Les femmes et la presse : les héroïnes de l’ombre

Dans l’Histoire, la presse est un miroir de la société : si les femmes sont invisibilisées dans la société, elles le seront également dans la presse. La presse telle qu’on la connaît aujourd’hui, écrite, est née au début du XVIIe siècle. Cependant les femmes n’ont pu entrer dans ce milieu que plus tard. La féminisation de la presse s’est faite timidement : il était impossible d’écrire sans être la femme ou fille d’un homme du milieu. C’est un siècle plus tard que des journaux destinés aux femmes apparaissent. Cependant ces journaux restent écrits par des hommes et pérpétuent le rôle de la femme tel qu’il est envisagé à cette époque. 

Les femmes écrivant pour les femmes ne sont arrivées qu’au XIXe siècle avec plusieurs journaux féministes comme La Femme Libre qui évoque le droit au plaisir ; Le Journal des Femmes revendiquant un féminisme essentialiste (défendant la différence des sexes) ; La Gazette des femmes ouvrant à chaque numéro une pétition pour le droit de vote, droit au divorce, abolition de la peine de mort ; La Voix des femmes s’intéressant à l’émancipation des femmes… Ces journaux ne durent cependant que rarement : soit qu’ils retournent à des contenus conventionnels comme la couture, la cuisine et la séparation des rôles dans la famille ; soit qu’ils soient condamnés pour atteintes aux bonnes mœurs lorsque trop engagés. 

En 1897, Marguerite Durand crée le premier journal féministe réalisé entiérement en non mixité : La Fronde. Ce journal revendique pour la femme une “place de créature libre dans la société”. Si La Fronde a été accueillie avec curiosité, l’enthousiasme n’a pas duré : 

“Si cela doit durer je n’approuve plus”

Jules Destrée, député socialiste belge

La Fronde pourra jouer un rôle pourvu qu’elle n’ait pas la prétention ridicule de vouloir jouer celui d’un journal masculin”

Maurice Barrès, auteur

“Notre consoeur n’arrivera jamais à créer un mouvement d’opinion”

Alfred Léon Gérault-Richard, journaliste

Mais néanmoins le succès dès les premières années était inespéré, selon la créatrice du journal qui ne pensait pas qu’elle serait prise au sérieux malgré des problèmes financiers qui l’obligèrent à transformer le journal en coopérative.

Si les femmes sont souvent réduites à la presse féministe, elles ont néanmoins lancé des mouvements et des nouvelles façon d’informer : Delphine de Girardin a lancé, sous un pseudonyme masculin, La Chronique parisienne dans laquelle elle étudie avec humour les moeurs de la vie parisienne. Ce genre sera le grand genre des journalistes du XIXe siècle. L’impact qu’ont eu les femmes sur le journalisme et la société est non négligeable bien qu’elles restent encore minoritaires à ce stade de l’Histoire.

La Seconde Guerre mondiale est une période d’essor du journalisme fait par les femmes. Les hommes sont au front et les femmes les remplacent ainsi dans les métiers contribuant à l’effort de guerre, y compris l’information par la presse de propagande, puis par la presse résistante. Ensuite, à partir de Mai 1968, la féminisation de la presse se poursuit par les revues militantes souvent éphémères. On peut en citer quelques unes comme Le Torchon Brûle, revue du Mouvement de Libération des femmes visant à libérer les femmes du foyer ; Sorcières, Les femmes vivent, revue visant à promouvoir l’art engagé féminin ; Choisir la cause des femmes, revue accompagnant la lutte pour la légalisation de l’avortement de Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir ; Ah! Nana, bande dessinée abordant des sujets comme les règles, l’avortement ou l’homosexualité…

Au XXe siècle, la féminisation de la presse connaît un essor exponentiel : de 2% de la profession en 1930, les femmes passent à 5% après la Seconde Guerre mondiale pour monter à 38% à l’entrée du XXI siècle. L’augmentation particulièrement importante dans la deuxième moitié du siècle est sans aucun doute liée au droit des femmes d’exercer un métier sans l’accord de leur mari. Alors que les femmes étaient confinées aux métiers exclusivement féminins et peu valorisés, elles peuvent, depuis 1965, accéder à des “métiers d’hommes” dont fait partie la presse. 

Aujourd’hui, les femmes représentent environ la moitié des journalistes français. Ainsi, il semble que la parité est respectée. Cependant, comme souvent, elle n’est que globale et le plafond de verre s’applique à ce domaine : les femmes sont plus nombreuses dans les métiers moins valorisés de la presse, appelés métiers “assis”, tandis que les hommes font les recherches mobiles et sont plus montrés à l’image. Le Global Media Monitoring Project observe même une baisse de plus d’un point de la visibilisation des femmes entre 2010 et 2015. De plus, la répartition des programmes d’information est faite de manière à ce que les femmes soient plus exclues que leurs collègues masculins de l’image lors des heures de grandes écoutes.

Malgré tout, les femmes continuent de contribuer à l’évolution de la presse par leur engagement : on va donc voir l’émergence de nouvelles formes de médias visant un nouveau public à travers des combats féministes, notamment sur les réseaux sociaux. Le traitement de l’affaire de la ligue du LOL en est témoin : l’affaire de cyberharcèlement sexiste à été mise en lumière par des témoignages sur les réseaux, faisant circuler l’information par de nouveaux moyens de communication et forçant la presse à se saisir du sujet. 

Les femmes sont nombreuses depuis la naissance de la presse à se battre pour gagner leur place dans ce milieu et bien qu’il reste du chemin afin d’obtenir une situation de parfaite parité, les combats de ces femmes contribuant à la féminisation de la presse ont permis aujourd’hui d’arriver à une parité globale et sont de bonne augure pour une meilleure place des femmes dans le milieu de la presse.

Nellie Bly ou la femme qui a créé le journalisme d’investigation

Des ombres insaisissables, étranges, virevoltent sur les murs de la pièce faiblement éclairée. L’appartement baigne dans un silence qui n’est rompu que par des cris discontinus, des paroles brouillonnes, celles de Nellie Bly. Alors jeune journaliste, elle passe sa nuit à s’entraîner à feindre la démence mais sa seule folie est, en vérité, celle de vouloir voir ce qui se passe derrière les lourdes portes d’un asile pour femmes. Nous sommes en 1887 mais l’histoire de Nellie Bly, de son vrai nom Elizabeth Jane Cochran, commence en 1864 lorsqu’elle naît dans un petit village de Pennsylvanie. La vie y est agréable jusqu’au décès de son père alors qu’elle n’est âgée que de six ans. Sa mère se remarie alors, mais son nouvel époux est violent et alcoolique, ce qui la pousse à divorcer. Travailler s’impose, très tôt, comme une nécessité pour la jeune Nellie Bly. Or, à cette époque, le champ des possibles est assez limité pour une femme. Elle aspire un temps à devenir institutrice mais, faute de moyens, elle doit renoncer à l’école. C’est en 1885 que sa vie connaît un premier sursaut. Lorsqu’elle lit dans le Pittsburgh Dispatch un article affirmant que le travail des femmes ne pouvait être qu’une « monstruosité », elle se saisit de sa plume et rédige une lettre acérée, mordante qu’elle adresse au journal. Impressionné, l’éditeur en chef l’embauche immédiatement. Afin de protéger sa famille des contrecoups de sa nouvelle vocation journalistique, elle signera désormais du nom de Nellie Bly, emprunté à une chanson populaire composée par Stephen Foster. 

Premiers pas 

Au Dispatch, Nellie Bly est cantonnée aux pages de jardinage et de théâtre, bref celles que l’on permet d’écrire aux femmes. Qu’importe, elle prendra en main son destin. Elle rejoint alors le Mexique afin d’y exercer le métier de correspondante, ce qui est inédit pour une femme dans les années 1880. Là-bas, elle dénonce sans relâche la corruption des dirigeants, l’exploitation des paysans et des ouvriers et les atteintes régulières à la liberté de la presse. Furieux, le gouvernement mexicain la contraint de retourner à Pittsburgh où elle est réaffectée au département féminin. 

Une enquête charnière 

Désillusionnée mais pas en reste, elle décide de partir pour New York afin d’y faire ses preuves. Joseph Pulitzer, à la tête du New York World, lui promet un poste si, en retour, elle parvient à être internée dans un asile psychiatrique. L’idée, novatrice à l’époque, est de raconter de l’intérieur les conditions de détentions des pensionnaires ce qui exige d’elle de feindre le trouble mental. Pour les besoins de l’enquête, elle devient alors « Nellie Brown », immigrante cubaine, scandant que ses meilleurs amis sont des arbres. Les médecins n’y voient que du feu. Déclarée démente, elle est d’abord admise, sur décision d’un juge, au sein de la section psychiatrique de l’hôpital de Bellevue à New York puis transférée vers les unités de la Blackwell Island.

Là-bas, elle découvre que les patientes atteintes d’un trouble mental sont indistinctement mêlées à des femmes ayant été internées alors qu’elles étaient parfaitement saines d’esprit. Parmi ces femmes, des migrantes ne parlant pas la langue et qui se sont retrouvées prises dans les rouages du système judiciaire ; des femmes pauvres et isolées aussi. 

Surtout, elle y découvre les conditions d’internement déplorables de ces femmes. Outre la mauvaise alimentation et la situation sanitaire désastreuse, l’hôpital accueille mille six cents patientes alors que sa capacité est, en principe, limitée à mille pensionnaires. A cela, s’ajoute un personnel soignant lui-même en sous-effectif, brutal et pâtissant d’un manque cruel de formation. 

Après un séjour effroyable de dix jours, l’avocat du journal parvient à obtenir sa sortie, chose exceptionnelle puisque, lorsqu’une femme était internée, elle n’avait pas la possibilité de démontrer qu’elle était en bonne santé psychique. Une fois publié, le récit de son expérience fait l’effet d’une déflagration parmi l’opinion publique, estomaquée. Une enquête auprès d’un grand jury est diligentée et permet ainsi d’obtenir une augmentation des financements et une amélioration des conditions d’internement de ces patientes. 

Cette enquête fait de Nellie Bly une précurseure du journalisme d’investigation et la propulse au-devant de la scène médiatique. 

Un tour du monde inédit 

Deux ans plus tard, décidée à battre le record de Phileas Fogg, héro de Jules Verne, Nellie Bly se lance le défi de faire le tour du monde en 75 jours, sans guide ni escorte. A cette époque charnière du journalisme américain, les rédactions cherchent des moyens toujours plus originaux d’augmenter leurs tirages en proposant des sujets à sensation à même de retenir l’attention des lecteurs et, il faut le dire, d’accroître leur profit. Pour autant, ce n’est pas suffisant pour concevoir qu’une femme parte seule voyager à l’étranger, et ce n’est qu’après avoir longuement négocié avec Pulitzer que Nellie Bly parvient à décrocher le sujet. 

L’enjeu est de taille. Un journal de l’époque, le Philadelphia Inquirer, écrit d’ailleurs qu’en « confiant à sa brillante petite journaliste une mission aussi spéciale et dangereuse, le New York World a d’un seul coup accompli pour la gente féminine ce qu’en une décennie personne n’avait réalisé. Depuis toujours de nombreuses âmes méritantes sont restées au bas de l’échelle sous prétexte qu’on ne les pensait pas capables d’agir d’elles-mêmes. » Un message qui en dit beaucoup sur l’audace et le courage d’une telle entreprise. 

Nellie Bly : un nom indissociable d’une figure pionnière du journalisme 

Après son tour du monde accompli en 72 jours, son nom devient un argument de vente à lui seul. Surtout, elle a su se démarquer par un journalisme engagé, qui ne craint pas de dénoncer les affres d’une époque prospère mais gangrénée par la corruption et les inégalités sociales. Plus tard, elle a ainsi pu enquêter sur le trafic de nourrissons, les conditions de travail des ouvrières sous-payées d’une usine d’emballages ou encore l’activité d’un lobbyiste qui achetait le soutien de législateurs au bénéfice de ses clients.

Maïco : un métier « d’homme » parfaitement manié par une femme

Femme politique française, communiste, résistante et reporteur photographe, Marie-Claude Vaillant-Couturier, appelée Maïco, fut une des pionnières de la presse de son époque. Fille chérie de Lucien Vogel, éditeur d’avant-garde, Maïco est née en 1912 à Paris. Dès son plus jeune âge, elle côtoie les grands esprits de son époque, grandissant dans un milieu à la fois bourgeois et libéral, artiste et même un peu bohème » (Wikipédia, Marie Claude Vaillant Couturière) et se tourne très vite vers une carrière d’artiste. 

Après des études en France puis en Allemagne pour y apprendre la langue, elle se tourne vite vers les cours d’art décoratif et devient ensuite reporter-photographe en travaillant pour le magazine Vu, un hebdomadaire français d’information illustré. Elle sera désignée pour participer aux côtés d’une équipe à une enquête en Allemagne autour de la montée du national-socialisme. Ce voyage sera un réel tournant pour sa carrière mais surtout permet au grand nombre de connaître la réalité de l’époque dans l’État Nazi, en 1933. En effet, elle réalisa clandestinement des clichés des camps de Dachau et d’Oranienbourg, publiés par la suite en France. Le métier de reporteur étant à l’époque masculin, elle ne signa pas son travail, pourtant réel scoop mondial. Forte et engagée, elle s’engage dans le parti communiste qu’elle considère alors comme le seul réel rempart contre le nazisme. Elle rencontrera Paul Vaillant-Couturier, rédacteur en chef de l’Humanité, leader communiste, et s’installera avec lui après un grand coup de foudre. Elle travailla pour « l’Huma » ainsi que pour Regards, en signant ses reportages « Marivo ». En parallèle elle adhéra à l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR) et la jeunesse communiste, puis fonda en 1938 l’Union des jeunes filles de France, aux côtés d’amies. Devenue veuve quelques jours après son mariage avec Vaillant-Couturier, en 1937 et à l’âge seulement de 25 ans, elle devient reporteur photographe puis prend la direction de l’Humanité. Une femme à la tête d’un grand journal, une première ! 

Femme débordante de talent et de convictions, elle s’engagea dans la Résistance et participe à différentes actions clandestines, telles que l’écriture de différents articles pour plusieurs journaux, devenus interdits sous le régime de Vichy. Cela lui vaudra d’être arrêtée en 1942, et elle sera transférée en 1943 à Auschwitz Birkenau, puis à Ravensbrück en 1944. Loin d’être affaiblie mentalement par ces épreuves, et malgré plusieurs maladies graves, elle continue les actions clandestines et s’organise pour rester aider les malades du camp. Après la Libération, elle décida de rester aider tous les malades français, jusqu’à ce que tous soient évacués. Sous la plume de Rémy Roure, dans Le Monde du 16 juin 1945, on peut lire : « Chaque jour, cette magnifique Française parcourt les blocs, relève les courages, donne de l’espoir qui n’est souvent que de l’illusion. Le mot de sainteté vient à l’esprit quand on voit cette grande sœur de charité auprès de ces hommes et ces femmes qui meurent chaque jour ». Après son retour en France, elle sera homologuée commandant dans la Résistance intérieure française. 

Continuant son combat grâce à sa plume, son œil et ses convictions, Maïco restera une des grandes figures féminines du XXème siècle, aidant à communiquer au monde les injustices sociales.

Morgane Fanchette, Emma Nallet et Anastasia Marucheau de Chanaud, membres de l’ADHS

Sources :

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