L’efficacité de la comparution immédiate : justice expéditive ou déni des droits de la défense ?

La justice pénale est soumise à une double exigence : d’une part, elle doit être rapide, afin de répondre sans délai à l’exigence sociale de sanction et de prévention de la récidive ; d’autre part, elle doit être équitable, respectueuse des droits fondamentaux, garantissant à toute personne poursuivie la possibilité d’être jugée dans des conditions permettant une défense effective. C’est au croisement de ces deux impératifs que s’inscrit la comparution immédiate, procédure exceptionnelle mais devenue, au fil du temps, une réponse pénale de plus en plus ordinaire.

Introduite dans le code de procédure pénale aux articles 395 et suivants, la comparution immédiate permet de faire juger une personne immédiatement à l’issue de sa garde à vue, lorsque les faits sont simples et que l’affaire ne nécessite ni complément d’enquête, ni expertise. Ce mécanisme, issu de l’ancienne « procédure de flagrant délit », fut pensé comme un outil de rationalisation de l’action judiciaire. 

Le terme comparution, du latin com-parere, « apparaître avec [quelqu’un] devant une autorité », renvoie à l’acte de se présenter physiquement devant le juge. 

L’adjectif immédiate, du latin immediatus, exprime l’absence de délai et d’intermédiaire, mettant en lumière l’extrême brièveté de la phase préparatoire au procès. 

Ainsi, la comparution immédiate se caractérise d’abord par sa vélocité, qui est aussi son principal argument d’efficacité.

L’efficacité, elle-même, doit être interrogée. Issu du latin efficax (qui produit son effet), le terme désigne la capacité d’un processus à atteindre un but. En matière pénale, il s’agit principalement d’assurer une réponse rapide, visible et cohérente face à l’infraction, dans l’objectif de garantir l’autorité de la loi, de maintenir l’ordre public et d’éviter l’engorgement des juridictions. La comparution immédiate, par sa rapidité, réduit considérablement les délais entre l’infraction et la sanction, ce qui est souvent perçu comme un gage de crédibilité de la justice.

Cependant, cette justice rapide peut, à bien des égards, s’apparenter à une justice expéditive. 

L’adjectif expéditif, dérivé du latin expeditus (« libéré, prompt à agir »), véhicule aujourd’hui une connotation péjorative : celle d’une procédure menée dans la précipitation, sans les précautions et garanties normalement exigées dans un procès équitable.

Or, dans une procédure où l’audience peut se tenir dans les heures suivant la fin de la garde à vue, la question se pose : la personne poursuivie a-t-elle réellement le temps de préparer sa défense ? L’avocat a-t-il accès à tous les éléments du dossier ? Peut-on, dans ces conditions, garantir une instruction contradictoire et un débat équilibré devant le tribunal ? La procédure accélérée ne vient-elle pas mécaniquement restreindre le droit au temps, pourtant fondamental dans le cadre du procès pénal ?

Les droits de la défense, dont la reconnaissance a valeur constitutionnelle et conventionnelle, sont un pilier de l’État de droit. L’article 6 §3 de la Convention européenne des droits de l’homme consacre le droit pour tout accusé de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. En réduisant ce temps à peau de chagrin, la comparution immédiate crée un risque systémique de déséquilibre procédural. 

En outre, la pression psychologique exercée sur le prévenu, placé en garde à vue, potentiellement déféré au parquet, puis présenté au juge dans la même journée, interroge la liberté de son consentement, notamment lorsqu’il choisit de ne pas demander de renvoi. Il en résulte une forme de contrainte procédurale déguisée, aux antipodes des principes directeurs du procès pénal.

Au-delà des considérations juridiques, la comparution immédiate soulève des enjeux politiques et sociaux. D’un point de vue gestionnaire, elle répond à une logique de rendement judiciaire et de traitement massif des petites et moyennes délinquances urbaines. Elle s’inscrit dans une vision utilitariste de la justice, orientée vers la performance statistique plus que vers l’individualisation de la peine. 

Mais ce modèle, pensé pour fluidifier le traitement pénal, ne révélerait-il pas une justice à deux vitesses, où les justiciables les plus précaires, souvent mal défendus, peu informés, et socialement marginalisés, sont jugés dans des conditions expéditives qui renforcent leur vulnérabilité ?

L’analyse de la comparution immédiate suppose donc de dépasser la seule question de son efficacité technique pour interroger sa légitimité démocratique. Car si l’efficacité peut être une qualité en matière de politique pénale, elle ne saurait justifier une mise à l’écart des principes fondamentaux du procès équitable. 

Il s’agit ainsi de se demander si cette procédure constitue un instrument pertinent de réponse pénale rapide, ou si elle opère, dans les faits, un déni des droits de la défense. 

I. Les origines et évolutions de la procédure

De façon à pleinement saisir les contours de la comparution immédiate, il conviendra d’établir les procédures qui l’ont précédé, le contexte qui a justifié son apparition ainsi que son évolution.

A. La procédure des « flagrants délits » : ancêtre de la comparution immédiate

Au milieu du XIXème siècle, face à l’explosion du contentieux relatif à la mendicité, au vagabondage et aux autres vols, les juges d’instruction de certaines grandes villes se mettent à pratiquer, et ce alors qu’aucun texte de loi ne le prévoit, une voie de poursuite rapide dénommée le « petit parquet ». Ce mécanisme, étant strictement le fruit de la pratique, consiste concrètement, dans un premier temps, à l’appréhension de l’individu, débouchant alors à l’ouverture d’une instruction par un procureur le jour même de la commission de l’infraction. Dans un second temps, le « petit parquet » conduit à la mise en œuvre d’un interrogatoire par un juge d’instruction. Finalement, ce juge clôture l’instruction et peut renvoyer le mis en cause devant le tribunal afin qu’il soit jugé le lendemain.

  En 1863, le législateur décide de consacrer cette pratique en introduisant l’ancêtre de la comparution immédiate ; la procédure exceptionnelle de jugement des flagrants délits.

Dans ce cadre légal, le procureur de la République a ainsi la faculté de déférer dans les 24 heures devant le tribunal correctionnel toute personne ayant commis un flagrant délit passible d’une peine d’emprisonnement. Le texte reconnaît alors au magistrat la possibilité de délivrer lui-même un mandat de dépôt, c’est-à-dire d’ordonner à un chef d’établissement pénitentiaire de recevoir et ainsi détenir le mis en examen.

La loi de 1863 prévoit cependant certaines garanties afin de limiter les cas dans lesquels celle-ci est destinée à s’appliquer. Ainsi, ce mécanisme de jugement express ne se limite qu’aux flagrants délits. Le texte exclut le recours à la procédure pour certains délits comme ceux de presse ou encore les délits politiques et, finalement, la personne mise en cause peut solliciter un délai afin de préparer sa défense.

Le texte s’inscrit dans une volonté de contrer le recours excessif à la détention provisoire, tout en allégeant le nombre de dossiers pour les juges d’instruction. Néanmoins, la nouvelle procédure suscite toujours des craintes, notamment à raison de la conception juridique retenue de la flagrance.

Aparté – la notion de flagrant délit – Aux termes de l’article 41 du Code d’instruction criminelle de 1808, un flagrant délit est, stricto sensu, « le délit qui se commet actuellement, ou qui vient de se commettre ».

S’agissant de la conception de l’infraction qui « vient de se commettre », à raison du caractère vague de la formulation, la jurisprudence de la Cour de cassation a permis d’en préciser les contours [[1]], bien que ces derniers ne soient pas strictement définis.

Par assimilation, l’état de flagrance peut alors être retenue lorsque la personne est poursuivie par une clameur publique ou lorsque celle-ci se trouve en possession d’objets laissant penser à sa participation à l’infraction, pourvu que cette découverte se fasse dans un temps voisin du délit.

Tout au long du XXème siècle, la jurisprudence élargit ainsi la notion de flagrance afin de permettre le jugement de situations concourant à la procédure de 1863.

B. La loi « Sécurité et liberté » de 1981 : introduction de la procédure de « saisine directe »

 Le 2 février 1981 est alors promulguée une loi visant à ce que la « procédure de saisine directe » remplace l’ancienne procédure de flagrants délits. À présent, le procureur de la République a la faculté de saisir le jour même une juridiction de jugement si les charges réunies sont suffisantes et dès lors que la peine légale prévue pour l’infraction n’excède pas cinq ans d’emprisonnement.

Par conséquent, toute affaire que le ministère public estime en état d’être jugée peut désormais faire l’objet d’une telle procédure ; le critère de flagrance jusqu’à lors retenue est ainsi complètement écarté par le législateur.

Très vite, les esprits s’échauffent ; certains considèrent, comme Robert Badinter, que le texte est peu respectueux à l’égard des droits de la défense. Nonobstant, lorsque ce dernier est Garde des Sceaux à la fin de l’année 1981, il déclare que l’existence d’une procédure rapide de jugement n’est pas substantiellement problématique, et prône ainsi que lui soit apporté de véritables garanties.

C. La loi du 10 juin 1983 et rectifications à la marge : consécration de la procédure de comparution immédiate

 La loi du 10 juin 1983 vient finalement renommer la procédure comme celle de la « comparution immédiate » ; en vertu du texte, celle-ci n’est applicable qu’aux flagrants délits réprimés par une peine d’un à cinq ans d’emprisonnement. Le choix est alors fait de réintroduire la notion de flagrance afin de limiter le nombre d’infractions susceptibles de tomber sous le joug de ce mécanisme de jugement rapide.

L’esprit de la loi est ainsi d’assurer le jugement du prévenu en moins d’une journée à partir du moment où ce dernier est placé en garde à vue, et ce dans un souci d’éviter l’engorgement des tribunaux et d’assurer l’effectivité de la réponse pénale.

Cependant, ce garde-fou juridique est définitivement supprimé lors de l’adoption d’une loi en 1986 [[2]] La comparution immédiate voit alors son champ d’application étendu ; le critère de flagrance est supprimé pour les délits passibles d’une peine comprise entre deux et cinq ans d’emprisonnement, et reste maintenu pour les délits passibles d’un an d’emprisonnement. À présent, le recours de la procédure est ainsi ouvert à tous les délits.

Depuis, le législateur est venu modifier avec parcimonie le régime d’application de la comparution immédiate.

En 1995, les plafonds des peines d’emprisonnement encourues passent de cinq à sept ans et, en parallèle, la loi réprime sévèrement certaines infractions entre créant, entre autres, de nouvelles circonstances aggravantes.

Finalement, en 2002, la « loi Perben I » introduit dans le périmètre des comparutions immédiates les infractions décrites, par le Garde des Sceaux initiateur du texte, comme celles relatives aux stupéfiants et les destructions par substances incendiaires.

Le texte vient également assurer l’application de la comparution immédiate pour les délits flagrants passibles de 6 mois d’emprisonnement.

Tandis que la visée même de la loi de 1863 était de diminuer le recours à la détention provisoire, la comparution immédiate représente aujourd’hui la procédure qui alimente la population carcérale.

   Il s’agira à présent d’analyser le fonctionnement actuel de la procédure (II.) résultant des différentes politiques pénales menées ces dernières années.

 II. Le fonctionnement actuel de la comparution immédiate : une procédure d’exception au service d’une justice pénale réactive

Érigée comme un instrument de réactivité, la comparution immédiate permet de juger un individu le jour même de sa garde à vue, dès lors que l’affaire est en état d’être entendue. 

Cette procédure simplifiée vise à répondre rapidement à certains délits, tout en assurant un encadrement juridique destiné à préserver les droits fondamentaux du prévenu. Sa mise en œuvre, bien qu’expéditive en apparence, repose sur une architecture procédurale minutieuse, mêlant opportunité des poursuites, garanties procédurales et interventions juridictionnelles multiples. 

Cette procédure obéit ainsi à un déroulé précis, depuis la décision du procureur de la République jusqu’à l’audience, en passant par les alternatives prévues en cas d’impossibilité immédiate.

L’article 395 du Code de procédure pénale prévoit cette procédure d’exception : 

« Si le maximum de l’emprisonnement prévu par la loi est au moins égal à deux ans, le procureur de la République, lorsqu’il lui apparaît que les charges réunies sont suffisantes et que l’affaire est en l’état d’être jugée, peut, s’il estime que les éléments de l’espèce justifient une comparution immédiate, traduire le prévenu sur-le-champ devant le tribunal.

En cas de délit flagrant, si le maximum de l’emprisonnement prévu par la loi est au moins égal à six mois, le procureur de la République, s’il estime que les éléments de l’espèce justifient une comparution immédiate, peut traduire le prévenu sur-le-champ devant le tribunal.

Le prévenu est retenu jusqu’à sa comparution qui doit avoir lieu le jour même ; il est conduit sous escorte devant le tribunal. »

Cette procédure d’exception, bien qu’encadrée par des conditions strictes, s’est progressivement imposée comme un instrument central de la politique pénale contemporaine.

Pour en comprendre le fonctionnement concret, il convient d’en examiner, d’une part, les conditions de son déclenchement ainsi que les différentes étapes procédurales qui la structurent (A et B). Il conviendra ensuite de s’attarder sur les mesures de sûreté pouvant être mises en œuvre en cas d’impossibilité de juger immédiatement (C), avant de souligner le rôle fondamental joué par les différents acteurs de l’audience de comparution immédiate (D).  (4).

A. Les conditions d’application de la comparution immédiate

La procédure de comparution immédiate est principalement régie par les articles 395 et 396 du Code de procédure pénale. Elle ne peut être utilisée que si deux conditions cumulatives sont réunies :

D’une part, concernant la nature de l’infraction, la comparution immédiate est applicable en cas de flagrant délit lorsque l’infraction est punie d’au moins six mois d’emprisonnement et, en dehors de la flagrance, seuls les délits punis de deux ans d’emprisonnement au minimum peuvent faire l’objet d’une comparution immédiate.

Qu’est ce qu’un crime ou délit flagrant ? Article 53 du Code de procédure pénale :Est qualifié crime ou délit flagrant, le crime ou le délit qui se commet actuellement, ou qui vient de se commettre. Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque, dans un temps très voisin de l’action, la personne soupçonnée est poursuivie par la clameur publique, ou est trouvée en possession d’objets, ou présente des traces ou indices, laissant penser qu’elle a participé au crime ou au délit. Est assimilé au crime ou délit flagrant tout crime ou délit qui même non commis dans les circonstances prévues à l’alinéa précédent a été commis dans une maison dont le chef requiert le procureur de la République ou un officier de police judiciaire de le constater”. 

D’autre part, l’affaire doit être en état d’être jugée. Cela signifie qu’aucune mesure d’enquête supplémentaire substantielle n’est requise. Les charges doivent être suffisantes, et l’ensemble des éléments nécessaires à la décision du tribunal doivent être disponibles à l’issue de la garde à vue.

Sont expressément exclus de cette procédure les délits de presse, sauf exceptions (art. 24, 24 bis et 33 al. 3 et 4 de la loi du 29 juillet 1881), les infractions politiques, les infractions dont la poursuite est encadrée par une procédure spéciale (ex. : infractions forestières ou maritimes), ainsi que toutes les infractions commises par des mineurs, en vertu de leur régime juridictionnel propre.

B. Le déroulement de la procédure : une articulation rapide mais cadrée

Comme toute procédure pénale, la comparution immédiate suppose, en premier lieu, l’interpellation et le placement en garde à vue du prévenu. Durant cette période, le prévenu est informé de ses droits dont celui d’être assisté d’un avocat, de faire prévenir un proche et un employeur, d’être vu par un médecin, d’être assisté, le cas échéant, d’un interprète, de garder le silence, etc.

À l’issue de la garde à vue est mis en œuvre le défèrement. Ici, le suspect est conduit devant le procureur de la République, qui l’informe de ses droits procéduraux (droit à un interprète, assistance par un avocat, droit au silence, droit de consulter le dossier), lui notifie les faits reprochés et recueille ses observations, ainsi que celles de son avocat, s’il est assisté.

Définition du défèrement : il s’agit de la présentation d’une personne devant l’autorité judiciaire ou administrative compétente.

Le prévenu à entièrement le droit de refuser d’être jugé sur le champ et obtenir un renvoi pour préparer sa défense.

En l’absence d’avocat, la juridiction doit impérativement saisir le bâtonnier pour la désignation d’un avocat commis d’office : la présence d’un avocat constitue une condition de validité du recueil du consentement du prévenu à être jugé sur le champ.

À l’issue de cet entretien le procureur décide, en opportunité, d’utiliser la comparution immédiate.

Si le prévenu accepte d’être jugé sur le champ, et que le tribunal correctionnel peut tenir audience, il est présenté immédiatement devant la formation de jugement. L’audience suit alors le schéma d’un procès correctionnel classique, avec un examen de l’affaire, un débat contradictoire, une présentation des parties civiles, les réquisitions du ministère public et plaidoiries.

Le prévenu est retenu dans une salle sécurisée du tribunal en attendant l’appel de son dossier. 

S’il est condamné, un renvoi peut être prononcé sur les intérêts civils si la victime n’a pas encore chiffré son préjudice.

Du côté de la victime, elle est avertie par tout moyen de la procédure de comparution immédiate et de la date de l’audience. En pratique, c’est la police ou la gendarmerie qui lui donne l’information. Elle peut se faire traduire l’avis d’audience si elle ne comprend pas le français.

La victime peut se constituer partie civile pour demander des dommages-intérêts en réparation de son préjudice.

C. Les mesures de sûreté en cas d’audience différée : contrôle, assignation ou détention provisoire

Lorsque l’audience ne peut pas se tenir le jour même (par exemple en cas de tribunal indisponible, de dossier incomplet ou absence d’un élément fondamental), le parquet peut saisir le juge des libertés et de la détention (JLD) pour qu’il ordonne des mesures de sûreté dans l’attente de l’audience. 

Définition d’une mesure de sûreté – il s’agit d’une mesure privative ou restrictive de liberté ou de droit, ou une mesure patrimoniale, qui a essentiellement pour but d’empêcher la commission d’une nouvelle infraction. Elle a une fonction essentiellement préventive.

Ainsi, ce magistrat statue, après débat contradictoire, sur les mesures de sûreté nécessaires : contrôle judiciaire, assignation à résidence avec surveillance électronique (ARSE) ou détention provisoire, dans le strict respect des conditions de l’article 144 du Code de procédure pénale.

L’ordonnance du JLD doit être motivée en droit et en fait, et spécifier en quoi le placement en détention est l’unique moyen d’atteindre les objectifs visés : éviter la concertation avec des complices, préserver les preuves, prévenir la récidive, assurer la comparution du prévenu…

Le prévenu ne peut pas faire appel de la décision du Juge des libertés et de la détention. 

Le prévenu doit alors comparaître dans un délai de trois jours ouvrables. À défaut, il est automatiquement remis en liberté, sauf en cas de non-respect des obligations imposées.

Par ailleurs, introduite par la loi du 23 mars 2019 (art. 397-1-1 CPP), la comparution à délai différé permet de juger un prévenu ultérieurement tout en conservant les caractéristiques de la procédure accélérée.

Elle s’applique lorsque certaines vérifications ou expertises sont nécessaires (analyse toxicologique, examen psychiatrique, etc.), l’affaire ne peut être jugée immédiatement sans porter atteinte à la qualité du jugement.

Dans ce cadre, le JLD peut ordonner une mesure de sûreté, et le prévenu doit comparaître dans un délai de deux mois maximums. Ce mécanisme constitue une alternative pragmatique entre la comparution immédiate classique et l’ouverture d’une instruction.

D. Les acteurs clés de la comparution immédiate

La procédure de comparution immédiate, en raison de sa nature accélérée et de ses enjeux en termes de privation de liberté, mobilise, comme évoqué supra, plusieurs acteurs judiciaires dont l’intervention est essentielle. 

Trois figures principales y occupent  donc un rôle central : le procureur de la République, l’avocat de la défense et l’avocat de la partie civile.

Le procureur de la République est le chef d’orchestre de la comparution immédiate. Il en déclenche le mécanisme, oriente la procédure et porte l’accusation à l’audience. À lui seul, il incarne l’autorité de poursuite, la direction de l’action publique et le garant, parfois paradoxal, du procès équitable. Il choisit cette voie express en fonction de la gravité des faits, de la solidité des charges et de l’urgence d’une réponse judiciaire. Il requiert ensuite une peine, à l’intersection du maintien de l’ordre public et de la personnalité du prévenu, tout en veillant, en théorie, au respect des droits de la défense.

L’avocat du prévenu, quant à lui, est le garde-fou essentiel face à la rapidité d’une procédure qui peut broyer des droits. Dès le défèrement, il conseille, lit, analyse, demande des délais. À l’audience, il expose les failles du dossier, rappelle les principes fondamentaux, réclame l’équité. Sa parole est la dernière digue face à l’incarcération immédiate.

L’avocat de la partie civile, enfin, redonne une voix à la victime, souvent éclipsée par l’urgence pénale. Il formalise la constitution de partie civile, chiffre les préjudices, plaide pour la réparation. Si l’indemnisation ne peut être immédiate, il obtient le renvoi sur intérêts civils, garantissant à la victime une audience dédiée.

La comparution immédiate est une justice d’impact. Chaque acteur (parquet, défense et partie civile) doit y jouer sa partition avec justesse, sous peine de transformer l’urgence en injustice.

De surcroît, initialement introduit pour permettre de donner une réponse rapide à des faits simples, le recours à la comparution immédiate s’est rapidement généralisé et multiplié, devenant une procédure décriée par de nombreux professionnels et qualifiée de « justice de deuxième classe inacceptable ». Il conviendra dès lors d’étudier les limites de ce mécanisme (III).

III. Une fragilisation dans la protection des droits : limites des garanties de la procédure

A. La désuétude en pratique du caractère exceptionnel de la procédure

 1. Une inflation quantifiable du recours à la comparution immédiate

  Alors que le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL), dans un avis du 25 juillet 2023, préconisait « une baisse du recours à des procédures accélérées telles que la comparution immédiate, principales pourvoyeuses d’incarcération et en particulier de courtes peines » [[3]], son emploi n’a cessé de croître au fil du temps.

Depuis les années 2000, le recours à la comparution immédiate, qui se voulait pourtant à l’origine une procédure d’urgence, a quasiment doublé, passant de 31 213 en 2001 à 60 348 en 2023, représentant à présent près de 10% des poursuites.

Cet usage croissant se justifie d’une part par l’ouverture de la procédure à tous les délits par la loi de 1986 ; elle s’explique d’autre part à raison des politiques pénales successives à visée répressive, qui sont venues faciliter la mise en œuvre de la mesure.

2. Une préférence tendancielle des modes rapides de jugement : conséquences d’une justice répressive

Si la comparution immédiate peut se justifier par le besoin de désengorger les tribunaux et de limiter l’aléa judiciaire en assurant une certaine prévisibilité dans les délais et dans la sentence, celle-ci est également présentée comme un véritable moyen de punir, et cela rapidement. Cela conduit à un résultat non négligeable ; selon Judith Allenbach, juge d’instruction au tribunal judiciaire de Paris et secrétaire permanente du syndicat de la magistrature, une personne déférée en comparution immédiate à huit fois plus de chances d’aller en prison qu’avec un autre mode de procédure.

À compter des années 2000, certains politiques français se mettent à défendre l’usage de la comparution immédiate comme moyen de combattre ce qu’ils décrivent alors comme une montée de l’insécurité au sein de la société. La procédure est alors exposée comme un outil permettant d’effrayer les délinquants afin de prévenir la récidive et de combattre ladite insécurité.

   Il est toutefois important de noter que l’usage d’une justice rapide n’est pas propre à l’État français, en ce que la plupart des pays européens emploient des mesures similaires ces vingt dernières années [[4]].

Perspective comparée – Le code de procédure pénale portugais de 1987 introduit une « procédure sommaire »[[5]], pouvant s’apparenter à notre comparution immédiate française : le mécanisme est restreint aux flagrants délits dont les peines d’emprisonnement encourues sont inférieures à trois ans, à condition que le jugement puisse commencer dans les 48 heures qui suivent le placement en détention. Le délai peut être reporté à trente jours dans certains cas spécifiques ; l’accusé le demande pour préparer sa défense, le tribunal estime que des opérations nécessaires à la manifestation de la vérité doivent être réalisées ou encore que les témoins nécessaires au ministère public ou l’accusé sont absents. S’agissant d’infractions sanctionnées plus lourdement, leurs auteurs sont également jugés selon cette procédure à condition que le ministère public indique ne pas requérir une peine de prison de plus de trois ans. Le choix de maintenir une procédure de jugement rapide aux délits relativement mineurs permet de s’interroger quant à la légitimité en droit français d’élargir de plus en plus le champ d’application dede la procédure. Par ailleurs, le droit portugais a fait le choix d’établir la règle en vertu de laquelle en affaire pénale, le mis en cause doit être représenter par un avocat, visant à assurer « une bonne administration de la justice et un procès équitable respectant le droit de l’accus et l’égalité des armes »[[6]].

  Ainsi, ce tournant répressif qu’adopte la France s’inscrit en réalité dans un contexte mondial notamment, pour certains, à raison d’une influence anglo-saxonne. Certains États décident alors de privilégier une justice moins coûteuse et plus sévère, abandonnant peu à peu l’idée d’une réponse pénale réhabilitatrice. Pour Angèle Christin [[7]], l’évolution de la comparution immédiate, comme pour beaucoup de procédures d’urgence, peut s’attacher à cette analyse.

  Cependant, le fait d’emprunter cette voie interroge sur l’essence même du mécanisme. À force de vouloir assurer une réponse pénale de plus en plus rapide et coercitive, le bilan est sans appel ; depuis la XIXème siècle, « la cible de cette procédure reste constante tout au long de la période : il s’agit de la population urbaine flottante qui manque de garanties sociales et professionnelles » [[8]]. Pour cette raison, la comparution immédiate dispose d’un véritable impact social discriminant ; une catégorie de personnes, qualifiées « d’étrangères » ou appartenant à une des « populations marginalisées » par le CGLPL, fait alors l’objet d’une surreprésentation [[9]], posant ainsi question sur l’instrumentalisation qui semble être faite de ce mécanisme. D’autant plus que certains discours ces dernières années semblent révéler que son usage s’appuie non plus véritablement à l’égard d’infractions, mais à l’égard d’individus, interrogeant sur la garantie d’assurer une justice pénale égale pour tous.

 B. Un exercice précaire des droits de la défense : véritable choix du prévenu ?

Les droits de la défense, essentiels au procès pénal, renvoient à l’ensemble des droits dont bénéficie le mis en cause permettant d’assurer la protection de ses intérêts durant le procès pénal. Ayant acquis une valeur constitutionnelle depuis 2006 [[10]] et connaissant une valeur conventionnelle [[11]], ils comprennent une multitude de garanties, comme le droit pour toute personne d’être informée de la nature et de la cause de l’accusation portée à son égard, ainsi que des droits dont elle bénéficie, le droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation du dossier, ou encore le droit de se défendre soi-même ou avec l’assistance d’un avocat.

  Dans le cadre de la comparution immédiate, ces droits se retrouvent considérablement limités et ce à raison de la rapidité excessive de la réponse pénale, qui vient par conséquent limiter considérablement le temps pour préparer une bonne défense. Cet exercice précaire des droits de la défense se justifie pour certains par le fait que le prévenu a accepté les conditions ; mais est-ce véritablement le cas ?

1. Une ombre au tableau : le risque d’une privation de liberté

A priori, dans le cadre de la comparution immédiate, le prévenu peut être jugé le jour même. Nonobstant, si le tribunal correctionnel ne tient pas audience ce jour, et ne peut ainsi pas être réuni, le procureur de la République a la faculté de traduire l’intéressé devant le juge des libertés et de la détention, lequel pourra décider de statuer, après avoir recueilli les observations du prévenu ou de son avocat, sur les réquisitions du ministère public aux fins de placement en détention provisoire. Le prévenu ne pourra être détenu que durant 3 jours ; au-delà, il sera remis en liberté en l’attente du jugement. Cette procédure constitue ainsi la source principale de placement en détention provisoire ; en effet, près de la moitié des placés en détention provisoire, en 2019, l’étaient dans le cadre de la comparution immédiate. Sur l’ensemble des placements en détention, plus de 37% faisaient l’objet de ladite procédure [[12]]. Cela conduit alors à la situation dans laquelle des personnes, encore présumées innocentes, sont détenues avec celles qui ont été quant à elles condamnées.

La comparution immédiate nécessitant l’accord du prévenu, il est prévu à l’article 397-1 du code de procédure pénale que celui-ci a la possibilité de ne pas consentir à être jugé séance tenante. Dans ce cas de figure, il comparaîtra dans un délai de 4 à 10 semaines, permettant ainsi de pouvoir assurer une bonne défense. Cependant, cette décision du prévenu est à double tranchant ; dans l’attente de l’audience, qui alors doit survenir dans un délai de deux mois, le juge des libertés et de la détention peut ainsi décider de placer la personne en détention provisoire, aux termes de l’article 397-3 dudit code. Le risque d’être maintenu en détention pousse alors beaucoup à se tourner vers la comparution immédiate, au détriment de la possibilité de préparer une défense effective grâce à un temps plus long imparti.

2. Une réalité financière : le contraste entre les coûts de la procédure classique de jugement et celle de la procédure rapide

Cette partie du raisonnement n’est pas sans lien avec ce qui a été évoqué précédemment. Si un bon nombre de prévenus choisissent la voie de la comparution immédiate plutôt que celle de la procédure classique, cela s’explique notamment par les difficultés financières auxquelles certains peuvent être confrontés. Afin que le consentement du prévenu d’être jugé en comparution immédiate, recueilli par le tribunal, soit valable, la présence d’un avocat est alors obligatoire.

La figure du commis d’office fait alors son entrée. Inscrit à l’ordre des avocats du tribunal où se déroule la procédure, ce dernier est désigné par le bâtonnier ou le président d’une juridiction afin de représenter, dans le cadre d’une affaire pénale, une personne n’ayant pas d’avocat ou n’ayant pas la possibilité d’en choisir à raison de l’urgence. Cet avocat est imposé au prévenu, qui peut toutefois formuler une nouvelle demande justifiant les motifs de son refus, pouvant conduire à ce qu’un autre lui soit désigné. Ce dernier doit alors assurer une défense dans un délai très court, avec peu de temps pour s’entretenir avec son client. Ses frais sont totalement ou partiellement pris en charge par l’État français, selon les revenus du prévenu.

Si l’avocat commis d’office est souvent appelé à traiter de comparutions immédiates, celui-ci, comme n’importe quel avocat, doit faire face à un temps très bref, trop bref bien souvent, pour pouvoir s’entretenir et dès lors assurer une véritable défense pour son client.

La procédure est alors devenue, pour certains, « une usine à condamner et à enfermer, à l’issue d’audiences où l’examen des charges et de la personnalité des prévenus est trop souvent bâclé » [[13]], et ce à raison de l’insuffisance de temps pour assurer une défense efficace.

Cependant, afin de pouvoir diriger les prévenus vers d’autres modes procéduraux, encore faut-il que la justice en ait les moyens, ce dont elle manque cruellement aujourd’hui. Celle-ci, tel que l’illustre parfaitement la comparution immédiate, est alors poussée à répondre rapidement et toujours plus que ce qu’elle peut faire réellement.

 IV. L’échec de l’ouverture de la procédure aux mineurs : réaffirmation de la protection des droits de l’enfant

Après plusieurs tentatives antérieures, le Premier ministre Gabriel Attal a confirmé, début 2024, sa volonté d’instaurer une forme de comparution immédiate pour les mineurs de plus de 16 ans, notamment en cas de violences aggravées ou de récidive. Au-delà de l’annonce politique, un texte législatif vient concrétiser  cette volonté. En effet, le 27 mars 2024, l’Assemblée nationale a adopté une proposition de loi instituant la comparution immédiate pour les mineurs récidivistes de plus de 16 ans, pour des délits punis de plus de trois ans d’emprisonnement. Ce texte s’inspire largement de la procédure applicable aux majeurs, en misant sur une réponse pénale immédiate, jugée plus dissuasive et symboliquement forte.

Mais lors de son passage au Sénat, le 28 mai 2025, la réforme a été durcie : les sénateurs ont non seulement confirmé le principe, mais ont également élargi son champ d’application. Désormais, la comparution immédiate serait peut-être/alors possible pour tous les mineurs de 16 à 18 ans en cas de délit puni de plus de trois ans, et même pour les mineurs de 15 à 16 ans, si le délit est passible de plus de cinq ans d’emprisonnement.

Le texte proposé par Gabriel Attal, (ancien Premier ministre à présent devenu député), est adopté définitivement le 19 mai 2025 par le Parlement.

Les 20, 22 et 27 mai 2025, le Conseil constitutionnel est ainsi saisi de la proposition de loi [18] par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs.

Tandis que le Comité des droits de l’Enfant des Nations Unies exhortait en 2023 la France à aligner sa justice pénale des mineurs avec la Convention Internationales des Droits de l’Enfant, la proposition de loi semble complètement aller à l’encontre de cette recommandation.

Justifiée pour certains comme un besoin de lutter contre la délinquance, il n’était ainsi pas possible de clôre notre propos sans se pencher sur cette idée développée ces dernières années qui interroge et divise, que le Conseil constitutionnel a écarté dans sa décision du 20 juin 2025.

A. Le cadre juridique actuelle de la justice pénale des mineures et ses détracteurs 

Le Code de justice pénale des mineurs (CJPM) dispose très clairement à l’article L. 423-5 que : 

« En aucun cas un mineur ne peut être poursuivi par voie de citation directe ou selon les procédures prévues aux articles 393 à 397-7 du code de procédure pénale »  

Le législateur a dès lors expressément exclu cette procédure pour les mineurs, en raison des exigences spécifiques de la justice des mineurs : personnalisation de la peine, primauté de l’éducatif et temps de maturation du jeune.

Cependant, plusieurs initiatives législatives ou dispositifs particuliers ont tenté d’en contourner l’exclusion formelle, en créant des procédures accélérées inspirées de la comparution immédiate.  

En effet, début 2024, en déplacement à Valence dans la Drôme, le Premier ministre Gabriel Attal a confirmé sa volonté d’instaurer une forme de comparution immédiate pour les mineurs de plus de 16 ans, notamment en cas de violences aggravées ou de récidive.  

         La proposition gouvernementale rappelle une procédure qui existait auparavant : la présentation immédiate. Ce mécanisme permettait déjà de traduire rapidement un mineur de 16 à 18 ans devant un juge en cas de flagrance ou de délits passibles d’au moins trois ans d’emprisonnement. Cependant, cette procédure avait été supprimée en 2021 par la loi réformant en profondeur le droit pénal des mineurs. 

À SAVOIR – La réforme de 2021, qui avait abrogé l’ordonnance de 1945, avait pour ambition de rapprocher célérité et respect du développement psychologique du mineur, via la mise en place d’une procédure pénale en deux temps : un jugement rapide sur la culpabilité (dans les trois mois) suivi d’un délai de maturation éducative avant le prononcé de la peine (dans l’année suivante). Cette césure permettait l’instauration de mesures éducatives ou de sûreté pendant l’intervalle (comme une interdiction de contact avec la victime, un placement ou un contrôle judiciaire). 

Parallèlement, une « audience unique » a également été créée, permettant de présenter un mineur en une seule audience lorsqu’il est déjà connu de la justice, un rapport socio-éducatif récent existe et que les faits sont simples et graves.  

Dès lors, aux termes de l’article L. 423-1 du Code de justice pénale des mineurs, il est possible de juger un mineur en une seule audience dans un délai de 10 jours à 3 mois après une phase d’investigation éducative courte. 

Mais cette audience unique reste soumise aux principes éducatifs permettant le basculement vers une procédure classique si nécessaire, et garantit l’intervention de la protection judiciaire de la jeunesse. Ainsi, ce dispositif vise déjà à offrir une réponse rapide dans les cas graves, tout en conservant un cadre plus protecteur. 

Il semblerait dès lors que deux interrogations se posent : 

1. Une première interrogation : procédure adéquate pour le mineur ?

Alors que le principe de la justice pénale des mineurs est de faire primer l’éducatif sur le répressif [19], « il semblerait que ce principe fondamental ait été oublié » [20] pour la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme. 

La Commission souligne que l’accélération des modes de jugement conduit à l’application de peines plus sévères, que ce soit pour les majeurs ou les mineurs, et ne permet dès lors pas la mise en place de mesures éducatives efficaces. Ainsi, elle préconise que tout élement relatif à une forme de comparution immédiate des mineurs ne soit pas adopté, précisément car cette logique entre en contradiction avec le travail de relèvement éducatif, qui permet qu’un espoir subsiste pour le mineur d’évoluer en société.

Alors que le jeune doit être jugé pour les faits qu’il a potentiellement commis, ce dernier doit également être jugé pour ce qu’il est devenu depuis son interpellation grâce au travail éducatif afin de déterminer la meilleure sanction. 

     Il ne va alors sans dire qu’introduire la comparution immédiate au sein de cette justice pénale spéciale reviendrait à piétiner tout espoir d’assurer une réinsertion du mineur au sein de la société, en ce que toute perspective, tout avenir lui serait retiré alors même que ce dernier est encore en phase de construction. Ce qui semble se traduire par un désir de couper le mal à la racine pose sérieusement question sur la justice pénale que la France souhaite offrir à ses citoyens.

   Outre que la mesure est difficilement conciliable avec le fonctionnement actuel de cette justice pénale, la jurisprudence du Conseil constitutionnel prévoit expressément que les juridictions pénales pour mineurs soient constituées d’un juge pour enfants et d’assesseurs spécialisés en la matière. Pour ces ressorts qui peinent déjà à organiser les audiences, il semble en pratique difficile de mettre en place un tel projet.

2. Une problématique troublante : volonté d’effacement de la distinction entre le mineur et le majeur ?

 Dans l’alignement des dernières politiques pénales en date, l’objectif recherché semble limpide : peu à peu, réprimer l’enfant comme l’est aujourd’hui l’adulte.

Dès novembre 2024 [21], le Défenseur des droits alertait sur le fait qu’introduire une procédure de comparution immédiate dans le CJPM ne respectait pas les garanties procédurales dont le mineur bénéficie à raison de sa minorité. Rappelant qu’il existe déjà une procédure de jugement en audience unique rapide qui peut être déployée à titre exceptionnel dans les conditions posées par l’article L.423-4 du Code de la justice pénale des mineurs, l’autorité administrative indépendante estime que les garanties spécifiques et protectrices dont bénéficient le mineur ne peuvent s’écarter face à la comparution immédiate, en ce qu’elles tiennent compte de sa vulnérabilité du mineur, « qui ne peut être assimilé à un adulte ».

     Or, tandis que le CJPM édictait un véritable droit pour le mineur suspecté ou poursuivi dans le cadre d’une procédure pénale à « l’accompagnement et à l’information de ses représentants légaux » dans d’autres cadres de la procédure, le texte prévoit sa suppression en comparution immédiate, posant sérieusement question au regard du caractère d’autant plus répressif de la procédure. 

B. La clôture du débat par le Conseil constitutionnel en juin 2025 

La décision n° 2025-886 DC du Conseil constitutionnel, rendue très récemment le 19 juin 2025, met juridiquement et politiquement un terme à la tentative du législateur d’ouvrir plus largement la voie à la comparution immédiate des mineurs, en censurant les articles 4 et 5 de la loi visant à renforcer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents.

Ces deux articles remettaient en cause l’équilibre de la justice pénale des mineurs tel qu’il résulte du principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) en la matière, affirmé par le Conseil depuis sa décision du 29 août 2002 (décision n° 2002-461 DC). Ce principe impose que la réponse pénale soit adaptée à la situation particulière des mineurs, avec une priorité donnée à leur relèvement éducatif et moral, une réponse individualisée, et des procédures appropriées.

L’article 4 permettait au procureur de la République, dans le cadre d’un défèrement, de soumettre un mineur de plus de seize ans à une procédure de comparution immédiate en audience unique, à condition que celui-ci encourt une peine d’au moins trois ans d’emprisonnement et qu’il ait déjà fait l’objet de certaines mesures (éducatives, judiciaires ou répressives). Cette disposition introduisait donc une voie dérogatoire à la procédure de mise à l’épreuve éducative, pilier de la justice des mineurs, en autorisant un jugement rapide sans le temps d’observation ni d’accompagnement éducatif préalable.

Larticle 5, de son côté, abaisse les seuils de recours à cette audience unique, aujourd’hui limitée à des infractions graves. Concrètement, le seuil de recours à cette procédure passait de cinq à trois ans d’emprisonnement pour les mineurs de 13 à 16 ans, et de trois à un an pour les mineurs de plus de 16 ans. 

Ce double abaissement étend considérablement le champ d’application de la comparution immédiate, rendant possible une réponse pénale rapide pour un grand nombre d’infractions de moindre gravité, sans égard suffisant pour la personnalité et la situation individuelle du mineur. 

Le Conseil constitutionnel a ainsi rappelé avec force que la justice pénale des mineurs ne peut être calquée sur celle des majeurs, et que toute mesure dérogatoire telle que la comparution immédiate doit être strictement justifiée, proportionnée, et assortie de garanties procédurales adaptées à l’âge et à la personnalité du mineur. 

Par cette censure, le Conseil constitutionnel met fin à une tentation récurrente de durcissement procédural, en réaffirmant la spécificité du droit pénal des mineurs. La décision vient ainsi clôturer le débat juridique sur l’extension de la comparution immédiate aux mineurs, du moins en l’état du droit constitutionnel, en posant des limites fermes aux possibilités de dérogation à la procédure de mise à l’épreuve éducative.  

Mots de la fin …

La comparution immédiate, telle qu’elle est appréhendée ces vingt dernières années, fait couler beaucoup d’encre, et à juste titre ; entre fragilisation du respect des droits humains et implantation d’une justice à deux vitesses, le mécanisme ne peut se maintenir légitimement sans que soit opéré une grande réforme de profondeur. Envisager d’abandonner ce modèle pour en imaginer un autre ne semble plus si dérisoire.

Dans cette volonté de désengorger nos juridictions résultant du manque de moyens auquel doit faire face notre justice, le traitement accéléré du contentieux conduit à ce que l’idéal tendant à assurer une justice égale pour tous•es passe à la trappe.

Par conséquent, envisager de refermer la boîte de Pandore ne semble pas caractériser une absurdité ; revenir à une procédure limitée aux délits flagrants et introduire de véritables garanties pour assurer que les droits de la défense du prévenu ne soient pas bafoués. Prendre en considération la tendance d’une majeure partie des concernés à privilégier cette voie à raison de l’effet pervers de son refus (une mise en détention) et du souci financier que certains rencontrent semble indispensable.

Cependant, cette perspective ne semble pas concorder avec celle adoptée par les politiques pénales menées récemment, comme l’illustre parfaitement cette volonté croissante d’ouvrir la procédure aux mineurs qui se précise d’années en années.

Notes :

 [1] 26 février 1991, chambre criminelle de la Cour de cassation : écoulement d’un délai de 24 heures/18 avril 1998, chambre criminelle de la Cour de cassation : écoulement d’un délai de 28 heures.

[2]  Loi 86-1019 du 09/09/1986 relative à la lutte contre la criminalité et la délinquance.

[[3]] Avis du 25 juillet 2023 relatif à la surpopulation et à la régulation carcérales, Journal Officiel 14/09/2023

[[4]]  « 2. Des flagrants délits à la comparution immédiate », Comparutions immédiates – enquête sur une pratique judiciaire, Angèle Christin, Cairn, 20/10/2011 : En Espagne, une procédure apparue en 2003 permet de juger dans les deux semaines les flagrants délits qui encourent une peine inférieure à cinq ans.

[[5]] « Les procédures pénales accélérées », Les Documents de travail du Sénat, série « Législation comparée », No.LC146, 2005

[[6]] Arrêt « Correi de Matos c. Portugal », CEDH, 2018

[[7]] « 2. Des flagrants délits à la comparution immédiate », Comparutions immédiates – enquête sur une pratique judiciaire, Angèle Christin, Cairn, 20/10/2011

[[8]] idem que  [5]

[[9]] Avis du 25 juillet 2023 relatif à la surpopulation et à la régulation carcérales, Journal Officiel 14/09/2023

[[10]] Décision du 2 février 2006, Conseil constitutionnel : ils sont rattachés à l’article 7 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DHHC).

[[11]] Article 6§3 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (CESDH)

[[12]] Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, N°50, Site du Ministère de la Justice

[[13]] « Les comparutions immédiates, exception procédurale française, représentant une justice de deuxième classe inacceptable », tribune par l’Union des jeunes avocats de Paris, Le Monde 9 septembre 2023

[[14]] Proposition de loi visant à renforcer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents

[[15]] Principe Fondamental Reconnu par les Lois de la République (PFRLR) dégagé dans une décision du 29 août 2002 (n°2002-461 DC) du Conseil constitutionnel et qui comprend trois éléments : la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité/les mesures sont prononcées par une juridictions spécialisée ou selon les procédures appropriées/ la responsabilité pénale du mineur est atténuée en fonction de son âge au moment de la commission des faits.

[[16]] « PPL Justice des mineurs : la CNCDH s’inquiète », Actualités CNCDH, 17 mars 2025

[[17]] Avis au Parlement du Défenseur des droits sur la proposition de loi « visant à restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents », 21 novembre 2024

[18] Proposition de loi visant à renforcer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents

[19] Principe Fondamental Reconnu par les Lois de la République (PFRLR) dégagé dans une décision du 29 août 2002 (n°2002-461 DC) du Conseil constitutionnel et qui comprend trois éléments : la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité/les mesures sont prononcées par une juridictions spécialisée ou selon les procédures appropriées/ la responsabilité pénale du mineur est atténuée en fonction de son âge au moment de la commission des faits.

[20] « PPL Justice des mineurs : la CNCDH s’inquiète », Actualités CNCDH, 17 mars 2025

[21] Avis au Parlement du Défenseur des droits sur la proposition de loi « visant à restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents », 21 novembre 2024

En censurant ces dispositions, le Conseil a estimé qu’elles méconnaissaient la nécessaire exceptionalité de ce type de procédure, en ce qu’elles n’étaient pas suffisamment encadrées, ni réservées à des cas d’une gravité particulière.

Sources :

–              « Célérité et justice pénale : l’exemple de la comparution immédiate », Camille Viennot, Cairn

–              Histoire des comparutions immédiate (1). Origines, 21 janvier 2022, la Selette, le Club de Médiapart

–              Histoire des comparution immédiates (2) Généralisation, 16 juin 2021, LaSellette

–              « Introduction », Comparutions immédiates, Angèle Christin, Cairn, 2011

–              AJ Pénal 2025 p.219 : « Comparution immédiate : fallait-il vraiment rendre applicable aux mineurs ce que le droit pénal des majeurs connaît de pire » Solène Debarre et Charlotte Tenenhaus

–              « Comparution immédiate : une procédure pénale de plus en plus utilisée », Vie publique – Au cœur du débat public, 6 mars 2025, la Rédaction

–              « 2. Des flagrants délits à la comparution immédiate », Comparutions immédiates – enquête sur une pratique judiciaire, Angèle Christin, Cairn, 20/10/2011

–              « Les comparutions immédiates, exception procédurale française, représentant une justice de deuxième classe inacceptable », tribune par l’Union des jeunes avocats de Paris, Le Monde 9 septembre 2023

–              « Comparution immédiate » – Octobre 2024, Fiches d’orientation, DALLOZ

–              « Épisode 2 – La comparution immédiate, une justice à coût bas », Marthe Chalard-Malgorn, Bondyblog, 18/11/2024

–              « Comparution immédiate : fallait-il vraiment rendre applicable aux mineurs ce que le droit pénal des majeurs connaît de pire ? », Solène Debarre et Charlotte Tenenhaus, AJPénal, DALLOZ

–              « Justice des mineurs : le projet de comparution immédiate attire les foudres du monde de la justice », Radio France, 12 février 2025

–              « PPL Justice des mineurs : la CNCDH s’inquiète », Actualités CNCDH, 17 mars 2025

–             Avis au Parlement du Défenseur des droits sur la proposition de loi « visant à restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents », 21 novembre 2024

– « Comparution immédiate » et “Justice pénale des mineurs, proposition de loi Attal” , Service public 

– « Comparution immédiate : une procédure pénale de plus en plus utilisée », Vie publique

– Dictionnaire latin ; site Dicolatin

– “Fonctions des mesures de sûreté”, La grande bibliothèque du droit 

– “Justice des mineurs : le Sénat vote la comparution immédiate de plus de 15 ans”, Public Sénat

– Communiqué de presse du Conseil constitutionnel sur la décision n° 2025-886 DC du 19 juin 2025 : https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2025-886-dc-du-19-juin-2025-communique-de-presse

Inès PERREAU–APPLETON, Trésorière de l’ADHS

Sharlaine SAOUDI, Responsable du pôle pénal de l’ADHS

Laisser un commentaire