher la réalité, en l’occurrence la précarité.


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