Introduction
« Un viol est un viol ! » rétorquait Gisèle Pélicot, le 18 septembre 2024, lorsqu’il lui a été demandé de répondre au commentaire de la veille d’un avocat de la défense, qui soutenait quant à lui qu’« il y a viol et viol, et, sans intention de le commettre, il n’y a pas viol ».
Le procès, dénommé par la presse « des viols de Mazan », a pour ainsi dire secoué le pays tout entier, et l’a véritablement mis face au sujet qu’il ne semblait pas vouloir aborder : faut-il ou non ajouter, dans la loi pénale française, la notion de consentement, et conduire ainsi à sa véritable redéfinition ?
« Redéfinir » renvoie à un exercice fastidieux auquel doit se lancer la loi pénale lorsqu’il est nécessaire ; il s’agit de l’action de changer, de reformuler le contenu d’une définition déjà établie lorsque, en réalité, celle-ci ne convient plus aux mœurs d’une société.
La notion du consentement sexuel, aujourd’hui absente, du moins expressément, dans les textes de la législation nationale, peut classiquement se définir comme la situation dans laquelle une personne accepte volontairement de participer à un rapport sexuel. Si cette conception semble avoir été amplement acceptée à l’échelle mondiale, la France traînait encore du pied il y a peu pour en faire de même, et ce alors qu’elle avait souscrit à des obligations internationales en la matière. Cependant, après une mission d’information lancée fin 2023, le Parlement français commence à s’activer. Le 13 février 2024, des députés déposaient un texte qui prévoyait d’intégrer expressément la notion de consentement dans la définition pénale des infractions d’agression sexuelle et de viol. À nouveau, le 15 octobre 2024, une autre proposition était déposée, et dans le rapport de la commission, le troisième paragraphe renvoyait expressément à l’affaire en cours. Aucune de ces propositions ne furent pour autant adoptées.
Mais voilà que le verdict est rendu le 19 décembre 2024 par la cour criminelle départementale du Vaucluse ; les 51 accusés sont reconnus tous coupables de viols ou de tentatives de viols. L’argument de la défense, qui s’appuyait pour une grande majorité des accusés sur une absence d’intentionnalité de leurs clients, n’a pas primé sur le défaut manifeste du consentement de Gisèle Pélicot. Or, tout fait divers irrigue la création de nouveaux textes parlementaires.
Le législateur reprend alors sa plume et se hâte de proposer un texte de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, qui conduirait dans cette optique à une refonte des articles 222-22, 222-22-1, 222-22-2 et 222-23 du Code pénal. Dès le 21 janvier 2025, la proposition est déposée à l’Assemblée nationale ; la Présidente de la chambre saisit le Conseil d’État qui, le 6 mars 2025, rend un avis favorable. Le 1er avril 2025, l’Assemblée nationale adopte la proposition, le texte est alors envoyé au Sénat et s’y trouve toujours depuis.
Afin d’appréhender l’importance d’une redéfinition du consentement sexuel, il conviendra d’établir sa genèse (I.), sa conception au sein d’autres législations étatiques en droit international (II.) et en droit pénal français (III.). Il s’agira, une fois le contexte historique et son paysage actuel établis, de saisir tout l’enjeu d’une telle entreprise à travers les difficultés soulevées au procès de Gisèle Pélicot (IV.).
I- Genèse de la notion de consentement sexuel en droit pénal interne français
La notion de consentement sexuel, aujourd’hui au cœur des débats sociétaux, n’a acquis une visibilité juridique et médiatique que récemment. Elle s’est imposée avec force notamment à la suite du procès dit des « viols de Mazan », ravivant une interrogation majeure : la loi protège-t-elle suffisamment les victimes de violences sexuelles ? Faut-il inscrire explicitement la notion de consentement dans le Code pénal ?
Avant d’examiner ces enjeux contemporains, il convient de retracer l’histoire et les fondements de cette notion complexe.
A) Une absence historique du consentement sexuel dans la Rome Antique
En regardant brièvement l’histoire de la sexualité dans l’Antiquité notamment sous l’Empire romain, le crime de viol, tel qu’entendu aujourd’hui, n’existait pas en tant que tel.
En 326, l’empereur Constantin promulgue un édit, la « lex Julia de adulteriis », qui condamne le rapt, défini non pas comme une atteinte à la volonté de la femme, mais comme un vol : celui de la chasteté, propriété de son père ou de son mari.
L’infraction vise dès lors la lésion d’un droit paternel ou marital, et non une atteinte à l’intégrité physique ou morale de la femme elle-même. Le consentement sexuel, dans ce contexte, était juridiquement inexistant, il était seulement question du préjudice de la perte subi par les hommes l’entourant.
Cette absence de reconnaissance préfigure une longue tradition patriarcale où la sexualité féminine est régie par l’autorité masculine, sans considération pour la volonté de la principale concernée.
B) Le devoir conjugal sous l’Ancien régime : un consentement nié
Sous l’Ancien Régime, le mariage constitue la seule structure socialement et juridiquement admise, et permet d’encadrer les relations sexuelles. Toutefois, ce cadre ne garantit nullement la liberté sexuelle de l’épouse.
Le « devoir conjugal », issu du droit canonique, impose aux deux époux d’avoir des relations sexuelles régulières à des fins de procréation. La notion de consentement, ici encore, est éclipsée au profit d’une obligation contractuelle implicite.
Dans cette société profondément patriarcale, le refus de la femme n’est ni juridiquement reconnu, ni socialement toléré. Ce devoir perdure dans une certaine mesure aujourd’hui : la Cour de cassation a encore rappelé, dans un arrêt du 17 septembre 2020, que le manquement au devoir conjugal peut justifier un divorce pour faute. Cette position a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt du 23 janvier 2025, estimant qu’une telle obligation méconnaît la liberté de disposer de son corps et les obligations des États cocontractants en matière de lutte contre les violences sexuelles. Ce sujet est ainsi toujours d’actualité.
Certains penseurs des Lumières, comme Jean-Jacques Rousseau, s’opposent à cette conception et conseillent aux époux de devenir amants afin d’avoir une vie sexuelle épanouie. Dans la « Lettre à d’Alembert », ce dernier insiste sur la nécessité du consentement explicite : « Ce n’est pas encore assez d’être aimé ; il faut de plus le consentement de la volonté. ». Il adopte ici une conception de consentement tacite, dans laquelle l’homme devrait être capable de comprendre dans le comportement de la femme que celle-ci ne dispose pas de la liberté de dire « oui » et devrait ainsi se retirer. Il pose ainsi les prémices d’une responsabilité masculine face à l’asymétrie de communication dans les rapports hommes-femmes. Le viol, pour Rousseau, est ainsi l’acte commis sans ce consentement librement exprimé, notion qui s’enracine dans la philosophie stoïcienne : le consentement est alors vu comme l’assentiment volontaire à un ordre ou à une situation, « l’assentiment à un ordre qui dépasse l’être humain, qu’il n’a pas le pouvoir de changer, et vis-à-vis duquel il n’a qu’une liberté d’acceptation ».
Outre sa dimension sexuelle, la notion de consentement se retrouve dans de nombreuses branches du droit, notamment en droit des contrats où elle constitue un fondement essentiel. Dans ce cadre, il s’agit d’une notion issue de la pensée libérale, fondée sur l’autonomie et l’égalité des parties. Or, cette conception contractualiste du consentement, telle que l’analyse Johanna Lenne-Cornuez, rend difficile sa transposition dans la sphère sexuelle. En effet, si le contrat suppose une rencontre équilibrée de volontés entre individus juridiquement égaux, le consentement sexuel, lui, se construit dans un contexte souvent marqué par des rapports de pouvoir, des pressions psychologiques, ou des normes sociales implicites.
Cette fragilité tient au fait que le consentement sexuel ne peut être pleinement compris que s’il est envisagé selon les seules catégories du droit des obligations. Transposer mécaniquement cette logique dans la sphère intime revient à ignorer les multiples contraintes invisibles qui peuvent peser sur la volonté d’une personne : dépendance affective, pression sociale, peur de la violence, ou encore intériorisation de normes patriarcales.
De surcroît, dans le droit contractuel, l’expression du consentement produit un effet juridique : il confère à l’autre partie un pouvoir, une légitimité à exiger l’exécution du contrat. Se pose alors une question fondamentale : le consentement suffit-il, en lui-même, à légitimer un accord ? L’histoire du droit semble proférer un tout autre enseignement. Certains juristes du XVIIe siècle ont ainsi justifié l’esclavage en invoquant un consentement supposé des esclaves. Pufendorf, à titre d’illustration, considère que le contrat d’esclavage pouvait être valide si l’individu y consentait en échange de sa subsistance. Un tel raisonnement démontre comment, vidé de ses conditions de liberté réelle, le consentement peut devenir un simple habillage juridique de rapports de domination.
Appliqué à la sexualité, ce constat révèle toute la complexité de la notion. Le consentement sexuel ne saurait se réduire à une manifestation formelle de volonté : il doit s’ancrer dans un contexte de liberté, d’égalité et de sécurité. Or, ces conditions sont souvent absentes dans les relations où s’exercent des formes de domination ou de pression, qu’elles soient explicites ou implicites. C’est précisément cette dimension qui rend l’appréhension juridique du consentement sexuel à la fois indispensable et délicate.
C) La tardive inscription de la notion de viol dans le Code pénal français
Il faut attendre un exercice de codification, celui du Code pénal de 1791, afin que le viol soit expressément mentionné en droit français. Pourtant, aucune définition n’en est alors donnée. L’infraction est punie de dix ans de fers, jusqu’à douze ans si la victime est mineure ou si plusieurs auteurs sont impliqués. En pratique cependant, les juges préfèrent alors renvoyer ces affaires devant les tribunaux correctionnels plutôt que les cours d’assises, considérant les violences sexuelles comme de simples atteintes aux mœurs, et atteintes à la pudeur.
La notion de consentement n’est pas encore intégrée dans la loi. Toutefois, les victimes doivent prouver qu’elles ont crié, résisté ou tenté d’échapper à l’agresseur. Cette exigence traduit une reconnaissance implicite du non-consentement. Mais ce cadre probatoire est terriblement lacunaire. Il ignore la sidération psychique que subissent nombre de victimes et impose une preuve souvent impossible à rapporter, reposant sur des stéréotypes tels que la déchirure de l’hymen. Cette approche archaïque est non seulement inadaptée, mais se révèle aussi injuste pour les victimes.
D) La reconnaissance du viol en tant que crime autonome
Ce n’est qu’à compter de la loi du 23 décembre 1980 que le viol est véritablement défini comme : « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. » Il est puni de 5 à 10 ans de réclusion criminelle. Cette avancée majeure rompt avec la vision restrictive du viol comme simple « coït ». Elle élargit le champ des comportements incriminés et neutralise les considérations de sexe ou de genre des parties.
L’article 222-22 du Code pénal, introduit par la loi du 4 avril 2006, précise désormais qu’une agression sexuelle est caractérisée par toute atteinte sexuelle commise dans les mêmes conditions (violence, contrainte, menace ou surprise), même en l’absence de pénétration. Ainsi, la loi fait désormais la distinction entre un viol et une agression sexuelle. Cette différence repose sur l’existence ou non d’un acte de pénétration et permet une qualification juridique plus précise des faits.
Ces évolutions sont le fruit d’un long combat, notamment celui du Mouvement de libération des femmes (MLF), qui a organisé de nombreuses manifestations afin de faire du viol un crime reconnu par les tribunaux et par le législateur, appuyé par l’avocate Gisèle Halimi. Cette dernière, fervente défenseuse des droits des femmes, sera la première à militer pour qu’un procès relatif à deux accusés de viol soit rendu public. En effet, Le procès d’Aix-en-Provence (1978), dans lequel elle participa, fut un tournant historique : en rendant publiques les audiences, elle rompt avec le traitement honteux et silencieux du viol. La médiatisation de ce procès a contribué à faire reconnaître le viol non comme une atteinte aux bonnes mœurs, mais comme un crime de domination. Halimi affirmait à ce propos : « En matière de viol, nous, dans notre mouvement, nous tenons à la publicité des débats parce que nous pensons que la femme victime ne doit pas se sentir coupable et qu’elle n’a rien à cacher ».
La loi du 4 avril 2006 poursuit cet effort de protection prodigué dans la loi de 1980 en reconnaissant les violences sexuelles au sein du couple, et ce en élargissant le champ d’application de la circonstance aggravante pour les couples pacsés et concubins. La loi lutte également contre le mariage forcé, et aligne l’âge légal du mariage à 18 ans aussi bien pour les filles que pour les garçons. Elle s’inscrit dans une volonté de prise en considération des contextes de domination affective et sociale dans lesquels ces violences s’exercent.
Si la notion de viol a connu une évolution substantielle au fil des siècles, le consentement sexuel, lui, reste encore aujourd’hui absent du Code pénal en tant que notion autonome. Sa reconnaissance sociale, largement due au mouvement #MeToo, a pourtant changé la perception publique du phénomène. Le débat actuel, relancé par des affaires judiciaires très médiatisées, met en lumière la nécessité d’une réforme plus explicite et protectrice. Inscrire le consentement au cœur du droit pénal serait ainsi une étape décisive dans la reconnaissance pleine et entière de l’autonomie sexuelle des individus.
Les enjeux liés au consentement ne sont ni exclusivement français, ni exclusivement contemporains. La manière dont les systèmes juridiques étrangers appréhendent cette notion, ainsi que les normes internationales qui encadrent les droits sexuels et reproductifs, permettent de mieux situer les avancées mais aussi les lacunes du droit pénal français.
C’est dans cette optique que s’ouvre la seconde partie de cette étude, consacrée à l’analyse du consentement sexuel dans une perspective comparée et internationale.
II. Le consentement sexuel dans une perspective comparée (et internationale)
Afin d’appréhender tout l’intérêt d’une nouvelle définition pénale du viol en droit français, il convient naturellement de se pencher sur les conceptions adoptées au sein d’autres législations, mais également d’établir les obligations internationales de la France sur le sujet.
Focus sur le droit pénal suédois – Le 23 mai 2018, à la suite d’un travail de réflexion entre différents corps professionnels et d’un examen approfondi par les différentes institutions judiciaires, le Parlement suédois adopte une loi qui a modifié de manière substantielle la définition du viol.
Ainsi, aux termes de l’article 1 chapitre 6 du Code pénal suédois, le viol se définit comme un acte sexuel « avec une personne qui n’y participe pas volontairement ». L’article poursuit en précisant que « lors de l’évaluation du caractère volontaire ou non d’une participation, il convient d’examiner en particulier si le caractère volontaire a été exprimé par des paroles, des actes ou d’autres manières. »
La loi suédoise adopte ainsi une vision dans laquelle le consentement lors de relations sexuelles doit être positif, s’établissant alors par des éléments concrets, de telle sorte qu’il est possible de caractériser une véritable prise de position de la part de la victime s’agissant de sa volonté de participer.
À côté de cette redéfinition, placée sous le joug du consentement actif, le Parlement suédois a introduit deux autres notions : le « negligent rape » (viol par négligence) et le « negligent sexual abuse » (abus sexuel par négligence). Selon les termes de l’article précité, quiconque commet un acte mentionné à l’article 1 et fait preuve de négligence, en ce qui concerne le fait que l’autre personne ne participe pas volontairement, est condamné pour viol par négligence à une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de quatre ans. Si cette appréhension de la négligence se caractérise en droit suédois comme celle de ne par avoir recherché le consentement de son partenaire, Audrey Darson, professeure de droit pénal à l’Université Paris-Nanterre dans l’article « Le modèle suédois peut-il inspirer le droit français », établit qu’en raison de l’élément moral qui constitue un point central dans la qualification de l’infraction dans notre droit national, une transposition littérale du viol par négligence, tel qu’envisagé par le droit suédois, lui semble invraisemblable. Une telle transposition conduirait à une redéfinition de l’élément moral de l’infraction, qui ne pourrait en réalité pas s’opérer sans se heurter aux principes fondamentaux de légalité des délits et des peines, et de la personnalisation de la responsabilité, qui conduisent à établir de manière prévisible différents degrés de répression selon la qualification de l’infraction.
Toutefois, la professeure relève la pertinence de cette conception légale d’un consentement positif en droit pénal français.
Focus sur le droit pénal canadien – En 1992, le ministre de la Justice Kim Campbell dépose le projet de loi C49, relatif à la nature de la preuve dans les procès pour violences sexuelles, et propose une nouvelle définition du consentement, reprise à l’article 273.1 (1) du Code criminel canadien ; le consentement se définit ainsi comme l’accord volontaire, continu et affirmatif pour s’engager dans tout type d’activité en question.
Le Canada rompt ainsi avec la conception antérieure, celle d’un consentement qui serait tacite. Par conséquent, la soumission ou la passivité ne peuvent permettre de déduire l’existence du consentement au sens de la loi.
Effectivement, il n’existe ainsi pas de présomption de consentement à raison du silence ou de l’état de la victime. Dans un grand arrêt, « R. v. Ewanchuk » de 1999, ayant permis d’affirmer cette nouvelle définition, la Cour Suprême canadienne rejette la théorie du consentement tacite qui se déduirait de l’absence de résistance de la part d’une victime.
L’article 273.1 (1.1) dudit Code précise que ce consentement doit être concomitant à l’activité sexuelle et permanent ; ainsi, le législateur canadien, à compter de 1992, conçoit cette volonté comme n’étant pas gelée à tout jamais dans le temps ; au cours d’une relation sexuelle, l’un des partenaires peut en effet arrêter cette activité s’il n’a plus la volonté de la poursuivre.
Dans la continuité de l’arrêt précité, la décision « R. c. J.A » de la Cour Suprême du Canada en 2011 affirme que le plaignant donne un consentement réel et actif à chaque étape de l’activité sexuelle, ce qu’une personne inconsciente est incapable de faire, même si elle exprime à l’avance son consentement.
En prenant en considération les deux définitions faites du viol par les droits canadien et suédois, non seulement le consentement doit être manifeste, mais celui-ci doit exister tout au long de l’acte.
Une nouvelle définition de cette infraction permettrait à la France de concevoir des situations comme étant aujourd’hui perçues, par de nombreuses législations étatiques, comme des viols.
Focus sur la Convention d’Istanbul – Signée en 2011 et entrée en vigueur en 2014, la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique établit, en son article 36§2, que « le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes ».
Résultant d’une série d’initiatives du Conseil de l’Europe dès les années 1990, elle fut le fruit du travail d’un groupe d’experts, le Comité ad hoc pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, créé en 2008 par le Comité des ministres.
La conception du consentement retenue par le texte s’analyse ainsi comme un élément à part entière qui ne peut se déduire, se présumer, se « deviner » ; le partenaire doit décider de l’accorder et cela « librement ». Cette définition prend par conséquent en considération des hypothèses dans lesquelles une personne serait contrainte de l’exprimer sans en avoir eu la volonté.
La France, l’ayant pourtant ratifiée le 4 juillet 2014, n’a cependant pas suivi le mouvement des autres États signataires et n’a dès lors pas modifié sa législation afin qu’elle soit en conformité avec la Convention. En effet, en novembre 2019, le Comité d’experts, chargé de veiller à la bonne application de la Convention par les États parties, dresse un premier rapport sur la mise en œuvre de la Convention par la France.
Ce rapport, outre qu’il souligne des lacunes s’agissant de la protection des victimes, met également en évidence que la définition des agressions sexuelles et du viol établie en droit pénal français ne repose pas sur l’absence du consentement libre, mais requiert plutôt le recours à la contrainte, violence, menace ou surprise, ne répondant ainsi pas aux situations de violence prévue par la Convention. En outre, le rapport souligne l’absence d’un changement de paradigme visant à centrer le consentement dans la définition, et invite ainsi les autorités françaises à se saisir de la question.
Aujourd’hui, la conception retenue de cette infraction en droit interne est objectivement inconforme avec la Convention d’Istanbul. Par conséquent, une redéfinition du viol permettrait également à l’État français de prendre les mesures attendues au regard de ses engagements internationaux de « se ranger du côté de ces pays qui ont déjà franchi ce pas important » (rapport du GREVIO de 2019).
Mention succincte du rejet par la France d’une incrimination du viol à l’échelle européenne – En 2023, alors qu’un projet de directive de l’Union européenne entendait inclure au sein des législations nationales la notion du consentement dans les définitions des Vingt-Sept, la France s’y oppose, conduisant à son abandon dans le texte final adopté en 2024. Pour l’État français, l’Union européenne n’est pas compétente en matière pénale sauf pour les eurocrimes visés à l’article 83 du TFUE.
La viol, selon la position française, ne rentrerait pas dans le crime « d’exploitation sexuelle », expressément prévu à l’article précité. Par conséquent, une définition commune du viol, harmonisant ainsi des sanctions à l’échelle européenne, soulèverait un défaut de base juridique et conduirait à son inapplication.
Peu de temps après cette prise de position par la France, des parlementaires s’attellent à proposer une réécriture des définitions du viol et des violences sexuelle en général, en prenant cette fois-ci en considération comme élement essentiel le consentement sexuel.
Il y a lieu, avant de se concentrer sur l’enjeu futur de cette réécriture, d’établir la définition actuelle du consentement sexuel en droit pénal français.
III. La définition actuelle du consentement sexuel en droit français
A. Une définition implicite : la centralité de la contrainte dans la qualification pénale
En droit français, le consentement sexuel ne fait l’objet d’aucune définition autonome dans le Code pénal. Il est appréhendé indirectement à travers la caractérisation des infractions sexuelles prévues aux articles 222-22 à 222-33.
Ainsi, le viol est défini à l’article 222-23 comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. » Cette formulation, issue de la loi du 23 décembre 1980, repose moins sur l’absence de consentement que sur l’usage de moyens coercitifs.
Dans cette logique, l’absence de consentement ne suffit pas à caractériser l’infraction : il faut prouver que l’acte sexuel a été obtenu par un moyen illégitime. Ce cadre juridique induit une présomption de consentement, dès lors qu’aucun élément de violence manifeste n’est constaté.
Le droit pénal français continue de conditionner la reconnaissance d’une agression ou d’un viol à la manifestation d’une résistance identifiable.
B. Les zones d’ombre de la législation actuelle : le consentement par défaut
Malgré que notre droit pénal ait évolué, notamment avec les lois du 3 août 2018 et du 21 avril 2021, en intégrant des situations plus variées (comme les actes bucco-génitaux ou les relations entre majeurs et mineurs), la logique sous-jacente reste inchangée : la victime doit démontrer qu’elle n’a pas consenti.
Cette approche crée une « zone grise » juridique où l’absence de réaction peut être interprétée comme une forme de consentement tacite. Or, les mécanismes de sidération, reconnus par les experts en victimologie, sont fréquents lors des agressions sexuelles. Paralysie, dissociation, impossibilité de fuir ou de s’opposer verbalement : autant de réactions invisibles mais réelles, difficilement recevables sans preuves matérielles.
Cette situation contribue à entretenir une forme d’injustice structurelle, dans laquelle le non-consentement est difficilement audible, car il ne s’accompagne pas nécessairement d’une réaction visible.
En 2020, 112 000 personnes majeures ont déclaré avoir été victimes de viol ou de tentative de viol en France, dont 94 000 femmes. Pourtant, seules 4 577 personnes ont été poursuivies pour viol cette même année. Parmi elles, 683 ont été condamnées, dont 673 hommes, soit 14,7 % des viols enregistrés par les services de police. Rapporté à l’ensemble des viols déclarés chaque année, cela représente à peine 0,6 %, soit moins de 1 % des auteurs identifiés et condamnés.[1]
Dans la majorité des cas, les procédures sont classées sans suite, requalifiées en agression sexuelle ou abandonnées faute de preuves. Cette requalification systématique des viols en infractions moins graves constitue ce que l’on appelle la correctionnalisation.
Ce phénomène désigne le choix fait par le parquet de poursuivre un viol devant le tribunal correctionnel, en le requalifiant en agression sexuelle, infraction jugée moins sévèrement que le viol, qui relève normalement d’une cour d’assises. Il s’agit d’une pratique largement répandue, souvent justifiée par la difficulté à établir les éléments constitutifs du viol, en particulier l’un des moyens prévus par la loi : violence, menace, contrainte ou surprise.
La correctionnalisation a de lourdes conséquences. Elle tend à minimiser la gravité des faits et réduit la portée symbolique de la reconnaissance. Cette réalité démontre combien le cadre juridique actuel échoue à protéger les victimes et à sanctionner les auteurs.
L’avocate Khadija Azougach illustre cela par le cas d’une cliente sidérée, incapable de dire « non » : « une cliente qui, lors de son procès (…) craignait que l’on ne la croie pas, car elle ne portait aucune trace visible de violence. Depuis son plus jeune âge, elle avait été influencée par une représentation biaisée des agressions sexuelles véhiculée par les films et son entourage, pourtant censé être protecteur, qui lui répétait que puisqu’elle n’avait pas dit « non » et n’avait pas été frappée, il ne pouvait s’agir d’un viol. Pourtant, elle avait subi plusieurs viols, sans jamais pouvoir exprimer verbalement son refus, piégée dans un état de sidération totale. Son comportement instinctif de survie face à son agresseur, qui exerçait une autorité sur elle, était difficile à expliquer aux jurés, tant il allait à l’encontre des stéréotypes de la victime idéale. »
Le fardeau de la preuve, essentiellement à la charge des plaignant·es, rend l’accès à la justice extrêmement difficile.
Par ailleurs, une application inégalitaire sur le territoire est à notifier, voire au sein d’une même juridiction, car certaines décisions reconnaissent la sidération comme un élément d’absence de consentement, tandis que d’autres exigent encore une preuve de contrainte physique, ce qui nourrit une insécurité juridique préjudiciable aux victimes.
C. Critiques doctrinales et appel à une réforme structurelle
Face à ces constats, la doctrine juridique appelle à une réforme en profondeur.
Les instances internationales, notamment le comité GREVIO dans son rapport de 2019[2], rappelle que la France ne se conforme pas entièrement à l’article 36 de la convention d’Istanbul[3]. Ce rapport souligne à quatres reprises l’importance de la prise en compte du consentement pour les infractions de violences sexuelles, y compris en matière de viol conjugal.
Dans son arrêt du 23 janvier 2025[4], la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la France pour avoir admis, dans une procédure de divorce, que le refus de rapports sexuels constituait une faute. Cette décision a réaffirmé le droit fondamental à la liberté sexuelle et corporelle, et l’obligation pour les États de prévenir les violences sexuelles.
Des parlementaires comme Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin dénoncent également l’insuffisance du texte actuel, qui ne permet pas de prendre en compte des situations pourtant fréquentes comme la sidération ou la peur paralysante. Si la notion de surprise permet de couvrir les cas où la victime était dans un état de semi-conscience (alcool, stupéfiants, endormie), ce n’est pas le cas de la sidération. « Le consentement est d’ores et déjà au cœur du débat judiciaire, alors même qu’il n’est pas un des éléments constitutifs de l’infraction pénale de viol. » [5]
Face à ces lacunes, des voix s’élèvent pour proposer une définition claire du consentement sexuel dans le Code pénal. Celle-ci pourrait s’inspirer des modèles adoptés en Suède (2018), en Espagne (2022) ou en Allemagne (2024), où le viol est défini comme un acte sexuel sans consentement affirmatif, qu’il y ait ou non-violence.
La doctrine plaide pour une conception du consentement comme un accord libre, éclairé, enthousiaste et réversible, imposant à chaque partenaire de s’assurer du consentement de l’autre. Ce changement de paradigme permettrait de recentrer le débat sur la volonté de chacun·e, et non sur la résistance physique ou les stigmates visibles.
D. Le débat sur l’âge du consentement sexuel
Un pas important a été franchi avec la loi du 21 avril 2021, qui a introduit dans le Code pénal une présomption de non-consentement pour les mineur·es de moins de 15 ans en cas de relation sexuelle avec un adulte, sous réserve d’un écart d’âge de 5 ans (art. 222-23-1 du code pénal), et moins de 18 ans en cas d’inceste.
La question du consentement de l’enfant ne se pose donc plus en-dessous de l’âge de 15 ans et de 18 ans dans les affaires d’inceste.
Ces dispositions ont renforcé la protection de l’enfance, en prohibant toute relation sexuelle adulte/mineur·e dans ces tranches d’âge, même en l’absence de violences.
Cependant, cette avancée demeure partielle. La loi prévoit une exception dite « clause Roméo et Juliette », permettant la dépénalisation de certaines relations entre adolescents proches en âge.
Cette clause vient préserver les relations sexuelles lorsque l’auteur et le mineur ont moins de cinq ans d’écart d’âge (par exemple relation entre un mineur de 14 ans et un jeune majeur de 18 ans). Cette clause ne joue pas en cas d’inceste ou quand la relation n’est pas consentie ou intervient dans le cadre de la prostitution.[6]
Toutefois, cette présomption repose uniquement sur un critère objectif, “l’âge”, sans repenser la définition du consentement pour les personnes majeures.
Ainsi, si la protection des mineur·es progresse, une réforme structurelle reste nécessaire pour poser comme principe que sans consentement explicite, il y a agression.
IV. L’enjeu d’une nouvelle définition : l’affaire Gisèle Pélicot comme révélateur
A. Une affaire emblématique des limites actuelles du droit
Révélée au grand public en 2023, l’affaire Gisèle Pelicot a profondément bouleversé l’opinion publique française. Le 2 septembre 2024 s’est ouvert à Avignon le procès dit des « viols de Mazan », du nom de la commune vauclusienne où se sont déroulés les faits. Dominique Pelicot, principal accusé, est jugé pour avoir, pendant près de dix ans, drogué son ex-épouse afin de la violer et de la livrer à des dizaines d’hommes rencontrés sur un site libertin, à l’insu total de la victime.
Si tous les agresseurs n’ont pas encore été identifiés, 51 hommes comparaissent devant la cour criminelle départementale du Vaucluse pour répondre d’accusations de viol. Le procès a été largement présenté comme celui de la soumission chimique, un phénomène encore largement sous-estimé dans le droit pénal français[7].
Dans ce dossier d’une ampleur inédite, la matérialité des viols n’est pas contestée : tous les rapports sexuels ont été filmés par le mari, les enregistrements constituant des preuves accablantes. La qualification juridique retenue repose sur la notion de viol par surprise, l’un des moyens les plus méconnus de l’infraction. Il ne s’agit pas ici de violence physique directe, mais de tromperie : la victime, massivement sédatée, n’était plus en capacité de manifester ou de refuser son consentement. Le consentement était ainsi inexistant ou vicié, car l’épouse se trouvait dans un état assimilable à un coma chimique.
C’est pourtant la question de l’intentionnalité, et non celle de la réalité des actes, qui a été au cœur des débats judiciaires. La défense a tenté de faire basculer l’interprétation pénale en insistant sur l’absence d’intention criminelle de certains prévenus. Plusieurs des hommes poursuivis ont affirmé avoir cru participer à un jeu sexuel consenti, dans le cadre d’une relation libertine entre adultes. L’avocat Me De Palma a d’ailleurs suscité une vive polémique en déclarant publiquement qu’il existait « viol et viol », laissant entendre que certains actes relevaient davantage de la méprise que de l’agression, car « sans élément moral, point d’infraction ».
Cette stratégie défensive illustre une faille structurelle majeure dans le droit français : en l’absence de définition juridique du consentement, il est possible de plaider l’erreur, la méconnaissance ou l’absence d’intention, même face à des faits aussi graves.
À la barre, Gisèle Pelicot, aujourd’hui âgée de 72 ans, a livré un témoignage poignant. « Pas une seconde je n’ai donné mon consentement à Monsieur Pelicot, ni à ces hommes qui sont derrière », a-t-elle martelé avec dignité. Victime de près de 200 viols, dont 92 imputés aux 50 coaccusés, elle a dénoncé une tentative de culpabilisation de la victime au cours des débats.
« Depuis que je suis arrivée dans cette salle d’audience, je me sens humiliée. On me traite d’alcoolique, comme si j’étais complice de M. Pelicot parce que j’étais soi-disant dans un état d’ébriété tel que je ne pouvais pas dire non », a-t-elle dénoncé.
Le président de la cour, Roger Arata, tente alors de recentrer l’audience : « Avez-vous été en mesure de consentir à un acte sexuel ? » — « Dans l’état où j’étais, je ne pouvais absolument pas répondre à qui que ce soit. J’étais dans un état de coma, et les vidéos qu’on va diffuser vont pouvoir en attester », rétorque-t-elle[8].
Cette affaire a agi comme un électrochoc national, cristallisant l’indignation des associations féministes et d’une large partie de la société civile. Elle incarne les limites criantes du système judiciaire français face aux violences sexuelles contemporaines, marquées non plus seulement par la force physique, mais par des mécanismes d’emprise, de manipulation, de drogue et de déshumanisation. En l’absence d’une définition juridique claire du consentement, la justice peine à nommer les violences pour ce qu’elles sont et à condamner leurs auteurs à la hauteur des actes commis.
B. Une affaire qui relance le débat législatif
Dans le sillage de l’affaire Pelicot, qui a profondément ébranlé la société française, plusieurs parlementaires ont annoncé leur volonté de réformer en profondeur le droit pénal sexuel. L’émotion suscitée par ce procès hors norme a servi de déclencheur : pour la première fois, une initiative législative se donne explicitement pour objectif de redéfinir le viol à partir de l’absence de consentement, et non plus uniquement de la contrainte, de la menace ou de la surprise.
Le 21 janvier 2025, une proposition de loi a été déposée à l’Assemblée nationale par Marie-Charlotte Garin, députée du groupe Écologiste et Social, et Véronique Riotton, du groupe Ensemble pour la République (EPR). Le texte a été cosigné par Cyrielle Chatelain et Gabriel Attal, témoignant d’un soutien transversal au sein de la majorité et de l’opposition progressiste. Le 28 mars 2025, le gouvernement a engagé la procédure accélérée, signe de l’importance politique accordée à cette réforme.
L’objectif est clair : introduire une définition légale du consentement sexuel dans le Code pénal, fondée sur la notion d’accord libre, éclairé et réversible.
Le 1er avril 2025, l’Assemblée nationale a adopté la proposition de loi en première lecture, avec modifications. Certains amendements ont été introduits pour intégrer les observations du Conseil d’État, notamment afin de garantir la sécurité juridique de la nouvelle définition du viol et de préciser les conditions d’appréciation du consentement, dans un souci de protection des droits de la défense.
Cela marque aussi un tournant symbolique : le consentement n’est plus une notion implicite ou secondaire, mais devient le cœur du dispositif pénal en matière de violences sexuelles.
C. Les avancées de la proposition de loi de 2025
Elle prévoit d’introduire dans la loi la notion de non-consentement de la victime, afin de caractériser le viol et les autres agressions sexuelles. L’article 222-22 alinéa 1 du code pénal sera désormais ainsi rédigé : « Constitue une agression sexuelle tout acte sexuel non consenti commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur… ».
La proposition de loi introduit plusieurs éléments structurants[9] :
• Le texte précise la notion de consentement et la manière de l’apprécier. Le consentement devra être « libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable ».
• L’intégration de l’état de sidération ou de vulnérabilité psychologique comme indices de non-consentement :
Il n’y aura pas de consentement si l’acte sexuel « est commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, quelle que soit leur nature« . Aujourd’hui, ces quatre éléments définissent le viol et les autres agressions sexuelles dans le code pénal. L’ajout des termes « quelle que soit leur nature« , qui a été suggéré par le Conseil d’État, vise à souligner leur variété (état de sidération ou d’emprise…) et devrait entraîner une répression accrue.
• L’interdiction explicite d’inférer un consentement du seul silence ou de la passivité :
Cela permettra de s’interroger davantage qu’aujourd’hui sur le comportement de l’auteur dans le cadre de l’enquête judiciaire (notamment dans les situations de vulnérabilité) et d’éviter que l’investigation ne soit centrée uniquement sur la victime.
• Enfin, la proposition de loi élargit la définition du viol aux actes bucco-anaux.
Cette réforme tend à faire évoluer le droit pénal vers une logique de protection proactive des personnes, reposant sur une éthique du respect de l’autonomie sexuelle.
Pour les députés, une évolution législative mettrait fin aux « discussions sur l’existence d’un consentement en présence de violence, menace, contrainte, surprise, ce qui n’est pas le cas actuellement. Cela permettrait au juge d’instruction de mettre en examen, par la réunion plus facile d’indices graves ou concordants, et de sortir de l’impasse du « parole contre parole » qui se retourne contre la victime ». Le juge serait amené à demander au mis en cause « la façon dont il s’est assuré du consentement de la victime, » en le confrontant aux éléments du dossier.[10]
D. Apports pour les victimes et transformation du cadre social
Au-delà de la justice pénale, cette réforme pourrait entraîner un changement culturel majeur, en réaffirmant que le consentement ne va jamais de soi.
Elle permettrait de mieux reconnaître les vécus traumatiques des victimes, favoriser une parole libérée en réduisant la peur de l’incrédulité ou du non-lieu, promouvoir une éducation à la sexualité fondée sur le respect mutuel, dès le plus jeune âge.
Dans cette perspective, le droit n’est pas seulement un outil de répression : il devient vecteur d’émancipation, contribuant à redéfinir les normes sociales autour du corps, du désir et de la liberté individuelle.
Ouverture : Le rôle des acteurs de la société civile dans l’évolution du droit
L’évolution du droit pénal sexuel français ne peut être dissociée du rôle des acteurs de la société civile où figurent les associations, les collectifs de survivantes, et les professionnel·les engagé·es (juristes, médecins, psychologues, etc.).
Ces acteurs ont permis de porter la voix des victimes dans l’espace public, de documenter les carences institutionnelles et de proposer des alternatives juridiques concrètes.
Leur combat ne se limite pas à une dénonciation : il constitue une force de proposition législative et un levier de transformation démocratique.
Notes
[1] Article de Caroline QUEVRAIN, 3 octobre 2022, 5 ans de #MeToo : « seulement 1% des viols condamnés » en France ?
[2]Rapport d’évaluation du GREVIO sur les mesures d’ordre législatif et autres donnant effet aux dispositions de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (convention d’Istanbul) France, 19 nov. 2019, https://lext.so/5lt6MP.
[3] Article 36 intitulé « Violence sexuelle y compris le viol » de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique du 12 avril 2011 disposant : « 1 Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infraction pénale, lorsqu’ils sont commis intentionnellement : a la pénétration vaginale, anale ou orale non consentie, à caractère sexuel, du corps d’autrui avec toute partie du corps ou avec un objet ; b les autres actes à caractère sexuel non consentis sur autrui ; c le fait de contraindre autrui à se livrer à des actes à caractère sexuel non consentis avec un tiers. 19 2 Le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes. 3 Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que les dispositions du paragraphe 1 s’appliquent également à des actes commis contre les anciens ou actuels conjoints ou partenaires, conformément à leur droit interne ».
[4] CEDH, 23 janv. 2025, n° 13805/21, H.W. c/ France.
[5] Dalloz actualité du 22 janvier 2025, « Vers une réécriture de la définition pénale du viol. Rapport d’information sur la définition pénale du viol, 21 janv. 2025
[6] Site vie publique : Loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste
[7] Le club des juristes, Affaire des viols de Mazan : le consentement au cœur des débats
[8] L’Humanité, 18 septembre 2024, « Un viol est un viol ! » : Gisèle Pelicot réplique face aux insinuations de la défense au procès des viols de Mazan (extraits)
[9] Site vie publique, 2 avril 2025 : Proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles
[10] Dalloz actualité du 22 janvier 2025, « Vers une réécriture de la définition pénale du viol. Rapport d’information sur la définition pénale du viol, 21 janv. 2025
Sources
- Audrey Darsonville, professeur de droit pénal Université Paris-Nanterre, Droit pénal Le viol par négligence « Le modèle suédois peut-il inspirer le droit français ? » Gazette Spécialisée Dossier, 5 novembre 2024
- Audrey Darsonville, professeur de droit pénal Université Paris-Nanterre, « L’incrimination de viol », DALLOZ Étudiant, 14 novembre 2024
- Viol et consentement en droit pénal français Réflexion à partir du droit pénal canadien – Catherine Le Magueresse – Cairn Info
- Charlotte Collin « La lutte contre les violences faites aux femmes en France est insuffisante au regard de la Convention d’Istanbul » DALLOZ Actualité, 12 décembre 2019
- Convention d’Istanbul de 2011
- Rapport d’évaluation de référence du GREVIO, publié 19 novembre 2019
- « Un viol est un viol ! » Gisèle Pélicot réplique face aux insinuations de la défense au procès des viols de Mazan », Alexandre Fache l’Humanité, 18 septembre 2024
- Pierre Januel, Incriminalisation du viol : vers une intégration de la notion de consentement » DALLOZ Actualité, 22 mars 2024
- Code pénal, édition 2024, Dalloz.
- Lextenso, Actualité juridiques, Violences sexuelles et consentement : une loi en retard sur la réalité ? 26/03/2025 Khadija Azougach, avocat
- L’Assemblée nationale, Proposition de loi n°4929 relative à la redéfinition du viol et au consentement sexuel, mars 2025.
https://droit.cairn.info/violences-sexuelles–9782100820412-page-9?lang=fr
https://clio-cr.clionautes.org/histoire-du-viol-xvie-xxe-siecle.html
https://hal.science/hal-04754728/document
https://www.pigeondissident.com/archive-2/une-petite-histoire-du-“oui”-au-féminin
https://shs.cairn.info/revue-raisons-politiques-2012-2-page-5?lang=fr
PERREAU–APPLETON Inès, trésorière de l’ADHS
MORSLI Maissa, membre du pôle pénal de l’ADHS
SAOUDI Sharlaine, responsable du pôle pénal de l’ADHS
