Le premier génocide allemand du XXème siècle commis en Afrique

Fait historique peu connu, l’Allemagne a été une puissance coloniale. De novembre 1884 à
février 1885, se réunit la conférence internationale au cours de laquelle 14 États invités
entérinent le partage du continent africain. L’Allemagne, occupée à sa propre unité jusqu’en
1871, réclame, elle aussi, sa « place au soleil » (Bernhard von Bülow)1 et va s’établir notamment dans le Sud-Ouest africain (actuelle Namibie) dès 18832. Cette période coloniale a été courte mais elle a été marquée par un événement tragique : le premier génocide du XXème siècle que l’Allemagne finira par reconnaître officiellement en 2021 (I). Mais cette reconnaissance n’a pas pansé les plaies des descendants des Hereros et des Namas, victimes de ce génocide, et les relations entre les deux pays se cristallisent aujourd’hui autour de la question de la réparation financière (II).


i. Le génocide des Namas et des Hereros : un crime oublié

Entre 1884 et 1915, l’actuelle Namibie (pays d’Afrique australe, frontalier de l’Afrique du Sud,
du Botswana et de l’Angola) est une colonie allemande. Ce territoire est peuplé de plusieurs
ethnies : San, Damara, Ovambo, Nama et Hereros. Les Namas et les Hereros sont les deux
principales tribus du pays et représentent presque la moitié de la population totale.

La politique coloniale allemande repose sur une double logique : prédation minière à la
recherche de diamants et confiscation des terres des habitants de la région qui perdent leurs
moyens de subsistance et sont empêchés de pratiquer leur transhumance3.

Le 12 janvier 1904, les Hereros se rebellent. Sous la direction de leur chef, Samuel Maherero, les Hereros attaquent une garnison militaire allemande à Okahandja tuant 123 soldats allemands. Ils parviennent aussi à détruire les lignes de communication, de chemin de fer et télégraphe.

En juin 1904, sous ordre de l’Empereur allemand, 6 vaisseaux de guerre débarquent à Swakopmund avec une troupe de 15 000 soldats, des canons et des grenades. La répression contre les Héréros s’organisera sous le commandement du Général Lothar von Trotha.

Le 11 août 1904, sur le plateau du Waterberg, les troupes de von Trotha encerclent les Héréros (hommes, femmes, enfants) et les mitraillent. Plusieurs Héréros parviennent à fuir dans le désert de Kalahari. En soutien aux Hereros, les Namas se rebellent à leur tour et subiront le même sort.

L’intention génocidaire de l’Empire allemand est exprimée clairement, le 2 octobre 1904, par von Trotha qui diffuse un ordre connu par la suite sous le nom d’« ordre d’extermination » : « Le peuple des Hereros doit quitter le pays (…) S’il ne le fait pas, je l’y contraindrai par la force du canon. A l’intérieur des frontières allemandes, tout Herero, avec ou sans armes, avec ou sans bêtes, sera abattu, je ne recueillerai plus les femmes et les enfants mais les enverrai à leur peuple ou leur ferai tirer dessus ». Ce premier ordre sera accompagné d’un second ordre concernant les Namas, en date du 22 avril 1905 : « tout Nama qui choisit de ne pas se rendre et qui sera vu en zone allemande sera abattu, jusqu’à ce que tous soient exterminés ». Von Trotha n’hésitera pas à donner l’ordre d’empoisonner les puits.

Au total, 60 000 Hereros et 10 000 Namas sont abattus ou meurent dans des camps de concentration. On considère aujourd’hui que 80% des Hereros et 50% des Namas ont été assassinés par les Allemands.

Ce génocide est resté, jusqu’au début des années 2000, largement méconnu. Pour Joel Kotek, professeur à l’Université Libre de Bruxelles, cet oubli s’explique par plusieurs facteurs : « aucune condition n’était là pour qu’on en parle (…) c’est en quelque sorte un génocide réussi (…) les hereros, un peuple flamboyant, sont devenus aujourd’hui minoritaires, or, pour qu’une mémoire soit portée, elle doit l’être par un groupe important (…). Il faut aussi se rappeler que l’indépendance n’a eu lieu qu’en 1990, il a fallu la fin de cette chape de plomb »4. Joël Kotek rajoute aussi que ce travail de mémoire se heurte au déni des descendants des colons allemands « qui craignent les restitutions de terres » alors qu’ils détiennent aujourd’hui 70% des terres arables de l’actuelle Namibie.

Ces événements ne sont, toutefois, pas passé inaperçu à l’époque. La première documentation du génocide date de 1918. Cette année-là, Thomas O ’Reilly, un magistrat britannique, rédige un rapport, Blue Book, à la demande de son gouvernement. Mais ce document fut rapidement gardé secret. Il faudra attendra le rapport Whitaker, publié par les Nations unies le 2 juillet 1985, pour rendre public cette tragédie. Ce rapport sera suivi de l’approbation par la Commission des droits de l’homme des Nations unies d’une motion issue du rapport Whitaker qui, dans son paragraphe 24, précise que la Shoah n’a pas été le seul cas de génocide au XX° siècle et que « parmi d’autres exemples », il y a eu aussi le « massacre allemand des Hereros en 1904 ». Le caractère génocidaire du massacre est fondé sur son caractère systémique et planifié.

Le 28 mai 2021, après un siècle de tabou et l’authentification de l’ordre d’extermination de von Trotha, l’Allemagne a reconnu officiellement avoir commis un premier génocide en 1904, dans une déclaration du Ministre des Affaires Etrangères, Heiko Maas : « Nous qualifions (…) ces événements pour ce qu’ils ont été : un génocide. A la lumière de la responsabilité historique et morale de l’Allemagne, nous allons demander pardon à la Namibie et aux descendants des
victimes ».

Depuis sa reconnaissance officielle par l’Allemagne, en 2021, le massacre des Hereros et des Namas est considéré comme le premier génocide du 20ème siècle, avant celui des Arméniens de 1915 et celui des Juifs et des Tsiganes en Europe, dans les années 40. On décèle d’ailleurs des similitudes entre ces génocides notamment les longues marches vers le désert (vers la Syrie pour les Arméniens) qui conduisent ces populations, sans nourriture et sans eau, vers une mort certaine. Mais aussi, l’édification de camps de concentration (le terme est utilisé dès 1905 pour
désigner l’Ile aux Requins) où les populations Namas et Hereros sont soumises au travail forcé.
Selon Nicolas Patin, « le taux de mortalité est inégalé : sur 4 000 hommes et 10 000 femmes et
enfants internés, près de 7 862 meurent entre 1904 et 1907, soit plus de 50 % des détenus »5.

D’autres similitudes troublantes sont relevées par les historiens. Les Namas et les Hereros y
sont enfermés et portent un disque métallique autour de leur coup (sur laquelle figure un numéro de matricule) relayé à une chaîne autour de leur hanche. Des expérimentations médicales vont aussi avoir lieu dans ces camps de concentration, préfigurant ceux qui seront réalisées au cours de l’Holocauste. Eugène Fischer, considéré comme le père de l’anthropologie génétique, procédera à ses travaux qui inspireront l’idéologie nazie. L’un des disciples de E. Fischer sera le Dr Joseph Mengele, médecin du camp d’Auschwitz. Les crânes humains étaient nettoyés par les prisonniers eux-mêmes et certains d’entre eux furent envoyés en l’Allemagne qui les vendra ensuite à des musées étrangers.

Les camps de concentration en Namibie seront fermés en 1908.

II. Un siècle après : vers une réparation ?

Un travail de mémoire a commencé, en Namibie, au moment de l’accès à son indépendance en
1990, fruit de plusieurs années d’efforts et de lutte des descendants des victimes des
communautés Hereros et Namas, pour faire pression sur leur gouvernement afin d’accéder à
des négociations avec l’Etat allemand. En effet, l’une des conséquences effrayantes du génocide
est que les descendants de ces deux ethnies sont devenus minoritaires en Namibie. En raison de
leur faiblesse démographique, elles ont peu de poids politique dans leur pays6.

Pendant des décennies, l’Allemagne minimisera sa responsabilité dans cette tragédie. En
septembre 1995, le chancelier Helmut Kohl refusera de rencontrer les représentants des
Hereros. En 2003, le ministre des Affaires Etrangères allemand, en visite en Namibie, tout en
confirmant la « responsabilité historique » de l’Allemagne, poursuivra en insistant sur le fait
« qu’il n’y aura pas de repentir ouvrant droit à compensation »7.

Durant toute la décennie des années 2000, plusieurs figures politiques allemandes, tout en
reconnaissant l’existence de crimes durant la période coloniale en Namibie, se refusent àemployer le terme « génocide ». D’ailleurs, la position officielle du gouvernement fédéral
allemand est que le crime de génocide n’a été élaborée qu’en 1948, lors de l’adoption par les
Nations-Unies de la Convention pour la répression et la prévention du crime de génocide et que
son application ne peut pas ainsi être rétroactive. Cette doctrine allemande entrera en conflit avec la position qu’elle prendra en 2016 par rapport au génocide arménien lorsque le Bundestag
(parlement allemand) adoptera une résolution sur la « Commémoration du génocide des
Arméniens et autres minorités chrétiennes entre 1915 et 1916 », une période qui est donc
antérieure à la Convention sur le génocide de 1948.

C’est donc sous le coup des pressions des communautés Hereros et Namas que la position
allemande va évoluer. En 2008, l’ambassadeur de Namibie en Allemagne demandera à Berlin
la restitution des crânes des guerriers Hereros et Namas. Vingt crânes feront leur retour en
Namibie en 2011. En 2015, des négociations sont entamées entre les deux pays. En 2016, le
gouvernement fédéral allemand, dans une réponse à un groupe parlementaire Die Linke, atténue
sa position initiale à propos de la Namibie en affirmant qu’« à toutes les époques de l’histoire
le génocide a infligé de grandes pertes à l’humanité » et il poursuit : « dans le cadre d’un débat
public historico-politique », le texte de la Convention « peut servir de critère de référence à
une évaluation non juridique d’un événement historique pour le qualifier de génocide ».
L’Allemagne, par cette déclaration, a admis, pour la première fois, le caractère génocidaire des
événements en Namibie. Il faudra encore plusieurs années avant que cela aboutisse à une
reconnaissance officielle car elle impliquait la difficile question de la réparation financière.

Le 6 janvier 2017, un collectif de descendants de ces deux peuples a déposé une plainte auprès
d’un Tribunal de New-York contre l’Etat allemand, successeur de l’Empire, sur la base du
Foreign Sovereign Immunities Act (FSIA). Il s’agit alors du premier recours d’un groupe
ethnique visant à obtenir des réparations pour des crimes coloniaux. Cette loi américaine du 21
octobre 1976 établit les limites quant à la possibilité de poursuivre une nation étrangère devant
les tribunaux fédéraux américains. Pour qu’un demandeur puisse poursuivre un Etat étranger
devant des juridictions américaines, celui-ci doit invoquer l’une des 4 exceptions prévues dans
le FSIA. Le collectif appuyait sa demande sur 2 exceptions : l’expropriation des biens en
violation du droit international et l’exercice d’activités commerciales par l’Etat allemand sur le
sol des Etats-Unis. Cette requête sera rejetée en 2018 et le 24 septembre 2020, la Cour d’appel
du deuxième circuit des États-Unis confirmera le rejet du recours collectif.

Ce refus catégorique de l’Etat allemand d’accorder des réparations financières s’explique par
le fait qu’elle créerait, pour lui, un dangereux précédent. En effet, Berlin est confrontée à
plusieurs demandes de réparations : celle du Burundi qui demande une réparation consécutive
à la colonisation et celle de la Grèce pour des crimes commis pendant l’Holocauste.

En 2021, après plusieurs années de négociations avec le gouvernement namibien, l’Allemagne
reconnait officiellement par la voie du ministre des Affaires étrangères sa responsabilité dans
le génocide. Dans la foulée de cette reconnaissance, un accord est conclu de réconciliation qui
prévoit une aide au développement de 1,1 milliards d’euros qui seront versés sur 30 ans.

Les représentants des communautés Hereros et Namas ont critiqué le format de ces négociations
car elle excluait les revendications des communautés victimes du génocide et se déroulait
exclusivement entre l’Etat allemand et l’Etat namibien. Ces représentants considèrent, par
ailleurs, le montant de l’aide accordée comme dérisoire. Ils demandent qu’elle soit convertie en
réparation financière du préjudice subi qui avait été estimé, lors du procès devant les juridictions
américaines, à 4,5 milliards de dollars.

L’accord conclu prévoit que l’aide sera versée au gouvernent namibien et non aux descendants
des deux tribus victimes, solution que le gouvernement namibien a toujours rejetée, redoutant
que ces deux ethnies, très minoritaires sur le plan démographique, s’enrichissent et deviennent
prépondérante sur la scène politique. Les Namas et les Hereros ont continué leur mobilisation
et sous pression, le gouvernement namibien a dû reculer, en 2022, en demandant la renégociation de l’accord de réconciliation conclu avec l’Allemagne en 2021.

En 2023, par leurs représentants, les Namas et les Hereros ont réclamé de participer directement
et indépendamment à ces renégociations. Cette demande fait suite à un rapport récent des
Nations-Unies soulignant le statut juridique particulier des peuples autochtones, au regard du
droit international, et rappelant que les mécanismes visant à réparer les crimes coloniaux
doivent être élaborés avec les peuples autochtones.

Nadia Mahjoubi

Étudiante en Master Droit public -Faculté de droit Panthéon-Sorbonne, Paris I

et membre du pôle pénal de l’ADHS.

Notes

  1. Stéphane MAURAS, Allemagne-Namibie, enjeux d’une réconciliation post-coloniale, dans Politique étrangère (3/2019, p.129 à 140).
  2. 2 L’Allemagne perdra la totalité de ses colonies en 1819 avec la signature du Traité de Versailles.
  3. Migration périodique du bétail.
  4. France 24, Interview « Un siècle après, que reste-t-il de la présence allemande en Namibie ?», 12 septembre 2014.
  5. Nicolas Patin, « Le massacre des Hereros et des Namas : laboratoire colonial des génocides ? », Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 26/11/20, consulté le 17/11/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/21449
  6. Les Héréros et les Namas représentaient au début du XXème siècle 40% de la population, aujourd’hui, ils ne représentent plus que 7% de la population.
  7. Stéphane MAURAS, Allemagne-Namibie, enjeux d’une réconciliation post-coloniale, dans Politique étrangère (3/2019, p.129 à 140).

Sources à consulter

  • France 24, Un siècle après, que reste-t-il de la présence allemande en Namibie ? (Disponible
    sur YouTube)
  • Arte, Tracks, Namibie : art et mémoire contre l’oubli colonial (20 septembre 2024, disponible sur YouTube)
  • Mémorial de la Shoah, Le Génocide des Hereros et des Namas, 26 et 27 février 2017 (disponible sur YouTube en 5 parties)
  • Les mesures de l’homme (Der Vermessene Mensch) de Lars Kraume (film, 2023)

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