La Cour des comptes est une juridiction indépendante qui a pour mission principale de s’assurer du bon emploi de l’argent public et d’en informer les citoyens.
- Historiquement, sa mission est de juger les comptables publics.
- Elle contrôle également la régularité, l’efficience et l’efficacité de la gestion des deniers publics.
- La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001 lui a attribué une nouvelle mission de certification des comptes de l’Etat.
- Enfin, elle assiste le Parlement et le Gouvernement dans l’évaluation des politiques, conformément à l’article 47-2 de la Constitution.
Le rapport public annuel constitue la publication phare des juridictions financières. Il est élaboré par la Cour et les chambres régionales des comptes sur la base d’enquêtes. Il présente, chaque année, plusieurs thèmes relatifs à la gestion des services de l’État, des collectivités territoriales ou des organismes publics, ainsi que la mise en œuvre de politiques publiques. Destiné en partie à informer les citoyens, il est rédigé dans un style clair et accessible. Après sa publication, la Cour examine systématiquement les suites données à ses recommandations.
En 2020, la pandémie de covid-19 a profondément perturbé la vie des citoyens et provoqué une crise économique majeure. Elle a entraîné des restrictions d’activité et des mesures d’urgence et de soutien aux ménages et aux entreprises aux conséquences massives sur les finances publiques et la plupart des secteurs d’activité. Les juridictions financières ont donc fait le choix d’aborder dans la première partie du rapport public annuel 2021 des thèmes directement liés à cette crise, avant de se concentrer, plus classiquement dans une seconde partie, sur un échantillon représentatif des travaux de la Cour et des chambres régionales des comptes.
Dans la première partie de son rapport publié le 18 mars 2021, la Cour consacre un thème entier à l’hébergement et au logement des personnes sans domicile pendant la crise sanitaire qui s’est installée en mars dernier. Ce choix n’est pas anodin et témoigne d’un véritable enjeu social et humain.
Pour préciser le périmètre de son rapport, la Cour reprend la classification européenne ETHOS qui distingue quatre grandes formes d’exclusion liée au logement, « sans-abri, sans logement, en logement précaire et en logement inadéquat », qui peuvent être « de nature transitoire, permanente ou chronique. » En outre, la juridiction indique que l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) utilise le concept de « personne ou de ménage sans-domicile » pour désigner les situations de personnes qui sont « soit sans-abri, c’est-à-dire à la rue, soit qui bénéficient d’un dispositif d’hébergement provisoire, qui ne constitue pas pour autant leur logement en propre. »
Les aides publiques dans le secteur du logement en France sont supérieures à celles de nombreux voisins européens, pourtant leur efficacité est largement critiquée. La Cour des comptes rappelle, dès le début du rapport, un chiffre alarmant : en 2019, environ 300 000 personnes sont sans domicile fixe en France, soit une progression moyenne de 10% par an depuis 2012.
La loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable, dite loi Dalo, avait pourtant reconnu un droit au logement décent et indépendant aux personnes résidant en France de façon stable et régulière, qui ne peuvent accéder par leurs propres moyens à un tel logement ou s’y maintenir. L’Etat est érigé en véritable garant du droit au logement et en conséquence, deux voies de recours sont instituées. D’une part, le recours amiable devant une commission de médiation départementale qui peut demander au préfet, si elle juge la demande de logement urgente et prioritaire, de procurer un logement sur le territoire préfectoral. D’autre part, le recours contentieux peut être engagé devant le juge administratif pour contester une décision défavorable de la commission de médiation ou pour défaut d’application d’une décision favorable. Ces recours sont ouverts aux personnes défavorisées prioritaires dans l’attribution d’un logement ou l’accueil dans une structure adaptée. Une fois le droit au logement reconnu, le préfet doit proposer un logement dans un délai de 6 mois (recours Dalo) ou un hébergement dans les 6 semaines (recours Daho). Dans le cas contraire, le requérant a la possibilité de faire condamner l’État à des astreintes ainsi que des dommages et intérêts. Ce recours indemnitaire est en augmentation faute de solution d’hébergement.
En septembre 2017, le Président Emmanuel Macron avait également lancé le plan pour le “Logement d’abord”. L’objectif est de lutter contre le sans-abrisme en facilitant l’accès au logement et la réinsertion des personnes sans domicile. Cette réforme structurelle de la politique d’accès au logement des personnes sans-abri, bien que placée au cœur du plan quinquennal 2018-2020, n’a pas permis de réduire le nombre de personnes à la rue.
Or, la pandémie mondiale a tout particulièrement touché les personnes les plus vulnérables. Des mesures d’urgence exceptionnelles ont été prises par le Gouvernement afin de trouver des solutions d’hébergement provisoires destinées à faire respecter les mesures sanitaires et à protéger des personnes déjà fragiles. Dans ce contexte, la Cour des comptes a procédé à l’examen des mesures mises en place entre mars et juillet 2020 sur le territoire métropolitain. Son enquête vise d’une part, à analyser la façon dont les acteurs étaient préparés à répondre à cette crise mais aussi comment ils ont agi afin d’assurer la continuité des services essentiels (I). D’autre part, l’enquête est destinée à tirer les premiers enseignements de la gestion de la crise pour mieux aider à affronter la possible réapparition de crises affectant les personnes sans domicile (II).
I-L’impréparation à la gestion de la crise et les actions engagées au printemps 2020
La Cour des comptes relève dans son rapport une mauvaise préparation générale de l’Etat et des opérateurs (acteurs dans les missions d’hébergement et de logement des personnes sans domicile). Cette mauvaise préparation a engendré des injonctions contradictoires de la part de l’Etat et les opérateurs ont été pendant un temps livrés à eux-mêmes.
Des mesures progressives ont été prises mais trop lentement pour faire face à l’importance de la crise sanitaire que le coronavirus a provoqué.
A- L’aménagement des missions d’accueil, d’hébergement, d’accompagnement et de logement pour assurer la continuité du service
1-La faible préparation de l’Etat pour gérer la crise
La préparation a commencé fin février en mettant en place une cellule de crise interne pour suivre la situation des publics vulnérables.
La Cour des comptes s’appuie sur une enquête faite en 2019 qui avait pour objectif de connaître le public accueilli en hiver mais aussi pour savoir quelles pouvaient être les mesures exceptionnelles à mettre en place et aussi de créer un meilleur guide pour les organismes. Cette enquête a permis une déconcentration des pouvoirs en déléguant aux préfets pour qu’ils puissent “coordonner les actions exceptionnelles menées en faveur des personnes en situation de précarité”.
Cependant, la Cour constate que les organismes n’ont pas pu s’appuyer sur ce que l’enquête avait préconisé car cela n’avait pas été mis en place. De plus, ils n’ont pas pu s’appuyer sur l’expérience d’évènements antérieurs tels que l’épidémie de H1N1.
Le manque d’anticipation de la part de l’Etat a obligé les administrations à réagir et à obéir aux instructions qu’on leur donnait, les organismes ont dû repartir de zéro car l’Etat ne prenait pas en compte leur expérience passée. Il a fallu progressivement reconstruire une relation opérationnelle avec l’autorité sanitaire.
Le manque de préparation opérationnelle de la part de l’Etat indique selon la Cour que cela remet en question sa capacité effective à guider les opérateurs et à répondre à leur besoin.
2-La continuité des missions d’accueil et d’hébergement
Les services d’accueil et d’hébergement ont été très touchés par la crise sanitaire. Ils ont dû faire face à l’absence d’une partie de leur personnel et au manque de disponibilités des bénévoles, ceux-ci majoritairement composés de retraités étaient confinés.
Ils ont dû entièrement se réorganiser pour mettre en place et respecter les mesures sanitaires.
Plus tard, on leur a demandé d’activer leur plan de continuité d’activité (PCA) et d’assurer de façon à ne pas dégrader la continuité des services essentiels. La Cour constate que ce PCA n’existe pas toujours dans les structures. Il existe un flou autour de la part des organismes qui en dispose d’un.
Les deux premières semaines de l’état d’urgence sanitaire ont été très critiques pour les organismes notamment en Île de France et dans l’Est de la France.
Rien n’avait été prévu pour que les opérateurs puissent maintenir leur activité. Les injonctions contradictoires qu’ils ont reçues montrent le manque de préparation et participent à l’absence d’organisation des structures.
Des centres ont été transformés pendant un temps en structure sanitaire. Or la configuration des locaux n’était pas adaptée notamment pour isoler les personnes atteintes du covid. De plus, les organismes n’avaient aucun matériel de protection ou de dépistage. N’ayant pas de protocoles précis, ils ont dû naviguer à l’aveugle pendant quelque temps.
Les opérateurs n’avaient pendant les premières semaines aucune réponse des services de l’Etat, ils ont donc dû se débrouiller pour trouver des solutions sans attendre un accord. Ils ont eu recours à des médecins retraités bénévoles, et ils ont décidé de verser une prime exceptionnelle à leur personnel pour essayer de garantir un niveau de présence suffisant et prendre en compte la prise de risque de venir travailler.
La fédération des acteurs de la solidarité en partenariat avec les communes a “organisé des échanges hebdomadaires sur les bonnes pratiques et les meilleurs moyens de se procurer les matériels et denrées indispensables” pour aider les opérateurs.
Les opérateurs ont aussi dû faire face à une baisse de dons et aux retards sur les subventions. Pour parer à ce problème, certaines agences régionales de santé (ARS) ont constitué des équipes sanitaires mobiles.
L’Etat a donné comme instruction au préfet de mettre fin aux sorties du dispositif national d’accueil (DNA) car ce dispositif provoquait une saturation des capacités d’hébergement. L’arrêt de ce dispositif a été majoritairement reporté sur le dispositif d’hébergement généraliste.
La mise en application du report de la trêve hivernale a permis de conserver des hébergements et d’éviter les expulsions.
Pendant la crise, les mesures d’accompagnement ont été réduites et souvent assurées à distance. Ce n’est que fin mars que sont mises en place des activités prioritaires de veille sociale. La veille sociale permet de réunir des informations pertinentes pour prendre les bonnes décisions et que celles-ci soient effectives.
Les locaux d’accueil et d’hébergement étant saturés, il est apparu indispensable d’utiliser d’autres structures pour permettre de respecter les mesures sanitaires. Le rapport montre qu’il y a aussi eu un manque de préparation au niveau financier puisque sur ce plan des mesures d’accompagnement ont été annoncées et précisées tout au long de la crise sanitaire.
3-La quasi interruption des mécanismes d’accès au parc social
La dématérialisation des procédures administratives a été préjudiciable pour les personnes sans domicile qui cherchaient à faire une demande de logement, ce qui a engendré une baisse importante du nombre de demandes. Pour pallier ce problème et éviter la caducité des demandes, le délai a été prolongé de trois mois.
Pour illustrer le manque de demande, en Île de France, une région “ qui concentre la majorité des recours, le niveau des accès effectifs à un logement de personnes reconnues prioritaires, entre avril et juillet 2020, a représenté moins du volume habituellement observé sur une seule semaine.”
Une instruction ministérielle a demandé de préparer un plan de bataille en cas de confinement prolongé et a fait appel aux préfets en leur demandant de prendre contact “avec l’ensemble des bailleurs sociaux du département pour leur demander d’identifier ces personnes” . L’idée étant de mettre en place des mesures pour maintenir un certain lien et ne pas laisser ces personnes dans l’isolement.
Cependant la Cour relève que cette disposition n’est pas arrivée à ses fins.
B-La mise à l’abri des personnes qui étaient à la rue
Lorsque l’Etat a pris la décision de faire un confinement, il a fallu prendre en charge les personnes sans domicile. Pour ce faire, la solution a été majoritairement de recourir à la mise à disposition d’hôtels vacants.
1-La mobilisation massive d’hôtels
Pour mettre en place une mobilisation des hôtels, le cabinet du ministre du logement (E. Wargon), la DIHAL (Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement) et le groupe hôtelier Accor se sont rencontrés pour échanger sur le sujet. Cette rencontre a permis d’élaborer une liste d’hôtels disponibles pour l’hébergement d’urgence.
Cependant, certains départements ont été confrontés à une grande difficulté pour trouver des hébergements supplémentaires avec un coût moindre, les hôtels ne souhaitant pas réduire leur tarif. Pour pallier ce problème, un accord-cadre a été conclu à la mi-mars avec l’Union des métiers et industries de l’hôtellerie. Il avait pour objectif d’encadrer les tarifs et de faciliter la réservation de chambres par les services d’État ou par des structures associatives.
2-Les mesures en faveur des campements illicites
La priorité était de conserver un semblant de dignité en garantissant l’accès à l’eau et à la nourriture à l’intérieur de ces campements illicites.
De façon ponctuelle, il y avait des opérations de mise à l’abri des personnes dans des structures d’hébergement ou à l’hôtel.
La Direction Régionale et Interdépartementale de l’Hébergement et du Logement (DRIHL) a constaté en Île-de-France que la mise à l’abri des personnes sans domicile dans les hôtels a entraîné une demande, ce qui a causé une augmentation de la population dans les campements entre le jour de l’annonce de l’opération et sa réalisation.
Il a fallu trouver des solutions dans l’urgence en raison du manque de préparation et d’anticipation ce qui “a nécessité de mobiliser plusieurs acteurs du secteur humanitaire.”
3-Au total, une hausse inédites des capacités d’hébergement
Durant cette période, le nombre d’hébergements a atteint une importance sans précédent, ce qui a fait chuter le nombre des demandes recueillies dans le cadre du 115 ainsi que les demandes appelées non pourvues, auxquelles il ne peut être apporté de réponse dans la journée. L’importance du nombre d’hébergements est majoritairement due à la mise à disposition des hôtels mais aussi la convergence de plusieurs types d’hébergements, tels que les centres d’hébergement ou encore les gymnases, les internats ou les centres de loisirs.
Cependant, ce ne fut que de courte durée puisqu’à la fin du confinement la demande globale d’hébergement est repartie à la hausse.
4-La nécessité de faire face à une activité contentieuse inattendue
Des collectifs de fédérations et d’associations ont cherché à obtenir un renfort général des dispositifs en faveur des personnes sans domicile, du droit d’asile ou encore de l’assurance maladie en engageant des procédures contentieuses.
La Cour considère que ces procédures ont créé un “climat de défiance entre acteurs concernés” or c’est peu favorable lors de la gestion d’une pandémie.
Le Conseil d’Etat a rendu plusieurs ordonnances concernant les personnes sans abri. Une en date du 2 avril 2020 “Fédération nationale du droit au logement et autres” par laquelle les juges des référés rejettent la demande d’ordonner au gouvernement de mettre à l’abri l’ensemble des personnes sans abri ou en habitat de fortune en considérant que l’Etat avait déjà mobilisé des hébergements et que les efforts continuaient de s’accroître.
L’autre est en date du 9 avril 2020 “ Association mouvement citoyen tous migrants et autres” concerne une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur la disposition fondant les mesures de confinement. Les juges ont rejeté toutes les requêtes.
C-La mise en place de mesures sanitaires spécifiques
1-La création de centres spécialisés pour les personnes malades
Pour les personnes sans-abri malades du covid-19, il est très difficile de se confiner, même lorsqu’elles sont logées dans des structures spécialisées. En effet, ces structures n’ont pas toujours la capacité d’accueillir ces malades dans un cadre sanitaire sécurisé. Pour ces personnes dans le besoin d’un lieu sain de confinement mais qui ne sont pas dans le besoin d’une hospitalisation, des centres d’hébergement spécialisés ont été mis en place. Ces centres permettent de pallier les difficultés des centres d’hébergement à s’adapter au contexte sanitaire.
Cependant, l’urgence de la situation a provoqué des difficultés notamment à cause du décalage entre le manque de moyens, de personnel qualifié et la demande importante due à la crise sanitaire. Malgré tout, la Cour des comptes a tout de même enregistré un pic avec plus de 110 centres représentants plus de 3 600 places en mi-avril.
2-La distribution de masques
Avec l’aide essentielle des initiatives locales, les préfectures ont tenté, en période de pénurie de masques, d’organiser des distributions à partir de mi-avril avec un stock de 4,7 millions de masques au départ. Entre mars et avril, ce n’est pas moins de 3,2 millions de masques qui ont été remis aux associations d’Ile-de-France grâce à huit livraisons. Ce projet a malgré tout fait face à certaines difficultés matérielles et organisationnelles : la pénurie s’est ajoutée à un manque de lieux pour stocker ces masques mais aussi à un manque d’informations sur les approvisionnements que ce soit sur la date ou la quantité délivrée. En conséquence, il a été compliqué pour les acteurs de ces distributions de se coordonner pour une efficacité optimale.
D-L’organisation d’une aide alimentaire exceptionnelle
1-L’apparition de nouveaux besoins, alimentaires et d’hygiène
La crise sanitaire et les conséquences que celle-ci a engendrées ont donné naissance à de nouveaux besoins, en particulier à cause des mesures de confinement. En effet, le confinement a eu pour conséquence directe une perte de revenus pour les personnes travaillant mais également, dans un second temps, une baisse notable des initiatives solidaires puisque les volontaires ont été confinés. Pour contrer au maximum l’augmentation de la précarité, la Direction régionale et interdépartementale de l’Hébergement et du Logement en Ile-de-France a, dès le début du premier confinement, distribué des tickets services permettant aux personnes en situation de précarité de bénéficier d’un mode de paiement prépayé pour subvenir à leurs besoins.
Dans plusieurs métropoles, des kits d’hygiène ont été distribués afin de contrer les conséquences de la fermeture des bains-douches. Afin d’aider les personnes sans-abri, environ 17 000 repas ont été distribués chaque jour à Paris alors que la moyenne se trouve plutôt à 10 000 repas en dehors de la pandémie de coronavirus. Ces actions de distribution de repas ont été menées par diverses associations ou paroisses de quartiers, dans la rue à l’occasion de maraudes ou pour les personnes hébergées à l’hôtel.
2-La distribution exceptionnelle de chèques d’accompagnement
Plusieurs associations désignées au niveau national comme départemental, supervisées par la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement, ont mis en place six distributions de chèques d’accompagnement entre avril et juillet 2020. Au nombre de 14 millions, ces chèques d’une valeur unitaire de 3,50 € ont été produits et distribués et ont permis chacun de couvrir environ quinze jours (deux chèques par jour et par personne).
II-Un premier bilan des mesures exceptionnelles et la préparation de l’avenir
L’enjeu est capital dans le contexte du prolongement de la crise sanitaire pour ce qui est de la préparation de l’avenir.
A-Les premiers enseignements sanitaires et sociaux
Tout en prenant des précautions, on peut dégager de cette période de crise sanitaire certains enseignements bien qu’on ne dispose pas de retour des actions entreprises en faveur des personnes sans-abri dans ce contexte particulier.
1-La très faible utilisation des capacités CHS
Les centres d’hébergement spécialisés ont fait face à des difficultés liées au cloisonnement entre les lieux de soins et les lieux de vie, ou à des limites dues à la durée de la procédure d’admission en dépit des efforts faits de réponses aux demandes. La procédure d’admission n’a d’ailleurs pas posé problème qu’au niveau de la durée mais aussi sur les critères très restrictifs d’entrée (impossibilité matérielle de rester confiné sur le site d’origine, contamination devant être confirmée par un test) ajoutés à la difficulté d’accès aux tests de dépistage du coronavirus ou à des médecins en sous-effectif.
On observe un écart conséquent entre l’utilisation de ces centres et leurs places ouvertes. Ils n’ont en effet été occupés qu’à 10% de leurs capacités notamment à cause de localisations peu pratiques et éloignées de tout.
L’organisation des centres et les effets du coronavirus ont engendré un grand nombre de décompensations obligeant le transfert d’urgence de nombre de patients dans les hôpitaux. Ainsi, l’Etat a parfois dû payer trois fois pour une même personne sans abri : une place dans le centre initial, une place dans le dispositif dit « de desserrement », et une place dans le CHS.
2-La maîtrise du nombre de contaminations et de décès
Un suivi des contaminations et décès liés au coronavirus a été fait deux fois par semaine dans les centres et montre des ruptures liées au changement d’outil informatique en avril 2020.
Les conclusions de ce suivi sont à prendre avec précaution mais le niveau de mortalité liée à l’épidémie n’aurait pas été particulièrement supérieur à celui pour l’ensemble de la population. De plus, les foyers de travailleurs migrants ou résidences sociales auraient hébergé plus de contaminations graves ou de décès à cause du manque de moyens. Cependant, les décès en hôpital ou en CHS des personnes sans-abri n’ont pas été comptabilisés dans ce suivi il faut donc prendre du recul sur ces constatations.
Alors que le respect des mesures de sécurité sanitaire dans ces centres est très difficile voire impossible à maintenir, les hôtels se sont mobilisés et dans les Vosges, la Croix-Rouge a pu assurer un suivi des personnes pour éviter l’apparition de clusters par le biais de maraudes régulières.
3-Les premiers éléments d’un bilan sanitaire et social plus vaste
La Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement et la Délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté ont relevé l’avantage du logement par rapport aux centres d’hébergement et aussi l’importance d’un accompagnement général des personnes. La Direction Régionale et Interdépartementale de l’Hébergement et du Logement a, en plus, fait un suivi de la situation des personnes hébergées en hôtels ou structures temporaires. Au premier confinement, des connexions internet et outils informatiques ont été distribuées pour les familles hébergées à l’hôtel par des associations. Lors de ce suivi, on a pu observer que 45% des ménages étaient dans une situation dans laquelle leurs droits n’étaient pas respectés de manière satisfaisante et que l’ouverture des hôtels et centres avaient permis de pallier ce problème. En effet, d’une part en offrant un hébergement à des personnes vivant à la rue et d’autre part, en permettant des cohabitations chez des tiers.
Si le service d’urgence Samu social de Paris a relevé que les effets de la crise sanitaire et plus particulièrement du confinement ont été plus rares dans les centres collectifs que dans les structures individuelles à cause du risque d’isolement, la situation n’en est pas moins inquiétante. On estime que le confinement, selon le temps qu’il dure, a des conséquences négatives sur la santé et l’insertion des personnes sans-abri notamment à cause de la réduction du nombre d’ activités collectives et d’accompagnement. Ainsi, le prolongement de la crise sanitaire est de plus en plus complexe, aussi bien pour les personnes sans abri que pour le personnel aidant.
B-Le coût pour l’Etat des mesures exceptionnelles
Trois exemples semblent particulièrement bien illustrer les difficultés à maîtriser le coût des dispositifs qui ont été rencontrées :
- Le niveau relativement élevé des tarifs hôteliers et les risques financiers liés à la remise en état des lieux :
Les coûts moyens par personne de l’hébergement à l’hôtel ont été de 14% supérieurs aux coûts pendant les habituelles périodes hivernales. Il y a trois raisons à ce renchérissement: la diminution du taux moyen d’occupation par chambre pendant la période de confinement à cause des contraintes sanitaires, le fait que les personnes hébergées étaient davantage des personnes isolées (les familles ayant déjà été prises en charge) et enfin, le recours à des établissements plus onéreux que ceux mobilisés habituellement.
La première disposition de l’accord-cadre négocié en mars 2020 avec le secteur hôtelier prévoyait la nécessité de garantir le maintien en l’état des chambres ou à défaut une remise en l’état, aux frais de l’Etat, après le départ des personnes hébergées. Les risques financiers résultant, pour l’État, de cette clause n’ont encore fait l’objet d’aucune estimation, mais pourraient s’avérer d’autant plus coûteux qu’il n’a pas été procédé à des états des lieux à l’arrivée et que les personnes hébergées n’ont pas été sensibilisées au respect des locaux (pour donner un ordre de grandeur, le coût pourrait s’élever à 50 000€).
- L’impossibilité de cibler les bénéficiaires des distributions de chèques d’accompagnement personnalisé :
Il était prévu que la distribution se limite aux personnes les plus précaires, ne disposant pas de ressources ni d’alternatives pour accéder à une aide alimentaire : en pratique, il a été difficile de procéder à un tel ciblage sur le terrain. Des doublons entre distribution des chèques et accès à l’aide alimentaire ont pu être constatés, occasionnant trafics de revente des chèques et gaspillage des denrées.
Un suivi mensuel a tout de même été mis en place pour assurer la traçabilité des 14 millions de chèques : en avril, 40% des bénéficiaires étaient hébergés à l’hôtel.
- Le défi de cadrer et de contrôler la prise en charge des surcoûts supportés par les structures associatives :
La DGCS (Direction Générale de la Cohésion Sociale) a précisé le périmètre et les conditions de prise en charge par le budget de l’Etat des surcoûts occasionnés par la crise. En dépit des efforts déployés pour tenter de cadrer ex ante cet effort, les capacités des services déconcentrés pour contrôler ces dépenses paraissent très faibles. Il devrait être prévu que les services de l’Etat procèdent à des contrôles ciblés des dépenses prises en charges et puissent exiger le remboursement des sommes indûment perçues.
2-Un coût pour l’Etat supérieur à 650 000 euros
Les dépenses ont essentiellement été financées sur le programme budgétaire 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables” de la mission Cohésion des territoires, qui n’est pas exceptionnel. Se sont cependant ajoutées un certain nombre de dépenses exceptionnelles, présentées dans le tableau ci-dessous :
*LFR = loi de finance rectificative du 30 juillet 2020.
Au total, le coût des dispositifs exceptionnels au profit des personnes sans domicile dépasse les 650 000€ au titre de 2020.
Au-delà du budget de l’Etat, d’autres dépenses ont également été engagées par l’assurance maladie (dans le cadre des soins de ville, hospitaliers et en CHS) et par les collectivités territoriales (dans le cadre d’initiatives de mise à l’abri et d’aide alimentaire).
C-La préparation de l’avenir
Cette configuration historique peut connaître deux issues:
- soit un retour à la situation ex ante, à savoir la remise à la rue des personnes ou leur maintien durable dans l’hébergement;
- soit une transformation structurelle de leur situation, avec l’objectif d’assurer leur accès à un logement, y compris vers des dispositions adaptées aux plus vulnérables comme les pensions de famille.
En pratique, plusieurs décisions ont conduit à pérenniser des places ouvertes à titre provisoire. L’objectif est de créer de façon pérenne 14 000 places supplémentaires d’hébergement dans le parc généraliste ou d’intermédiation locative dans le parc privé. S’agissant du DNA (Dispositif National d’Accueil) la création de 6 000 nouvelles places est prévue pour 2021.
Le volume du parc d’hébergement est donc appelé à demeurer, même après la période d’urgence sanitaire, à un niveau record.
A côté de ces mesures de pérennisation du parc d’hébergement, plusieurs initiatives ont été prises en vue de favoriser l’accès des personnes hébergées à un logement ou pour éviter les sorties du logement.
Une instruction ministérielle de juin 2020 a fixé l’objectif que les personnes hébergées puissent bénéficier de 3 000 attributions de logement social pendant les mois de juin et juillet, objectif qui a quasiment été atteint.
Toutefois, tant les objectifs fixés que les outils mobilisés se situent dans la lignée de ceux qui préexistaient à la crise sanitaire et ne permettent pas de se situer au niveau qu’appelle la crise. L’échec de nombreuses dynamiques d’insertion et plus largement les tensions dans les structures d’hébergement résultent de cette impossibilité, y compris au moment du déconfinement, d’accéder à un logement.
Les effets durables de la crise doivent conduire à redoubler d’attention pour éviter les risques de sortie du logement. L’instruction ministérielle de juin 2020 prévoit que tout concours de la force publique soit assorti d’une proposition de relogement effective et adaptée.
Des difficultés existent cependant, en particulier dans les zones d’habitat tendues, pour effectuer une proposition de relogement, en cas d’expulsion du fait de la saturation des dispositifs, et pour financer l’indemnisation des bailleurs lésés.
En conclusion :
En mars 2020, alors que la pandémie de Covid-19 frappe la France, les autorités chargées des politiques en faveur des personnes sans domicile ne disposaient pas d’une culture de la gestion du risque ni des outils opérationnels de nature à faciliter le basculement rapide dans la gestion de crise pour répondre aux besoins essentiels des personnes. Dans les premières semaines de confinement, l’État n’a été en mesure de couvrir de façon satisfaisante les besoins de protection des personnes et de prise en charge des malades.
Puis, progressivement, un ensemble de mesures exceptionnelles ont été mises en œuvre pour mettre à l’abri des personnes à la rue, essentiellement dans des chambres d’hôtel devenues libres, afin d’assurer la continuité des services essentiels d’accueil, d’hébergement et, dans une moindre mesure, d’accompagnement. Pour ce faire, l’État a pris en charge les surcoûts que les opérateurs ont supporté, a aussi assuré la protection sanitaire des publics comme des accompagnants, et a renforcé les dispositifs d’aide alimentaire.
La Cour a néanmoins relevé des difficultés et le faible recours par les personnes concernées aux centres d’hébergement spécialisés en matière sanitaire. Ces mesures, dont le coût pour 2020 dépasse le demi-milliard d’euros, ont tout de même permis d’éviter une surmortalité des personnes à la rue ou sans domicile. Elles ont conduit à une situation sans précédent où l’essentiel des personnes sans-abri ont été hébergées par l’État, au moins jusqu’en mars 2021.
Se pose alors la question de la longévité ou de la sortie de ces dispositifs. La Cour note que les mesures exceptionnelles prises pendant la période de l’état d’urgence sanitaire n’auraient au final guère plus d’impact que celles du traditionnel plan hivernal – certes hors norme dans sa dimension, sa durée et son coût, mais sans effet à long terme pour les personnes concernées. De plus, l’État ne serait pas prêt à affronter une crise prolongée ou un nouveau choc tels que ceux de mars et de novembre 2020.
Il est impératif de mieux se préparer, en amont, à gérer d’éventuelles crises extrêmes, notamment par une coordination accrue des politiques de l’hébergement d’urgence, du logement et de la santé. En outre, une transformation structurelle de la situation des personnes sans domicile, dans un « effort national » pour accélérer leur accès au logement, paraît s’imposer. Cela suppose, dans un premier temps, un effort de la part des opérateurs de l’accueil et de l’hébergement, puis, des opérateurs du logement, notamment du logement social, afin qu’ils ouvrent et adaptent davantage leur offre aux ménages les plus précaires.
Louise Buffet, Léna Castera, Anastasia Marucheau de Chanaud, Clara Rolin, membres de l’ADHS